Portrait vivifiant de la jeunesse espagnole confrontée à l’enfer économique et idéologique du capitalisme contemporain.
Pedro Almodóvar n’est pas le seul bon cinéaste espagnol en activité et on aimerait que le public français en prenne conscience. Prenons Jaime Rosales : il ne déplace pas les foules, n’a pas imprimé sa marque sur
les cinéphiles d’ici alors qu’il est intéressant, voire passionnant, depuis une dizaine d’années et des films comme Les Heures du jour (2003), La Solitude (2007), Un tir dans la tête (2008) ou Rêve et silence (2011).
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Un cinéma toujours en recherche formelle, qui ne dédaigne pas l’expérimentation et qui a déjà valu à son auteur les honneurs du Centre Pompidou. Au programme : comportementalisme (Les Heures du jour), split-screen (La Soledad), distanciation et muet (Un tir dans la tête), noir et blanc et récit en pointillé (Rêve et silence). Le sujet de prédilection de Jaime Rosales est le quotidien, sa routine, ses étapes marquantes (naissance, accident, décès…), concourant à un tableau existentialiste des classes moyennes espagnoles dans les années 2000, loin de l’extraversion colorée d’Almodóvar.
La Belle Jeunesse prolonge ce travail avec une sorte de force tranquille, un talent qui ne la ramène pas. Soit Natalia et Carlos, la vingtaine, chacun vivant chez sa mère (les pères sont absents ou lointains). Ils sont beaux, s’aiment, n’ont pas d’autonomie financière. Un jour, ils se rendent au casting d’un porno pour le fun, l’aventure et surtout les 600 euros promis (cette incursion dans le porno se reproduira plus tard, dans un autre contexte). Mais le pays est plongé dans la crise que l’on sait. Et Natalia tombe enceinte. Avorter ou ne pas ? Nourrir une bouche supplémentaire ou ne pas ? Entre soirées avec les potes, conflits dans leurs familles et disputes, la “belle jeunesse” est petit à petit lestée, minée par le quotidien.
L’enjeu du film réside dans la dialectique entre la beauté de ces deux jeunes (et des deux acteurs superbes qui les incarnent) et la laideur de la société libérale. La Belle Jeunesse est plusieurs fois scandé par des écrans de mobiles ou de jeux vidéo, parce qu’ils font partie du quotidien des personnages. Le style laconique de Rosales laisse le spectateur libre de la lecture de ces inserts : j’y ai vu une contamination d’images qui figure le virus dans le système économique libéral. Cette technologie dont nous usons tous est-elle l’effet secondaire ou l’un des moteurs du système qui bouffe les emplois et chamboule les équilibres économiques ? Sans dévoiler l’issue, disons que la boucle de la réification technomarchande se referme amèrement à la fin.
Malgré son récit d’élans entravés, La Belle Jeunesse est plus stimulant que déprimant grâce à ses acteurs éclatants et au regard de Rosales, à la fois maîtrisé et questionnant, rigoureux mais ouvert à l’incertain, distancié mais laissant affleurer l’émotion, entre réalisme pialatien et stylisation sobre. Un beau film de plus pour Rosales.
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