En 2017, Audrey Venant et Mathilde Bignon ouvraient, dans l’Est parisien, les portes de leur café-fleuriste spécialisé dans les fleurs de France. En 2020, elles signent en compagnie de la floricultrice urbaine Masami Lavault un ouvrage mêlant portraits de producteur·rices de fleurs, recettes de gâteaux et conseils horticoles. Un livre engagé et féministe pour une floriculture raisonnée et respectueuse de l’environnement.
“Faire des gâteaux. Fleurir un jardin, une maison. Pratiquer des arts ménagers, somme toute. Pouvons-nous, trois femmes de trente ans, écrire aujourd’hui, en pleine conscience, un livre sur des sujets aussi domestiques ?”, s’interrogent Audrey Venant, Mathilde Bignon et Masami Lavault dans l’introduction de leur ouvrage Désirée. Pâtisser, cultiver, fleurir (éd. Tana). Un livre multifacettes qui s’envisage tantôt comme un guide pour mieux connaître les fleurs et leur saison, tantôt comme un livre de cuisine gourmand. Assurément écofémimistes, ces trois passionnées du monde végétal ont décidé de faire de ces “travaux ménagers” une profession rémunérée, s’extrayant ainsi d’une approche essentialiste. Leur ouvrage témoigne de leur vision du monde horticole et des enjeux de leur métier à l’heure du réchauffement climatique. Rencontre avec Mathilde Bignon, fleuriste militante.
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Comment a germé l’idée de Désirée ?
Mathilde Bignon – Avec Audrey, on s’est rencontrées alors que l’on était acheteuses de fromage. Ça n’a pas grand-chose à voir avec les fleurs, mais on travaillait à l’époque dans une dynamique de filière, on s’occupait de fromages AOC, donc on se déplaçait pas mal pour aller voir les producteurs. C’est comme ça que l’on s’est familiarisé aux filières agricoles. J’ai toujours aimé les fleurs, mais je trouvais que l’expérience n’était pas toujours sympa : soit c’est du low cost, soit on va chez un fleuriste, mais on se sent toujours un peu idiot parce qu’on ne connaît pas le nom des fleurs ni leur prix. On finit par sortir de la boutique avec un bouquet à 80 euros sans avoir vraiment compris comment.
Par jeu avec Audrey, on s’est interrogées sur cette filière des fleurs, comme on le fait pour le fromage. Où poussent-elles ? Quelles sont leur saison ? C’est comme ça que l’on a découvert une filière mondialisée à l’extrême avec des produits hyper traités transportés de loin, parce que les fleurs ne viennent pas que de Hollande mais aussi d’Ethiopie, du Kenya, de Colombie… En France, seulement 15 % des fleurs vendues proviennent de nos régions, alors qu’il y a des producteurs avec des savoir-faire uniques qui sont en train de disparaître. C’est en découvrant tout cela que l’on a décidé de se reconvertir et d’imaginer un lieu dans lequel on puisse à la fois se poser et acheter des fleurs.
Vous aviez envie de changer notre mode de consommation ?
Au début, pas vraiment ! Toute cette démarche de circuit court et de local, on l’a identifiée en découvrant comment les fleurs étaient produites. On s’est dit alors qu’on ne voulait pas travailler avec des produits hyper traités qui sont à la fois dangereux pour les personnes dans les champs, pour ceux qui les transportent, et pour nous, à la fin. Comme les fleurs viennent du monde entier et qu’il n’y a pas d’obligations de traçabilité et pas particulièrement de normes sanitaires sur le sujet, on se retrouve avec des pesticides qui sont interdits en Europe.
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Pourquoi mélanger les fleurs et la food ?
Dans l’alimentaire et la restauration, il y a déjà eu un changement de mentalité. On se préoccupe de manger local, du bien manger, des circuits courts et de traçabilité. Pour nous, c’était intéressant de mettre en parallèle un milieu dans lequel on se pose déjà des questions et un autre dans lequel on est totalement déconnecté. Et de faire coïncider les saisons des fleurs et ce que l’on cuisine. Mais on ne voulait pas que ce soit un livre de recettes aux fleurs. On voulait faire quelque chose comme le Manuel des Castors juniors : l’idée, c’était de pouvoir ouvrir le livre à n’importe quelle page et de se dire “tiens, on est au printemps qu’est-ce que je peux planter sur mon balcon et qu’est-ce que je pourrais faire comme recette ?”. Nous n’avons pas cherché à faire des liens entre les fleurs et les recettes, le lien est avant tout visuel. C’est un match visuel, pas logique !
Quelle place avez-vous accordée aux portraits de producteur·rices de fleurs ?
C’était un point fondamental. Il y a huit portraits, deux par saison et chaque personne incarne un mode de production. Nous avons essayé de ne pas être trop élitistes en ne montrant, par exemple, que de la biodynamie. On a voulu illustrer des modes d’exploitation qui sont viables et ne sont pas pour autant affreux pour l’environnement. C’est très rare aujourd’hui que des fleuristes aillent chez des producteurs, et les producteurs ne s’intéressent pas toujours à ce qui est fait à leur produit. Tout est très segmenté : les fleuristes sont d’un côté, les grossistes d’un autre et les producteurs encore ailleurs. Toute notre idée c’était de recréer cette dynamique, de la graine au bouquet, du producteur au transporteur jusque chez le fleuriste. C’est pour ça qu’il y a des tutos, des portraits de producteurs…
Comment Masami Lavault s’est-elle insérée dans ce projet de livre ?
Nous sommes nées presque en même temps. Désirée a été créé à l’automne 2017 et Masami a lancé la ferme à fleurs Plein air presque en même temps. C’est via une cliente designer que nous nous sommes rencontrées. On s’est rendu compte que l’on était dans des univers très proches et que l’on pouvait s’enrichir de nos démarches respectives. Pour nous, c’était important que l’ouvrage parle aussi de tout ce que l’on peut faire au jardin, de comment planter. Masami s’ancre dans cette notion de filière : une production, un résultat et quelque chose que l’on fait avec ce résultat.
Le préambule de l’ouvrage évoque aussi une approche féministe, comment l’appréhendez-vous ?
En général, les métiers comme pâtissier ou fleuriste étaient rémunérés pour les hommes, et au foyer pour les femmes. On s’est rendu compte que tous les grands fleuristes des années 60 à aujourd’hui étaient quasiment systématiquement des hommes mais, qu’en arrière-boutique, il y avait beaucoup de femmes. On voulait valoriser ce métier d’horticulteur, de fleuriste et de pâtissier comme des métiers qui peuvent être vus comme des métiers de chefs d’entreprise et pas nécessairement comme des métiers de commerçants, et que les femmes peuvent être des cheffes d’entreprise et qu’elles peuvent être sur le devant de la scène et défendre un mode de travail inclusif, à pleins d’égards.
Propos recueillis par Elsa Pereira
Désirée. Pâtisser, cultiver, fleurir d’Audrey Venant, Mathilde Bignon et Masami Lavault, éditions Tana – 27 euros
Désirée, 5 Rue de la Folie Méricourt, 75011 Paris
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