Portrait hyper sensible, entre réel et fiction, d’une « sexygénaire » lorraine.
Un titre ne fait certes pas un film mais peut en donner le la. Party Girl, ça sonne, ça convoque de beaux fantasmes, de beaux souvenirs aussi. Celui d’un mélo noir splendide de Nicholas Ray (Traquenard, en VF) s’entrechoque avec une ballade soul de fin de soirée qui concluait le sublime premier album de Mink DeVille, Cabretta. Pourtant, ce n’est ni à Nick Ray (quoique…) ni à Willy DeVille (encore que…) mais plutôt au Cassavetes de Meurtre d’un bookmaker chinois que fait songer ce singulier premier film de… on prend son élan… Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis, Caméra d’or du dernier Festival de Cannes.
Dans ce Party Girl provincial et lorrain, il n’y a ni meurtre ni bookmaker chinois, mais la même gueule d’atmosphère nocturne, vacillante, un peu lasse que dans le night-club de Cosmo Vitelli/Ben Gazzara, le même sens des durées d’un cinéma en immersion, la même tension funambule entre réalité et fiction, le même brouillage titubant entre acteurs, personnes et personnages.
Au cœur du film trône une certaine Angélique Litzenburger, la soixantaine pas encore rangée de la séduction, brune aux grands yeux, couverte de bijoux et de colifichets, accent fleurant le houblon, caractère bien trempé. Angélique est “hôtesse” de bar, dans la réalité comme dans cette fiction. Elle est aussi la maman de Samuel Theis, l’un des trois réalisateurs. Et la mince intrigue du film se noue autour de son mariage tardif avec un de ses clients, événement inspiré de la réalité. Cette figure Angélique atteste de la nature indécidable de Party Girl, confirmée par un casting où se mélangent membres de la vraie famille Litzenburger/Theis et comédiens non professionnels.
A partir de cette matière mouvante, vivante, où l’on ne sait jamais trop distinguer ce qui est joué de ce qui est vécu, ce qui est répété de ce qui est improvisé, ce qui est écrit de ce qui est spontanément saisi au vol (Pialat est un autre jalon possible de ce film), Party Girl tresse quatre fils très proches : le portrait d’une femme mûre dont le parcours et la personnalité déjouent toutes les normes sociales ou cinématographiques ; l’étude d’un couple à la fois neuf et âgé, avec ses enjeux sexuels et sentimentaux peu souvent abordés par un cinéma habituellement vorace en chair fraîche (surtout en ce qui concerne les femmes) ; la réunion-rédemption d’une famille divisée (pléonasme), et le tableau fragmentaire d’un bout de province française à cheval sur sa frontière avec l’Allemagne, tant géographiquement que linguistiquement et culturellement.
A la fois séduisante et revêche, antipathique et attachante, toujours imprévisible, indéfectiblement libre, héritière de prestigieuses devancières (Gloria, Wanda, Mamma Roma…), Angélique constitue une part majeure de l’attrait du film. Mais elle ne brillerait pas autant si ceux qui l’entourent ne lui donnaient pas une belle réplique et un terreau de fiction, et si les réalisateurs ne l’accompagnaient pas sans jamais la juger dans son trajet sinueux entre ombre et lumière, désir et rejet de la vie à deux, beautés et mochetés du crépuscule d’une vie que l’on devine avoir été solaire et intense.
Le talent d’Amachoukeli, Burger et Theis est tout entier dans ce geste qui consiste à savoir s’effacer, à prendre conscience d’emblée qu’Angélique Litzenburger était déjà un film en soi, qu’il fallait juste guider, nourrir et articuler, sans lui imposer de carcan trop rigide, comme un tuteur qui aide une plante à pousser droit. Avec ses mouvements d’humeur et ses virages alcoolisés, Angélique marquise des franges avance, mais pas toujours très droit, imprimant au film sa tenue mal élevée, mal peignée, brute de brut. On sort un peu étourdi, révigoré, ému par cette rencontre avec la party girl matriarche qui règne sur son clan autant qu’elle est gouvernée par lui.