Sur les traces d’un film mythique du cinéma sénégalais, une jeune réalisatrice emporte passé et présent dans un grand souffle épique.
Dans une de ses nouvelles, Roberto Bolaño nous indique, de la bouche d’un dentiste, que la séparation entre l’art et la vie est un mensonge. Entre l’histoire de l’art et l’histoire particulière, il y a l’histoire secrète, qui est leur lien et leur matrice. Mille soleils de Mati Diop est une page d’histoire secrète, une page de feu, où l’histoire du cinéma et la vie des hommes se projettent vers nous, unies en un éclat aux multiples facettes.
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Touki Bouki, de Djibril Diop Mambéty, racontait en 1973 l’amour fou entre les jeunes Mory et Anta, se préparant à partir de Dakar pour la France, jusqu’au départ final d’Anta, seule. Mille soleils retrouve Mory de nos jours, à Dakar. Il a vieilli avec son acteur Magaye Niang, qui se prépare pour une projection en plein air du film quarante ans plus tard. La ville a changé, la vie avec, mais la fiction reprend ses droits, et le présent se met à s’halluciner lui-même.
Le temps joue. Il joue comme les vagues que Diop Mambéty a caressées d’un regard bleu, et que Mati Diop, jeune cinéaste et nièce de ce dernier, refilme entre les têtes des spectateurs. Le temps est un acteur dakarois. L’histoire secrète expose l’absence de frontière entre la destinée et le jeu, et fait mentir celle entre document et fiction, en la personne de Magaye-Mory.
Un personnage est un processus infini. Quand il montre l’écran à une bande d’enfants et dit : “C’est moi”, ils ne le croient pas, ils rient : “Vous, vous avez des cheveux blancs !” “Moi”, c’est soudain plus compliqué, c’est autre chose que simplement se reconnaître, au passé. Mory a ses cheveux noirs en pagaille, en jeunesse, pour toujours au présent du cinéma.
Mais avec Magaye, ce présent a continué de vivre, vieux cow-boy flamboyant des années 2010. “C’est en ce sens qu’il y a un paradoxe du comédien : il reste dans l’instant pour jouer quelque chose qui ne cesse de devancer et de retarder, d’espérer et de rappeler”, écrivait un philosophe (Deleuze, Logique du sens). Espérance et rappel, c’est le mouvement des vagues, c’est la mer alliée avec le soleil.
C’est le mouvement du film. Transmission d’histoires par transfusion d’images. L’histoire particulière du Sénégal : des amers espoirs de 1972 aux changements politiques de 2012, histoire de l’éternel départ de la jeunesse. L’histoire du cinéma : un film en pellicule de 1973 projeté en numérique, dans un film d’aujourd’hui alliant numérique et pellicule pour inventer de nouveaux rapports entre les temps. Pour inventer de nouveaux temps – temps qui part, temps qui reste, pris dans les vagues d’une mer d’instants.
Quant à l’histoire secrète, elle s’écrit dans les gestes et les paroles du vieux cow-boy. Autour de lui retentit la chanson du Train sifflera trois fois, western de 1952 et grand film sur le temps, celui des horloges qui précipitent le destin.
Mille soleils à son tour cherche midi juste, cherche à remonter un temps qui puisse affoler le décompte des heures et des années, pour rendre le cinéma et la vie à leur secrète jeunesse. Où l’on apprend que Mory n’a pas oublié Anta, que l’amour, comme la mer, est toujours recommencé.
A l’occasion de la sortie du film, présentations, rencontres et programmation de films de Djibril Diop Mambéty, Pierre Huyghe, etc. du 2 au 15 avril au Cinéma du Panthéon, Paris Ve.
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