A Tottenham, dans le nord de Londres, une œuvre murale signée Banksy vient de disparaître pour se retrouver dans une vente aux enchères. En février dernier, un événement similaire avait eu lieu : un pochoir du même artiste s’était volatilisé pour se retrouver, cette fois aussi, sur le site d’une maison de ventes aux enchères basée à Miami. Mais à qui appartiennent les œuvres de street art ? Peut-on les voler en toute impunité ?
[Article initialement publié le 20 février 2013] Un enfant penché sur une machine à coudre, en train de fabriquer des fanions aux couleurs du drapeau anglais : l’œuvre de Banksy, qui dénonce clairement le travail des enfants mais aussi la commercialisation du Jubilé de la Reine, avait fait grand bruit à sa création en mai dernier. Connue sous le nom de Slave Labor, elle a disparu la semaine dernière du mur du magasin londonien sur lequel elle avait été réalisée. Des journalistes britanniques ont retrouvé sa trace sur Fine Art Auctions Miami (FAAM), le site d’une maison de ventes aux enchères basée à Miami. La vente est prévue pour le 23 février, l’œuvre est estimée entre 500 000 et 700 000 dollars (soit entre 375000 et 525 000 euros).
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Comment ce pochoir s’est-il volatilisé ? Et comment s’est-il retrouvé en vente? Contacté par mail, Banksy ne répond pas. Joint par téléphone, la FAAM nous déclare : « Nous ne sommes pas autorisés à vous fournir des informations. Nous avons toutes les informations qui nous prouvent la légalité de l’œuvre. Nous ne les fournissons qu’aux acheteurs. »
Scandalisé par cette affaire, Alan Strickland, élu à Noel Park (quartier de Londres) et membre du gouvernement, a alerté le Arts Council, l’organisme national de promotion des arts en Angleterre, et fait le récit de son enquête heure par heure, jour par jour sur Twitter, déclenchant un mouvement de protestation sur le réseau social (voir le hashtag #saveourbanksy). Contacté par téléphone, Alan Strickland nous explique qu’il souhaite « que la maison de ventes aux enchères prouve que tout a été fait dans le cadre de la loi ». Pour autant, la preuve d’un respect du cadre juridique n’atténuerait en rien sa déception, et celle de « la communauté » dont il se veut le justicier :
« La communauté sent que Banksy lui a donné cette œuvre d’art gratuitement. Il se trouve qu’elle est réalisée sur ce mur en particulier mais elle aurait pu l’être autre part. Les habitants ont le sentiment que c’est leur œuvre d’art, qu’elle appartient au public. Ils sont en colère que cette œuvre soit vendue pour des profits privés. Même si elle n’a pas été volée, elle a été retirée à une communauté qui y est très attachée. »
Et si Banksy était à l’origine de cette vente ? « Je ne peux pas parler pour Banksy mais son équipe a toujours refusé d’authentifier ses œuvres lors de précédentes ventes. Ils ont exprimé leur désaccord face à la vente d’œuvres de street art. » Banksy a en effet mis en place un service d’authentification de ses œuvres, baptisé Pest Control, qui est également la seule structure habilitée par l’artiste à vendre ses œuvres.
Malgré ces précautions, plusieurs de ses œuvres réalisées dans la rue se sont retrouvées (non authentifiées, donc) en vente sur Internet. En septembre 2012, un Anglais a été condamné à neuf mois de prison avec sursis pour avoir volé Sperm Alarm sur la façade d’un hôtel londonien et avoir cherché à le vendre sur eBay. En 2006, un gang avait essayé de voler la porte d’un bâtiment délabré à Liverpool, sur laquelle était peinte une œuvre de l’artiste connue sous le nom de Liverpool Love Rat. Et ce n’est pas fini : en naviguant sur le site de la FAAM, on tombe sur un autre Banksy, présent dans la même vente aux enchères que Slave Labor. Baptisé Wet Dog, ce pochoir a été réalisé en 2007 à Bethléem (Cisjordanie). Là encore, difficile de savoir comment cette œuvre de street art s’est retrouvée exposée dans la galerie Kezsler (Hamptons, Etats-Unis) avant d’être vendue aux enchères à Miami… Et si on pouvait voler un artiste de street art en toute impunité (ou presque) ?
