Avec son émission mensuelle sur Clique TV, Viens voir les docteurs, le jeune politologue Clément Viktorovitch prend à rebours les formats en vigueur à la télévision. Un pari audacieux pour cet intello cathodique.
Tel l’ingénu de Voltaire débarquant en territoire inconnu – celui de l’éditocratie –, Clément Viktorovitch a fait ses premières armes sur les plateaux des talk-shows de CNews. Dans L’Heure des pros, l’émission de débat animée par Pascal Praud sur la chaîne d’info en continu, ce jeune docteur en sciences politiques a tenté pendant un an de faire entendre une parole rigoureuse et progressiste, pris en étau entre Eric Zemmour, Gilles-William Goldnadel ou encore Jean-Claude Dassier – des gens de bonne compagnie, quoi. C’est là qu’il a affûté ses lances rhétoriques. L’année suivante, dans Punchline, animée par Laurence Ferrari, le fantassin de l’argumentation faisait déjà la différence face aux zélotes de la polémique. Avec la régularité du fact-checkeur et la maîtrise de soi du moine shaolin, il a désarçonné plus d’un invité, dans un style des plus académique.
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Charlotte d’Ornellas, la journaliste préférée de la fachosphère, en a fait l’expérience lors d’une déclaration péremptoire sur l’“immigration massive” en France, le 20 septembre 2018. Avec un zen exemplaire, Clément Viktorovitch avait répliqué en énumérant des données factuelles. “On ne va pas aller sur le terrain des chiffres, vous les connaissez mieux que moi”, avait fini par battre en retraite Charlotte d’Ornellas. Face à Viktorovitch, les fantasmes identitaires font pschitt. Une qualité rare, qui trouve enfin le temps et l’espace de se déployer dans toute son envergure dans Clique, l’émission de Mouloud Achour sur Canal+ depuis la rentrée de septembre.
“Des éditorialistes vont écumer les médias pour déverser les opinions les plus outrancières »
L’intéressé y tient une chronique quotidienne baptisée Les Points sur les i, dans laquelle il décrypte les discours politiques. Le débunkeur professionnel en profite pour donner aux téléspectateurs des outils pour mieux nommer et contrecarrer les sophismes adverses. Ainsi, quand la chroniqueuse Julie Graziani rend une mère de deux enfants célibataire coupable de devoir vivre avec le Smic, le 4 novembre 2019 sur LCI, il conteste le terme de “dérapage”. Pour lui, il s’agit d’une stratégie de conquête du pouvoir par l’extrême droite, qui utilise “des éditorialistes qui vont écumer les médias pour déverser des opinions les plus outrancières possible” et ainsi faire paraître les candidats extrémistes comme raisonnables, en comparaison. La chronique de Clément Viktorovitch a été vue plus de 500 000 fois sur YouTube (et bien plus encore sur Twitter).
Porté par ce succès, il a lancé début novembre sa propre émission mensuelle : Viens voir les docteurs (référence au titre culte de Doc Gynéco). Le principe est simple : pendant une heure, Viktorovitch s’entretient avec des universitaires sur des sujets d’actualité (l’urgence climatique, les Gilets jaunes…). Soit l’antithèse du tout-venant des chaînes d’info : “Mon émission montre qu’on peut avoir des débats politiques qui sont des débats non polémiques, qui ne sont pas ancrés dans les effusions, dans la confrontation, qui n’utilisent pas les ressorts de l’émotion, qui sont dépassionnés”, nous explique ce Parisien pur jus, affable, dans un café branché du XVIIIe arrondissement de la capitale, à deux pas de chez lui.
Force est de constater que ces temps de respiration médiatique manquent à l’appel. Depuis la disparition de Ce soir (ou jamais !) en 2016, aucune émission n’accorde autant la parole aux chercheurs ni ne prend le temps d’explorer leurs divergences. Le succès d’une chaîne YouTube comme Thinkerview, qui ne diffuse que des entretiens extrêmement longs, témoigne pourtant d’une demande sociale forte en la matière. S’il rechigne à cette comparaison, considérant faire “autre chose”, il convient que son émission répond à un appel d’air commun : “Une des inspirations est un peu la même : les téléspectateurs veulent du long format, qu’on ait le temps de rentrer dans le détail. La télévision a fait le pari de la rapidité, du dynamisme à outrance, du zapping au sein même d’une émission. Je fais le pari inverse : les citoyens veulent avoir accès à des débats longs, sereins, tenus.”
« L’exploration du désaccord »
A-t-on atteint les limites de la spectacularisation du débat d’idées ? La fabrique à clashs a-t-elle fini par s’enrayer ? Le crépuscule des experts de l’expertise est-il venu ? C’est en tout cas dans cette direction que Viktorovitch veut aller : “Ce qui m’intéresse, c’est l’exploration du désaccord. Les participants ne cherchent pas à écraser l’autre pour le vaincre. Ils cherchent à le comprendre. Selon moi, c’est ce qui permet le mieux aux spectateurs de se forger leur propre opinion.”
Fondateur d’une université populaire, Politeia, et d’un concours des libres parleurs à Montreuil, ce fan d’Alain Damasio (“J’ai une admiration sans borne pour lui, autant littéraire que politique”, dit-il avec une étincelle dans les yeux) et de Cyrano de Bergerac espère contribuer ainsi à donner du pouvoir aux citoyens dans le débat public. A droite, on lui reproche d’être “un militant grimé en expert” (dixit Valeurs actuelles). Lui en rigole : “On m’accuse de me dissimuler, mais les gars, je n’ai jamais fait mystère de mes convictions ! J’ai trois convictions : je souhaite plus de redistribution de la richesse entre les citoyens, une meilleure redistribution du pouvoir au sein de la société et une prise en compte de l’urgence écologique dans toutes les décisions.” Il refuse cependant le terme de “gauche”, qui “ne veut plus rien dire aujourd’hui”. On aimerait bien avoir l’avis des docteurs à ce sujet.
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