A l’occasion de la sortie de Soul de Pete Docter le 24 décembre sur Disney+, petit tour d’horizon des films où virevoltent les âmes avant d’atterrir (souvent) dans un corps étranger.
Le body swap movie est devenu un sous-genre cinématographique à part entière, le plus couramment originaire des teen movies. Son intrigue prend pourtant des allures de conte métaphysique poussé, capable de faire frémir les plus grands philosophes : on y entrevoit une âme quittant son enveloppe charnelle originelle pour atterrir dans le corps d’un autre, le temps de tirer les leçons nécessaires de cette expérience radicale.
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Le jeu de la permutation permet aux scénaristes de s’en donner à cœur joie : un enfant peut prendre l’apparence de son grand-père (Papy junior), une mère celle de sa fille (Freaky Friday) ou carrément un vieil homme celle d’une jeune mariée, le temps d’une lune de miel en Jamaïque (Le Baiser empoisonné). Le plus drôle reste souvent la nature même du terrible maléfice : un fétiche indien (Turnabout), une table de ouija (Alison’s Birthday) ou encore une opération chirurgicale bancale (Solo pour deux).
Au détour de quelques gags appuyés, ces comédies d’apparences légères viennent en réalité questionner frontalement nos sociétés et leurs modes de fonctionnement. Surtout, elles viennent afficher ostensiblement la puissance jouissive du cinéma, grand illusionniste qui n’en finit plus de nous émerveiller depuis un certain Voyage dans la Lune.
Au revoir, Charlie de Vincente Minnelli (1964)
Dans l’un de ses derniers longs-métrages, le maître de la comédie musicale n’hésite pas à renouer avec les scénarios truculents de ses débuts. Rappelons que son premier film, Un petit coin aux cieux, voyait Lucifer et Dieu se disputer l’âme d’un joueur incorrigible, Little Joe (Eddie Anderson). Toujours dans des décors très soignés, il est question cette fois d’un producteur qui surprend sa femme avec un autre et lui tire dessus. Pourtant passé à travers le hublot d’un bateau, l’amant réapparaît bientôt sous les traits d’une jolie blonde (Debbie Reynolds) qui décide alors de se venger de son meurtrier, sous les yeux ahuris d’un ancien ami (l’excellent Tony Curtis). Avec cette comédie adaptée d’une pièce de George Axelrod, Minnelli signe un film mineur mais prouve encore qu’il n’a pas perdu le sens du rythme et de l’extravagance.
I Are You, You Am Me de Nobuhiko Ôbayashi (1982)
Figure de l’avant-garde expérimentale japonaise des années 1960, Nobuhiko Ôbayashi n’a jamais eu peur d’être taxé de marginal. Abordant un style plus conventionnel au début des années 1980, il décide tout de même de pimenter son récit d’apprentissage adolescent. Sur le chemin de retour du lycée, Kazumi et Kazuo font une chute près d’un temple et se retrouvent chacun enfermé dans le corps de l’autre. Grâce aux deux performances inoubliables de ses jeunes acteurs, le cinéaste explore – autant par l’humour que par le drame – la recherche de leur identité sexuelle propre. Sous ses apparences de comédie, cette adaptation du roman de Hisashi Yamanaka interroge brillamment les rôles genrés d’une société japonaise très conservatrice.
Big de Penny Marshall (1988)
Ne pouvant accompagner sa dulcinée dans une attraction de fête foraine à cause de sa petite taille, Josh fait le souhait de devenir plus vieux. Un curieux génie robotique exauce son vœu et, à son réveil, l’enfant approche déjà la trentaine. Le rôle permet à Tom Hanks de dévoiler ses talents comiques, récompensés d’ailleurs d’un Golden Globe. Le succès du film sera tel qu’il offrira la notoriété à Penny Marshall, première réalisatrice à récolter plus de 100 millions de dollars pour un film aux Etats-Unis. Au-delà de la comédie grand public, Big offre un regard nostalgique sur l’enfance et une plongée irrésistible dans les années 1980, coupe mulet à la pelle et piano électronique géant en prime.
Dans la peau d’une blonde de Blake Edwards (1991)
Connu pour son humour caustique, le célèbre Blake Edwards déploie un scénario jouissif pour son avant-dernier film : un play-boy (Perry King), macho à souhait, se fait tuer par trois anciennes conquêtes lors d’une ultime orgie. Ayant une chance d’entrer au paradis s’il trouve la femme de sa vie, il accepte de revenir sur terre. Mais Satan s’en mêle et le voilà de retour en grande blonde pulpeuse (Ellen Barkin). Dans cette nouvelle version du film Minnelli, le cinéaste se joue des stéréotypes de genre, une réflexion déjà creusée dans ses nombreux autres longs-métrages.
