Dans le cadre de “La Manutention-Performeurs en résidence” du Palais de Tokyo, l’artiste scénographe et directrice artistique Cécile di Giovanni s’allie à une autre artiste, la chanteuse à voix Mathilde Fernandez, pour un triptyque autour de l’être ensemble, de la destruction du monde, des rituels cathartiques et du sauvetage de l’humanité. Beau et vaste programme.
Comment dire sans tout dire ? Au cœur de la performance proposée par Mathilde Fernandez et Cécile di Giovanni au Palais de Tokyo dans le cadre du programme “La Manutention”, il y a tout cet effet de surprise. Il faudrait y aller les yeux fermés et découvrir tout, d’un coup. Mais voilà, nous nous sommes résolus à écrire dessus. Impossible de rester muette face à “Ensemble, enfants perdus”, premier volet de cette collaboration qui s’égrène sur trois dates, trois chapitres d’une grande histoire inventée, mais pas tellement finalement. C’est bien le monde dans toute sa dramaturgie et son chaos qui s’expose au gré de tableaux, comme autant de scènes d’un clip qui aurait été transposé IRL.
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Un jeu effrayant
Une bande de grands enfants (interprétrés par le Groupe Vengeance) prisonniers d’une dictature – ou prisonniers de notre monde actuel… – s’amusent dans des tenues mi-guerrières mi-techno, noires et vert fluo. L’artiste scénographe Cécile di Giovanni joue la matrone, la garde, la vigile, cicatrices sur le visage encapuchonné. Pas de dialogues ici, mais une vaste chorégraphie a-chorégraphiée, prémisses d’une danse, comme celle exécutée avec nonchalance par ce jeune homme au crâne rasé, le torse à demi-nu, accroché à un panier de basket. Variation sur une chorégraphie urbaine maintes fois captée d’un coup d’œil en passant à proximité d’un terrain, mais poussé un peu plus loin, jusqu’à ce qu’il se prenne pour une chauve-souris endormie, pendu par les pieds, les bras en croix, les yeux clos.
Là se joue le plus beau tableau en clair-obscur de cette pièce atypique qui met en scène et détourne des symboles contemporains pour mieux jouer la familiarité avec un monde pourtant dystopique. Tout y est joueur et effrayant, d’une étrangéité fugace, bon enfant et féroce, petite musique de l’inquiétant au beau milieu de références communes, d’une naïveté enfantine.
Au fond de la pièce, un clip animé signé Claudia Maté représentant des enfants dansant en ronde autour d’un crocodile immobile devant une maison en flammes trouve sa réplique dans une véritable chorale de blanc vêtue entonnant des chants, en cercle autour d’un crocodile taille réelle mais en plastique. Impossible de ne pas penser à Kanye West, son album de gospel, ses Sunday Services et son délire messianique devant cette image qui mêlent références à la spiritualité, à la secte, aux hippies et à l’hôpital psychiatrique, surtout lorsque le groupe se met à marcher en cercle, les mains sur les oreilles, pour se protéger des agressions auditives d’un crieur. Perché sur une scène, le performeur Jérôme Grivel pousse des cris, guitare électrique en mains, entre noise, expression de douleur et de rage, appel au sursaut international et secousse électrique. Un skateur masqué skate, la bande du Groupe Vengeance se balance sur des pneus.
Au bord du drame
C’est notre monde renversé, inversé, secoué, repeint en noir qui s’expose sous nos yeux. Mathilde Fernandez, moitié du duo Ascendant Vierge, déboule non pas sur scène mais au sol, elle aussi de blanc vêtu, petit ange au visage encadré de tresses Greta Thunberg-esque, pour déclamer un discours de prise de conscience écologiste. Un final en forme de critique collapsologiste d’un monde au bord du drame. Sauvé tout de même par l’anachronisme et la beauté du titre La nuit n’en finit plus de Petula Clark que Mathilde Fernandez fait retentir sur son téléphone, “j’ai des idées noires en tête/et la nuit me paraît si longue, si longue, si longue”, chant d’amour, de solitude, de silence, de désespoir, effrayante de nuit et de mort.
Intriguant, le reste de la proposition mériterait peut-être d’installer encore davantage un climat d’angoisse et d’effroi, de briser le quatrième mur pour embrasser l’immersif. Le tout rappelle certaines performances des Barcelonais La Fura Dels Baus, comme Manes qui mettait en scène une bande d’hommes et de femmes préhistoriques, sauvages, déchirant des bouts de viande crue à coups de dents pour mieux nous renvoyer à notre état de nature. Ici, l’idée est plus futuriste mais pas moins primale (d’où le cri, sûrement), et le SOS clignote gravement, de toute part.
Mathilde Fernandez & Cécile di Giovanni, les jeudi 12 et 19 décembre, à partir de 19h, au Palais de Tokyo. Plus d’infos ici.
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