Dans un premier roman aux airs d’anticonte moderne, Abigail Assor chronique la quête de fortune et d’ailleurs d’une jeune ambitieuse des quartiers pauvres de Casablanca.
Maroc, printemps 1994. Sur les hauteurs de Casablanca, pour célébrer l’Aïd, on s’apprête à sacrifier le mouton. Tirée par les cornes, la bête couine, ralentit le pas, mais se laisse tout de même traîner vers son destin. “Pourquoi il ne s’enfuit pas ?”, demande une jeune femme qui assiste à la scène. L’adolescent à ses côtés hausse les épaules : “Peut-être qu’il ne sait pas qu’il y a une porte.”
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La jeune femme s’appelle Sarah. Héroïne de ce premier roman réussi, elle ne veut pas comprendre, ni même envisager, la résignation de la bête docile. Elle préfère croire qu’il y a toujours une porte pour s’enfuir. Une occasion à saisir pour “faire dévier les lignes de sa vie misérable”.
Française et exilée, Sarah vit seule avec sa mère à la lisière des bidonvilles. Dans ce quartier de Hay Mohammadi où des mômes se prostituent dans les terrains vagues, où les dealers négocient le karkoubi (un violent psychotrope) et où des filles-mères abandonnent leur nourrisson dans les poubelles, par peur de finir emprisonnées. Ce quartier où la misère se vit comme une guerre à livrer chaque jour contre la violence, la corruption, la répression.
Ruelles sinistres et collines bling-bling
Déterminée à s’extraire du ghetto, Sarah « négocie par la peau » ses rêves d’ailleurs. Par les hommes qu’elle manipule, ceux qui roulent en Porsche, Rolex au poignet, l’adolescente se fait payer jeans neufs et déjeuners chics, accessoires de mode et milk-shakes à la banane. Jusqu’au jour où elle croise la route de Driss. Driss, sa moto et ses yeux de thym, sa villa avec piscine et ses traits disgracieux. Driss, plus riche que tous, « aussi riche que le roi ».
Son écriture fouille les arcanes de la cité pour en révéler les paradoxes et les abus, la vie des princes, des mendiants et des sorcières
A partir de ce canevas narratif classique mais toujours efficace – l’amour impossible entre deux amants de classes sociales opposées –, Abigail Assor tisse un roman d’apprentissage aux airs d’anticonte cruel et sensuel. Mais le texte se démarque surtout de par le portrait fascinant de la Casablanca des années 1990 qu’il propose. L’autrice nous guide dans les ruelles sinistres et les collines bling-bling de la Ville blanche, et son écriture fouille les arcanes de la cité pour en révéler les paradoxes et les abus, la vie des princes, des mendiants et des sorcières. Elle fouille pour dire les palpitations de ce fief océanique d’un capitalisme brutal mâtiné de pudeurs religieuses et de traditions patriarcales. Un piège dont on ne s’échappe pas, même quand une porte s’entrouvre.
Aussi riche que le roi (Gallimard), 208 p., 18 €, en librairie le 7 janvier
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