Volte-face de John Woo (1997)
Quoi de plus culte que le face-à-face de John Travolta et Nicolas Cage ? John Woo n’a pas peur du ridicule, c’est bien connu. Pour son troisième film à Hollywood, il installe les deux vedettes dans un récit délirant : un agent du FBI échange son visage avec celui de son pire ennemi, un terroriste psychopathe, dans le but de trouver son frère et l’emplacement secret d’une bombe. Une fois démarré, le film s’accélère dans une course nerveuse mais contient tout de même ses immanquables fusillades au ralenti. Volte-face concentre décidément le meilleur (ou le pire) des années 1990. Trois ans auparavant sortait La Machine de François Dupeyron avec Gérard Depardieu et Didier Bourdon, une version française plus psychologique que son successeur – la comparaison entre les duos vaut le détour.
Dans la peau de John Malkovich de Spike Jonze (1999)
Nombreuses sont les techniques imaginées pour habiter le corps d’un autre. Loin des séances de spiritisme ou des coups de foudre miraculeux, Spike Jonze choisit d’installer une porte minuscule derrière l’armoire du bureau d’un fonctionnaire. Ce n’est pas Alice qui découvrira le pays des merveilles mais un marionnettiste raté (John Cusack) qui accédera au cerveau du comédien John Malkovich. Poussant le délire jusqu’au bout du conte, les protagonistes y voient l’occasion de faire fleurir un business : qui ne payerait pas pour être quelqu’un d’autre durant une quinzaine de minutes ? Avec Charlie Kaufman au scénario, à qui l’on doit notamment Eternal Sunshine of the Spotless Mind, le premier long-métrage du roi du clip ne manque pas d’audace et ne faiblit jamais, même en épuisant son idée. Malkovich ? Malkovich !
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Freaky Friday de Mark Waters (2003)
Non moins culte, le teen movie Freaky Friday – remake d’Un vendredi dingue, dingue, dingue de Gary Nelson (1977), lui-même adapté du roman de Mary Rodgers – a traumatisé plus d’une génération d’adolescentes par son concept : échanger son corps avec celui de sa mère. Si le premier film voyait s’affronter Barbara Harris et Jodie Foster, c’est cette fois la sulfureuse Lindsay Lohan qui doit rentrer dans le tailleur de Jamie Lee Curtis. Outre quelques détails douteux (la vieille dame chinoise qui lance la malédiction) et une reprise terrible de Britney Spears par le blondinet du lycée (Chad Michael Murray, des Frères Scott), le scénario remplit largement son contrat de bon divertissement du dimanche : top 3 des plaisirs coupables à coup sûr.
https://youtu.be/UShtvCen6So
Enter the void de Gaspar Noé (2010)
Jusqu’à maintenant, intervertir les âmes de ses personnages semblait être un ressort comique imparable. Heureusement, Gaspar Noé est là pour remettre les pendules à l’heure. Après s’être fait froidement abattre dans les toilettes d’un bar (“The Void”) à Tokyo, Oscar (Nathaniel Brown) – ou plutôt son âme – refuse de quitter la terre suite à la promesse faite à sa sœur (Paz De La Huerta) de rester toujours à ses côtés. Entre l’enfer du trip sous LSD et le paradis des souvenirs ensoleillés de l’enfance, le purgatoire ressemble à une errance au sein des clubs de strip-tease de la capitale nippone. Dans un dernier coup d’audace (ou de provoc), l’âme ira se réfugier dans un vagin en plein coït incestueux pour renaître une seconde fois.
https://youtu.be/hwTmc8L8TaA
Your Name. de Makoto Shinkai (2016)
Deux adolescents japonais rêvent, sans se connaître, de la vie de l’autre. Un matin, ils ont définitivement interverti leurs corps. Enorme succès au box-office japonais, le film d’animation de Makoto Shinkai a placé son auteur au même rang qu’un certain Miyazaki (le film dépassant Le Voyage de Chihiro au box-office). Your Name. réanime les questions soulevées par son prédécesseur, I Are You, You Am Me en 1982, sur les stéréotypes de la société nippone. Il décide toutefois d’emmener ses personnages plus loin, sur fond d’apocalypse, et s’engage alors une vraie réflexion sur l’espace et le temps. Grâce une esthétique sublime portée par les dessins de paysages grandioses, on se laisse volontiers aller au lyrisme et au romantisme fleur bleue teenage.
Soul de Pete Docter (2020)
Joe Gardner (auquel Omar Sy prête sa voix pour la VF) est un professeur de collège passionné de jazz. Alors qu’il s’apprête à concrétiser son rêve, il meurt accidentellement et le destin le fait atterrir au Grand Au-Delà, une destination qui ressemble étrangement au paradis et où les âmes se retrouvent avant de se diriger vers une forme humaine. Là, il rencontre 22 (Camille Cottin), une âme peu encline à retourner sur terre. Comme dans son précédent film Vice Versa, Pete Docter continue son pari d’explorer des terrains métaphysiques inattendus tout en gardant l’esprit et l’humour imparable de la firme Pixar. Soul promet d’être la dernière bonne nouvelle de cette année, d’un cinéma de tous les possibles qui interroge brillamment notre quotidien.
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