En 1999, avec Plus qu’hier, moins que demain, son premier long métrage, Laurent Achard auscultait avec douceur les violences d’une vie familiale. Ce premier long reparaît aujourd’hui accompagné de deux beaux courts sur l’enfance.
On semble, a priori, bien (trop) connaître le canevas de Plus qu’hier, moins que demain (1998), premier long métrage du précieux et secret cinéaste Laurent Achard – qui a signé dernièrement deux documentaires sur des artistes qu’il admire et qui l’ont inspiré, Paul Vecchiali et Jean-Claude Brisseau. Sonia, l’héroïne, revient dans sa famille après une longue absence, les sales petits secrets refont surface, la famille implose. Toute la beauté du film tient peut-être à la manière qu’a Achard d’envisager le secret : il n’est sale et petit qu’en apparence – plus intimement, tout secret appartient au mélodrame, à notre grandeur.
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Une ribambelle renoirienne de personnages
A la faveur d’une épreuve de natation, on organise un déjeuner sur l’herbe dans la moiteur de l’après-midi, l’occasion pour Achard de dérouler une ribambelle renoirienne de personnages : Sonia, papa et maman, son frère et sa sœur, Karim, un sans-papiers qui travaille au noir pour eux, puis Bernard, le petit copain de la sœur, qui est aussi le fils du patron de la conserverie du village, lui-même étant l’oncle de Sonia. On se trouve toujours, chez Achard, comme à la bordure très française du fait divers : un drame va arriver, un viol, un meurtre, et qui est évité de justesse.
Achard préfère charger sa scène de violence, mais se retire juste avant l’explosion. C’est peut-être ça, une famille française. La violence l’intéresse tant qu’on devine au-dessous une grande douceur et non, comme souvent, l’inverse. Sonia a eu une relation avec son oncle, mais c’est aussi le plus grand amour de sa vie. L’oncle, quant à lui, a construit une maison pour y vivre avec sa future femme. Sonia, désespérée, lui rappelle que cette maison devait être la leur. Alors surgit une vérité absolument mélodramatique sur l’amour : on tient à l’une une promesse qu’on avait pourtant faite à celle qui précédait. Le secret n’est pas sale, c’est, chez Achard, une douleur qui rêve encore, la matière même dont nous sommes faits.
Tout est dit des enfants qui, comme chez Dickens et Pialat, sont par essence abandonnés
Deux sublimes courts métrages accompagnent Plus qu’hier…, où l’on comprend que la clé du cinéma d’Achard, c’est le petit garçon. Le petit homme, devrait-on dire. Dans Plus qu’hier…, le petit homme voit les êtres disparaître les uns après les autres. Il espère ardemment les voir revenir (sa sœur, Karim, Kiki le chien), il croit que les gens reviennent parce que c’est un enfant. Dimanche ou les fantômes (1994) d’abord, un catalogue de scènes matricielles sur le lien entre un petit garçon et sa mère qui passent un dimanche ensemble.
Une collection de saynètes que Freud n’aurait pas mieux décrites : le grand corps maternel, sacré et érotique, la peur de la punition, la peur de l’abandon (lorsque la mère s’absente cinq minutes), les dents de lait et les cadeaux dépenaillés qu’on offre pour la Fête des mères. Tout est dit et tout est déchirant, comme si on nous restituait les préceptes de notre propre enfance. Tout est redit à l’état le plus pur, en un plan fixe, dans le chef-d’œuvre de neuf minutes La Peur, petit chasseur (2004). Tout est dit des enfants qui, comme chez Dickens et Pialat, sont par essence abandonnés. Là encore, la grandeur d’Achard est de redéfinir les mots, d’inverser les rapports connus et rebattus : les enfants sont les veilleurs, les gardiens sans pouvoir du monde adulte.
DVD Plus qu’hier, moins que demain (La Traverse), 19,90 €
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