Un des films les plus dérangés conçus par Hollywood : le cauchemar d’un homme changeant de visage et de vie.
Un banquier rangé et blasé est contacté par un vieil ami qui lui fait connaître une mystérieuse société proposant à ses clients de changer totalement d’apparence et de vie… Le hasard des rééditions estivales suscite régulièrement des exhumations miraculeuses.
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Ainsi ce Seconds (en français L’Opération diabolique) de John Frankenheimer, cinéaste hollywoodien un peu inclassable, familier du film d’action, mais aussi expérimentateur patenté, également auteur d’un film dérangeant sur le lavage de cerveau, Un crime dans la tête.
Seconds est donc le deuxième volet d’un diptyque grinçant sur le dérèglement de la psyché. Un film noir fantastique proche de l’esprit de La Quatrième Dimension, série télé de la même époque, qui produit à sa première vision presque le même effet de sidération que l’hypnotique En quatrième vitesse de Robert Aldrich. Une œuvre visuellement splendide à laquelle a œuvré une armada d’artisans géniaux (en dehors de Frankenheimer) : d’abord le chef opérateur James Wong Howe, virtuose légendaire du noir et blanc, ensuite Saul Bass, le meilleur designer de génériques, et enfin le compositeur Jerry Goldsmith, qui s’est souvent surpassé dans les registres insolites.
La conception du film est extrêmement intrigante, voire désarçonnante dans ses premières minutes. Une sorte de filature dans une gare, la remise d’un message sibyllin, des appels téléphoniques, un jeu de piste invraisemblable à travers plusieurs immeubles new-yorkais, etc. Outre le filmage jonglant avec courtes focales et plans subjectifs, un montage très cut et audacieux, l’ambiance médico-conspiratrice, qui culmine par une opération chirurgicale, oscille entre étrange et absurde.
Ceci aboutissant à l’irruption tardive, tel un deus ex-machina, du beau gosse nonchalant des fifties et des sixties, Rock Hudson, lancé dans une aventure qu’il ne comprend guère, illustrant un profond sentiment d’aliénation, celui de vivre à côté de son existence, qu’ont exprimé des écrivains comme Kafka ou Cortázar.
Le coup de force du film, à une époque où l’on restait relativement cartésien, où l’on ne jonglait pas encore aussi librement avec les personnages qu’aujourd’hui, c’est cette histoire d’altérité figurée par la transformation subite de l’acteur John Randolph en Rock Hudson. Audace suprême.
Il faudra attendre plus de dix ans pour que Buñuel ose une telle expérience dans Cet obscur objet du désir. Ce phénomène de transmutation est par ailleurs une sorte de commentaire sur les recherches de la psychologie, et de la science en général, de l’époque, qui culminèrent en quelque sorte avec l’invention du psychédélisme, phénomène artistique induit par des substances chimiques.
Seconds, thriller prépsychédélique, dont l’apogée est une folle bacchanale nudiste, a la force et la classe de ces œuvres dissonantes des sixties, a priori juste insolites mais qui en fait flirtent éhontément avec la folie (comme Répulsion ou Docteur Folamour, par exemple). Un de ces cauchemars éveillés qui poussent jusqu’à l’incandescence la fonction primale du cinéma, qui est de figurer un rêve collectif, pour le meilleur et pour le pire.
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