Ringard, le pâté en croûte ? Que nenni. Sur Instagram, chef·fes et foodistas de tous poils se félicitent à coups de hashtags de la découpe stylisée de leur charcuterie pâtissière.
Vous dites plutôt pâté en croûte ou pâté croûte ? “C’est un peu comme pain au chocolat et chocolatine, mais en moins virulent”, s’amuse Nicolas Vérot, spécialiste ès charcuterie, à la tête avec son père Gilles de la Maison Vérot. Dans leur livre Terrines, rillettes, saucisses & pâtés croûte publié en octobre dernier aux éditions du Chêne, le vice-champion du monde de Pâté croûte 2011 originaire de Saint-Etienne a tranché : pour lui, ce sera “pâté croûte”. Mais peu importe l’appellation, l’objet reste le même : “Un pâté cuit dans un assemblage de pâtes brisées.” Une charcuterie longtemps jugée ringarde et qui fait son grand retour notamment grâce aux réseaux sociaux. Qui eut cru qu’Instagram participerait à rendre le pâté croûte sexy ?
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Le championnat de Pâté croûte
Comment expliquer cet engouement ? Pour Nicolas Vérot comme pour Julien Perret, créateur du compte Instagram Pâté en croûte France, les championnats du monde, organisés depuis 2009, ont assurément contribué à le remettre au goût du jour. “Lorsque les championnats ont lieu et que le gagnant de l’année est déterminé, tous les médias food en parlent. Et je pense que ça fait rire les gens, qu’ils cliquent sur ces articles juste parce que le titre ressemble à du kamoulox”, lâche Julien Perret.
En cinq ans environ, selon Nicolas Vérot, les ventes ont été multipliées par quatre. Pourtant, le pâté croûte revient de loin : bourré de colorants, vendu sous vide avec sa bande de foie gras grisâtre, il faisait triste mine sous les néons des supermarchés. “C’est un produit qui a beaucoup souffert de l’industrialisation. Enormément de personnes ne connaissaient que le goût du pâté en croûte industriel, et bien sûr personne n’avait envie de manger cette chose assez infâme. Aujourd’hui, les artisans s’en sont remparés”, analyse le charcutier. “Certains d’entre eux ont montré que les produits traditionnels sont loin d’être ringards, si on les traite bien. Ils peuvent être jolis, pas forcément gras et suivre les saisons. Ils s’insèrent dans tous les enjeux de la cuisine actuelle.”
Exit l’image désuète, le pâté croûte cultive désormais une réputation de produit du terroir raffiné qui demande de la technique, de la minutie et de la créativité. Des valeurs plébiscitées à longueur de saisons par les juré·es Top Chef et autres Meilleur pâtissier. “C’est un produit très complexe. Dans un pâté en croûte, il y a un bouillon qui cuit plusieurs heures pour faire une gelée, il y a du désossage et de la marinade de viandes, un travail de pâtisserie… Il y a énormément de techniques pour réaliser une recette, ce qui fait aussi qu’il était un peu tombé en désuétude, parce que c’est un produit qui est hyper manutentionné si on veut le faire bien”, explique Yohan Lastre, traiteur et champion du monde de pâté en croûte en 2012.
Outre le savoir-faire qu’elle requiert, cette charcuterie-star se révèle être un terrain de jeu infini. Farce à base de viande de colvert marinée pendant 48 heures dans un vieux cognac russe et du vin blanc, accord terre/mer, réalisé à partir de concassé de tomates et caviar d’aubergines fumées ou encore sucré à la rhubarbe et aux fraises Mara… Chez le charcutier comme sur Instagram, les pâtés croûte se suivent mais ne se ressemblent pas.
“Ce sont de véritables sculptures”, s’amuse James Henry. Le 29 novembre dernier, le chef australien a vu son compteur de likes exploser en postant sur le réseau social une photo d’un pâté en croûte végétal. “Dans un monde digital comme le nôtre, plus quelque chose est photogénique, plus il est populaire.”Cédric Grolet, le héraut de la pâtisserie en trompe-l’œil qui affole les réseaux sociaux à chaque nouveau post, ne démentira pas ces propos.
Si la tranche de pâté croûte ne rivalise pas encore avec le Paris-Brest, il mobilise une communauté d’aficionados, prêts à mettre la main à la pâte et au porte-monnaie.
Pour faire vivre son compte Instagram, Julien Perret a imaginé une mascotte nommée Jean-Croûte (et qui possède son propre Instagram), qu’il photographie au fil de ses errances dans les cuisines des charcutiers. Une peluche en forme de pâté en croûte qu’il propose désormais à la vente. “En deux semaines, plus de 400 Jean-Croûte étaient vendus, raconte Julien. J’ai même reçu des demandes de marques chinoises et anglaises qui veulent organiser des concours.” Une de ses amies, Elodie Petit, fait partie des amatrices qui s’essayent au fait maison. Pendant le confinement, la journaliste, gourmette invétérée, a décidé de se lancer le défi : après avoir façonné une pâte à l’heure du déjeuner, elle a fait mariner un filet mignon dans du martini bianco. “Si je n’avais pas été confinée, je n’aurais certainement pas eu le temps de faire un pâté en croûte. Ça demande du temps, ce n’est pas quelque chose que l’on improvise pour le dîner du soir”, confie-t-elle.
Pour Julien Perret comme pour Elodie Petit, le retour en grâce s’explique notamment par un subtil changement de communication. “En cuisine comme pour les vêtements, il y a des modes. C’est cyclique, le désuet d’hier est à la mode aujourd’hui. Ce qui change par rapport à avant, c’est qu’il y a maintenant des ‘égéries’ comme Nicolas Vérot. On est loin de l’image du charcutier avec un tablier taché de sang”, analyse Elodie. La Maison Vérot l’a bien compris, sur Instagram, leurs posts sont signés par des photographes en vue comme The Social Food ou Lucie Sassiat. Les photos sont épurées, les mises en scène propres. “C’est la confrontation de l’ancien et du nouveau monde, c’est pour ça que ça marche”, ajoute Julien Perret.
A la fois traditionnel et contemporain, le pâté en croûte surfe assurément sur la vague qui plébiscite le travail artisanal à sa juste valeur. “Je pense aussi qu’aujourd’hui, les personnes sont plus sensibles à l’artisanat, au savoir-faire, aux produits qui mettent du temps à être réalisés”, conclut James Henry. Sous sa pâte croustillante, le pâté croûte cache bien son jeu, à la fois ringard et branché, terroir et contemporain. Il suffit d’ailleurs de croquer dans un Bành Mi en croûte (Maison Vérot x Phamily First x Céline Pham) ou d’essayer le filtre pâté en croûte sur Insta pour comprendre que la charcuterie, désuète ou non, a de beaux jours devant elle.