La documentariste a promené sa caméra dans un centre pour enfants psychotiques, le Courtil. On ressort de son film enrichi, ému et presque joyeux.
Un petit n’arrête pas de tourner en rond. Une fillette s’approche de la caméra, touche l’objectif, puis le micro. Des enfants hurlent pendant
le repas. Où sommes-nous ? A l’école ? Dans un centre aéré ? Une colonie de vacances ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’intervention psychanalytique d’une adulte sur l’une des situations mystérieuses que l’on vient de voir nous donne quelques clés d’entrée dans le film – et dans l’institution qui est son objet et sujet. Comme souvent, Mariana Otero procède par immersion, observation, puis montage, sans commentaire surplombant ni fléchage didactique, invitant le spectateur à trouver son chemin, laissant le film se déposer patiemment dans son regard, son cœur et sa pensée.
Nous sommes donc au Courtil, institution médicale unique en Europe, fondée par des psychanalystes lacaniens, dans la lignée de la clinique de La Borde ou des expériences de Maud Mannoni. Au Courtil, on soigne des enfants psychotiques, selon l’idée que le soin est avant tout un processus quotidien, un accompagnement permanent, non une séance hebdomadaire ou une prise de médicaments.
Autre boussole du Courtil, on ne guérit pas au sens où les symptômes psychotiques disparaîtraient un jour : on considère l’enfant schizophrène comme un sujet à part entière et non comme un “fou”, on l’aide à vivre moins douloureusement avec sa maladie, sans rien lui imposer, selon un processus thérapeutique perpétuellement repensé en fonction de l’expérience du réel et de la “créativité” des malades.
Mariana Otero a filmé tout cela, le quotidien imprévisible des pensionnaires, le contrechamp des réunions de l’équipe des soignants, ces dernières donnant un début d’intelligibilité au grand autre radical qu’est l’enfant schizophrène. Toutes choses qui suffiraient à faire d’A ciel ouvert un très beau film sur l’enfance et sur la “folie”, comme un mix entre La Moindre des choses et Etre et avoir de Nicolas Philibert, partageant cette idée qu’un cinéaste ne sait pas tout sur la ligne de départ de son projet, découvre son sujet et son film durant le tournage.
Mais une couche supplémentaire de complexité active souterrainement A ciel ouvert. Mariana Otero ne savait pas si elle et sa caméra seraient acceptées au sein du Courtil, tant par les médecins que par les patients. Or, non seulement elles furent bienvenues, non seulement les enfants semblèrent au pire indifférents, au mieux très contents, mais les psys ont considéré que le tournage apporterait une présence et une interaction intéressantes dans leur travail. A ciel ouvert est donc aussi bien une expérience cinématographique que psychanalytique, un film autant agi par son sujet qu’agissant sur et avec lui.
A la fin (aussi ouverte que le ciel) du film, pas de réponse définitive à la folie (normal, chez des lacaniens), pas d’illusion de guérison miracle, pas de happy end à l’américaine, pas de bobards rassurants, mais un accompagnement, un échange entre psys et patients moins inégalitaire qu’habituellement, où les enfants en difficulté ont quelque chose
à nous apprendre.
La méthode ciné de Mariana Otero est cousine de celle des psys du Courtil en ce qu’elle n’impose rien, ne prétend pas aboutir à un discours réifiant, reste disponible à l’imprévisible, poreuse à l’altérité, afin de faire un bout de chemin empathique avec les enfants schizophrènes à défaut de les comprendre. Déplaçant le regard en nous plongeant progressivement dans l’univers énigmatique de la psychose tout en ménageant des repères avec le regard des psys, Otero signe un film déstabilisant, une aventure près de chez nous (voire en nous) instructive, émouvante, parfois même joyeuse.
{"type":"Banniere-Basse"}