« Pas facile de répondre »
Michel Vivant, professeur de droit à Sciences-Po Paris et spécialiste des questions de propriété intellectuelle, explique qu’il « faut distinguer la propriété du support et la propriété de l’œuvre« . Il ajoute : « Si on s’en tient au principe du droit d’auteur, l’auteur devrait pouvoir voir son œuvre protégée. D’un autre côté, celui qui voit son mur tagué n’appréciera guère et je pense que les tribunaux donneront raison au propriétaire des murs. » Il admet qu’il n’est « pas facile de répondre » à la question de savoir si le propriétaire peut disposer comme bon lui semble de son mur et donc de l’œuvre réalisée dessus.
Une chose est sûre, c’est que « le droit continental », qui s’applique en France ou encore en Allemagne, est bien différent du « droit anglo-saxon ». Ce qui est autorisé outre-Atlantique ne l’est donc pas forcément en France :
« Dans le cadre du droit continental, il faudrait que l’auteur ait cédé ses droits par écrit. En France c’est relativement simple : tous les droits appartiennent à un auteur sauf ceux qu’il a expressément cédés. Le propriétaire des murs n’a donc que les droits qu’on lui a reconnus. C’est l’artiste qui décide : tout ce qu’il ne permet pas, le propriétaire n’a pas le droit de faire. »
Le « droit au respect », qui fait que l’œuvre et l’artiste doivent être protégés, n’existe pas aux États-Unis. Mais, si on résume, tout se fait partout toujours au cas par cas : « Il y a le droit de l’artiste et le droit de propriété au sens corporel : on est au milieu et on se dit « alors, qu’est ce qu’on fait ? »
La boucle est bouclée
Pour Me Pierre Lautier, avocat spécialiste des questions de propriété intellectuelle, « le street art est par définition un art éphémère qui est attentatoire à des biens privatifs« . « Le street artist a des droits d’auteur sur son œuvre mais on ne peut pas empêcher un propriétaire d’immeuble de repeindre l’œuvre du street artist, qui sait que son œuvre a vocation à disparaitre un jour« , explique-t-il, avant de rappeler que s’il se révèle que le magasin londonien n’a pas donné son accord pour la vente de l’œuvre de Banksy, la FAAM est clairement dans l’illégalité :
« Chaque pierre du mur du magasin lui appartient. La maison de ventes de Miami prend donc beaucoup de risques! »
Me Pierre Lautier a lui-même représenté des artistes de street art devant les tribunaux pour d’autres types de vol. Il évoque le cas de Moz, dont le travail était exposé, via des photographies, dans le cadre de l’exposition « Né dans la rue-Graffiti » à la Fondation Cartier en 2009. Le problème : Moz n’avait pas donné son accord. Or, les photographies de ses graffitis constituent une « œuvre collective » : le photographe a autant de droit les concernant que le street artist.
Pour Maï Lucas, photographe et proche du milieu du street art, les street artists se sont toujours faits voler. Et de prendre pour exemple les vols des graffitis que Basquiat semait dans New York, à ses débuts. Ce phénomène ne la choque pas. Au contraire, elle trouve « marrant » que des personnes « détachent un mur comme ils décollent une affiche qu’ils aiment bien« . Elle rappelle que dans la mesure où le vandalisme est à la base du street art, il n’est pas étonnant que les œuvres se fassent par la suite voler. La boucle est en quelque sorte bouclée.
Mais l’entrée des street artists dans les galeries et la flambée de leurs cotes semblent, petit à petit, contribuer à faire respecter leurs droits. Michel Vivant estime ainsi que « pour l’avocat, ça sera plus simple d’arriver devant le juge en disant ‘attendez, je ne vous parle pas de n’importe quoi là!’ ça peut être des éléments importants pour le convaincre ». De son côté, Me Pierre Lautier souligne que « la mairie de Paris efface moins les œuvres qu’il y a dix ou quinze ans. Il y a une forme de tolérance ». La mairie du 20e arrondissement travaille même désormais à la mise en place d’un parcours touristique sur le street art, et promeut les artistes en leur offrant des murs à taguer – ce que les intéressés ne voient pas toujours d’un très bon oeil. Bientôt de nouvelles œuvres à voler ?
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