Quinze personnes s’estimant victimes de contrôles au faciès ont assigné mercredi 11 avril l’Etat et le ministère de l’Intérieur devant la justice pour discrimination. Une action collective inédite qui vise à faire avancer un débat déjà ancien.
C’est un peu Johnny versus Zemmour. Où « qu’est-ce qu’elle a ma gueule? » contre « les Noirs et les Arabes plus suspects que les autres ». L’affaire n’est pas nouvelle : en 2009, l’ONG Open Society Justice Initiative et le CNRS publiaient une enquête selon laquelle un Noir a 6 fois plus de « chances » d’être contrôlé par la police qu’un Blanc. Pour un arabe, c’était 7,8 fois plus. Entre temps, commissions nationales et européennes ont multiplié les rapports interpellant les autorités françaises. En vain.
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Face à cet immobilisme, 15 personnes soutenues par l’Open Society Justice Initiative et le collectif Contre le contrôle au faciès ont décidé de se tourner vers la justice. « On veut plus de transparence », explique Niane, un des plaignants. Et pour cause : en 2011 alors qu’il raccompagne ses frères et ses sœurs en Seine-St-Denis, un policier le soumet à un contrôle d’identité musclé : « il m’a plaqué contre un mur et m’a menacé avec son taser ». La « routine » comme motif de contrôle ? Une explication insuffisante pour ce membre du Stop au Contrôle au faciès. Depuis plusieurs mois, le collectif recueille des témoignages similaires à celui de Niane. « Notre action n’est pas dirigée contre les policiers mais contre l’Etat », souligne Sarah, une des membres de l’association.
Techniquement, les plaignants pourraient obtenir des dommages et intérêts. Mais « les attentes sont plus vastes », souligne Lanna Hallo, représentante d’Open Society à Paris. Aujourd’hui, les contrôles d’identité sont en effet les seuls actes de procédures pénales pour lesquelles il n’existe aucune trace matérielle. Difficile dans ces conditions de les contester. Pourtant, « le principe de liberté de circulation veut que toute entrave soit justifiée », rappelle Slim Ben Achour, avocat des plaignants. Les plaignants et leurs soutiens demandent donc « qu’un reçu où figurent les motifs objectifs du contrôle soit donné ainsi que la mise en place d’une commission indépendante permettant de contrôler leur régularité », précise Sarah, membre du collectif.
Un sujet clivant
L’action menée par les plaignants ne visent pas le texte du code pénal. Pourtant, l’article 72-2 s’avère suffisamment vaste pour être sujet à toutes les interprétations : il énonce en même temps que seules les personnes ayant un comportement suspect puissent être contrôlées et que « l’identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, (…)pour prévenir une atteinte à l’ordre public ». Deux questions prioritaires de constitutionnalité avait été posées en 2011 mais aucune d’elles n’a abouti. Associations, avocats, ONG espèrent néanmoins que l’assignation de l’Etat ne restera pas sans conséquence. En mars, Slim Ben Achour avait déjà interpellé le ministre de l’intérieur par une lettre. « Nous avons des démarches à effectuer », lui a-t-on répondu.
La France n’est pas la seule à se débattre avec cette question. Et en la matière, « aucun pays n’est exemplaire », estime Lanna Hollo. Fin mars, la justice allemande autorisait la police à invoquer l’apparence physique pour justifier d’un contrôle sur certaines lignes ferroviaires. Aux Etats-Unis la Cour Suprême s’est penché sur le sujet après que plusieurs états ont donné le feu vert à des contrôle aléatoire sur la population immigrée. « Mais au moins, ces pays n’ont pas nié le problème », souligne la membre d’Open Society.
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