Olivier Cadiot aborde avec légèreté des questions aussi philosophiques que littéraires, et nous parle de ses angoisses.
“Pourquoi prendre des détours sans arrêt ? Pourquoi tu ne racontes pas tout simplement ce qui t’est arrivé ici ?” La phrase, en apparence anodine, est très symboliquement située au centre du livre. La question du pourquoi et comment écrire était déjà au cœur d’Histoire de la littérature récente (P.O.L), délicieux traité littéraire publié en deux tomes, en 2016 et 2017. Elle occupe une grande partie de ce roman farfelu qui semble être une mise en fiction des obsessions d’Olivier Cadiot.
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Soit trois personnages égarés mais ensemble. Un narrateur, un peu perdu depuis la mort de son demi-frère. Mathilde, qui vient de rentrer en France après trente ans passés en Inde. Elle décide d’aller s’installer dans sa vieille maison de famille en province, et le narrateur l’accompagne. Pierre, rencontré par hasard, jeune garçon qui sort de prison et semble “comme sans passé”. Sur la suggestion du narrateur, tous·tes trois vont tenter une expérience : échanger sur les questions qui les entravent, s’entraider pour s’en sortir, et entamer une nouvelle vie dont il ne cesse de redéfinir les contours : “On va tout reprendre à zéro.”
Il·elles sont comme des naufragé·es, personnages en quête de sens ou de soin, car tous·tes sont mal en point. Insatisfait de ce qu’on lui a proposé jusqu’alors, le narrateur cherche à créer une nouvelle religion, et Cadiot parsème leur recherche spirituelle de toutes sortes de situations cocasses et de rencontres improbables.
Inlassable quête artistique
Dans une conversation ininterrompue entre les personnages, où Cadiot brasse questionnements philosophiques et littéraires, le livre nous donne à lire une pensée en action, un work in progress. La musique, le théâtre, la peinture, la photographie…, les personnages se confrontent à la création artistique sous différentes formes. Lui-même dramaturge, poète, romancier, parolier de Rodolphe Burger, l’auteur de Retour définitif et durable de l’être aimé (P.O.L, 2002) réfléchit depuis trente ans à ce que recouvre le concept même de représentation.
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Ce roman creuse la question d’une manière nouvelle, à travers les diverses expériences tentées par les personnages, et leur difficulté à exprimer ce qu’il·elles vivent. Sans cesse le narrateur interroge : qu’est-ce que le réel ? n’est-il pas seulement “la manière dont nous saisissons les choses » ? Mais alors, que signifie obtenir “un effet de réel” ? Fatigué, il avoue qu’il « bute toujours sur deux ou trois questions, toujours les mêmes”.
Loin d’une démonstration théorique pesante, Cadiot sait teinter d’humour et de légèreté le désarroi de ses personnages. Il sait aussi prendre le·la lecteur·trice à témoin, transformant le texte en une aventure commune. C’est dans cet esprit qu’il multiplie les références, d’Alice au pays des merveilles à Peines d’amours perdues de Shakespeare. Moins pour le plaisir de l’érudition que pour situer son texte dans une vaste cosmologie littéraire, reliant ses propres questionnements à ceux qui ont préoccupé d’autres auteur·trices avant lui, et montre que toujours sont remises sur le métier les problématiques de langage, d’écriture, de représentation, de forme.
“Médecine générale” est un texte sur la perte, et Cadiot sait trouver les mots pour créer des images d’une fulgurante beauté
On se tromperait pourtant à regarder ce texte seulement comme une cogitation existentielle. C’est aussi et avant tout un roman bouleversant, notamment dans la relation que les personnages entretiennent avec le passé. Ils n’en finissent pas d’en scruter les traces, sondant l’accumulation d’objets dans la maison de Mathilde, ou observant avec mélancolie un paysage rural à jamais transformé. Médecine générale est un texte sur la perte, et Cadiot sait trouver les mots pour créer des images d’une fulgurante beauté. Ainsi la découverte de la maison de famille inhabitée depuis des lustres. Elle est “le musée d’un moment X où les gens seraient partis du jour au lendemain. Avec le sentiment que des pillards sont passés entre-temps.”
Cette aventure farfelue cache des gouffres, des terreurs enfouies, et ces trois personnages sont peut-être trois états de l’auteur. Le narrateur en perpétuel questionnement, Mathilde qui se souvient de la façon dont pour exister elle a fui ce qu’elle appelle l’ancien régime, Pierre qui doit apprendre à lire pour parvenir à vivre. Et leur conversation sans fin est, avant tout, le reflet d’un débat intérieur.
Médecine générale d’Olivier Cadiot (P.O.L), 400 p., 21 €
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