Habile enquête à rebondissements, ce documentaire retrace la vie et l’œuvre du magicien aux 520 films, entre premiers coups de maître, geste destructeur et miraculeuse résurrection post mortem. A voir sur Arte.
Deux lignes de force semblent cliver l’histoire du cinéma : la ligne réaliste, incarnée par les frères Lumière, et la ligne fantastique, symbolisée par Georges Méliès. Le documentaire Le Mystère Méliès d’Eric Lange démontre avec brio que ces lignes n’en finissent pas de s’emmêler. Et ce, dès les origines. En décembre 1895, c’est Louis Lumière qui invite Méliès à une projection de L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat. Une archive sonore restitue la réaction de Méliès : “Voilà mon affaire ! Un truc extraordinaire.”
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Depuis 1860, Méliès est un as des “magies théâtrales”, montées dans sa salle du boulevard des Italiens à Paris. Les trucs, c’est son truc, mais le truc du cinéma va leur donner une nouvelle ampleur. 520 films entre 1896 et 1913, et mille façons d’ourdir des féeries inouïes, dont le fameux Voyage dans la Lune (1902). Mais Méliès invente aussi les fausses actualités, notamment en reconstituant les sombres heures de l’affaire Dreyfus. Le tout distribué sur un mode populaire, voire canaille, les tenanciers de baraques foraines étant ses principaux clients.
En 1923, Méliès est ruiné et sur un coup de tête suicidaire détruit tous les négatifs de ses films
La suite de l’histoire est plus sombre. Le cinéma s’organise en une industrie qui par ailleurs le plagie sans vergogne, et la Première Guerre mondiale métamorphose la psyché de son public qui désire d’autres “évasions”. En 1923, Méliès est ruiné, et sur un coup de tête suicidaire détruit tous les négatifs de ses films. Il survit en tenant une échoppe de jouets à la gare Montparnasse, et meurt en 1938.
Le Mystère Méliès retrace la résurrection d’un héritage qu’on croyait donc perdu. C’est grâce à l’obstination de pionniers de la conservation et restauration de films tel Henri Langlois, relayés aujourd’hui par des chasseurs de trésors dont l’indispensable Serge Bromberg (Lobster Films), qu’Eric Lange peut nous conter, comme dans un polar, la découverte aux Etats-Unis de 150 négatifs originaux.
Méliès, païen notoire
Dans la foulée du documentaire, la programmation proposée par Arte permettra ainsi de voir, grâce aux moyens contemporains de la restauration, six films de Méliès dont deux splendeurs : Le Voyage à travers l’impossible (1904), branquignolade de première, et Le Royaume des fées (1903), facétie où la reine des fées se fait enlever par des diablotins multicolores.
L’autre héritage Méliès est esthétique : on peut en détecter des bribes dans des cinématographies aussi distantes que celles de Godard et de Tim Burton, ou à la télévision dans l’œuvre de Jean Christophe Averty. Mais aussi dans des citations plus discrètes : par exemple dans La Règle du jeu de Renoir (1939), où une danse macabre fait de l’œil aux sarabandes sataniques orchestrées par Méliès. Chez ce païen notoire, les mort·es rigolent et les fantômes frétillent. C’est ça aussi, la vie.
Le Mystère Méliès d’Eric Lange (Fr., 2020, 59 min). Le 10 janvier à 0h30 sur Arte (suivi de six films de Georges Méliès) et sur arte.tv jusqu’au 9 mars
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