Les masques couvrant le visage sont devenus une norme que ne connaissait pas l’Europe jusqu’à la pandémie de Covid-19 cette année. Décryptage de sa symbolique sociale et intime.
Si les masques chirurgicaux sont monnaie courante dans d’autres pays, ils constituent une véritable nouveauté en France depuis la pandémie de Covid-19. Et ils remettent en perspective nombre d’enjeux autour de l’identité, de l’intimité, de la sociabilité ou encore du contrôle des foules. Les Inrockuptibles ont interrogé Alice Litscher, professeure référente de la Majeure Image du Master of Arts in Fashion Design de l’Institut Français de la Mode, au sujet de cet objet tristement symbolique de l’année 2020, et de l’impact qu’il a sur nous.
Quelle est l’origine des masques en Europe ?
Alice Litscher – Avant que la norme actuelle ne devienne le masque de protection chirurgicale, le masque n’était qu’un déguisement qui couvrait la partie supérieure du visage, contrairement aux chirurgicaux actulels qui couvrent la partie inférieure.
Ce que les deux ont en commun est le fait qu’ils couvrent le nez. Au XVIIe siècle, à défaut de posséder des papiers d’identité, l’accoutrement révélait notre place sociale. Alors, si l’on était pris à porter des vêtements qui n’étaient pas ceux de notre appartenance sociale, on était condamné pour usurpation d’identité. Une punition fréquente était alors de couper le nez de la personne, de la défigurer – très littéralement.
En France, comme en Europe, le port du masque reste quelque chose de très neuf, personne n’était préparé à cette pandémie. En Chine, en Corée ou encore au Japon, le masque est dans les mœurs depuis des décennies. L’Asie a déjà essuyé plusieurs pandémies, les habitants craignent la pollution et le soleil, alors quand le Covid-19 est arrivé, ils étaient bien plus habitués et armés pour répondre à ces besoins sanitaires.
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Que symbolise le masque?
Non seulement nous sommes limités en termes de temps et d’espace avec le confinement, le couvre-feu ou encore les déplacements dans un rayon limité, mais avec le masque, cette réalité physique nous est davantage encore ôtée car nous voilà, en quelque sorte, “défigurés” : on nous empêche d’être reconnaissables. Nous faisons face à une dissolution de notre propre identité dans l’espace public, un jeu de transformation de l’identité qui n’avait jamais existé autrement que par le carnaval. Tout au long de l’histoire, le carnaval a permis, le temps d’un jour, de renverser sa propre identité, mais cette tradition a disparu.
Que penser de la mode qui a aujourd’hui intégré les masques dans toutes ses collections ?
Avant la pandémie, quelques marques, dont Marine Serre, avaient imaginé des masques dans leurs collections – dans une quête d’identité post-apocalyptique mais aussi dans une démarche de répondre aux besoins du marché asiatique. Aujourd’hui, le masque s’est totalement banalisé, il y en a absolument chez toutes les marques, à tous les prix : chez Uniqlo par exemple, il est vendu comme une culotte. Il fait partie de nos accessoires quotidiens, nous touche la peau, et peut d’ailleurs être envisagé comme une culotte du visage, entre objet médical, hygiénique et vêtement.
Que vient changer le masque dans nos échanges quotidiens ?
C’est une atteinte à notre identité, qui a des conséquences psychologiques. Cela affecte nos rencontres avec des nouvelles personnes, à qui, par exemple et tout simplement, on ne peut plus dire bonjour comme d’habitude. On ne voit personne, on n’est plus vus, il y a quelque chose de débilitant. On n’est plus qu’un être de survie organique, ou un esprit pur, mais la tendresse, la tactilité, la surprise, l’improvisation, toutes les échappatoires à nos contraintes quotidiennes disparaissent, tout n’est plus qu’obligation et cela a vraiment quelque chose d’aliénant.
Propos recueillis par Alice Pfeiffer
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