Des travailleuses du sexe à l’écoféminisme en passant par le “génie lesbien” et la culture du viol, l’année 2020 a été riche en ouvrages féministes enthousiasmants et importants. Voici notre sélection.
Une théorie féministe de la violence, de Françoise Vergès (éd. La Fabrique)
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Féminicides, viols, agressions, harcèlements… Si les mots pour désigner les violences sexistes et sexuelles ne manquent pas pour décrire une triste réalité, comment qualifier celle des institutions ? C’est la question que soulève la politologue et militante décoloniale Françoise Vergès dans son nouvel essai Une théorie féministe de la violence – Pour une politique antiraciste de la protection (éd. La Fabrique). Françoise Vergès y dresse une critique du recours à la police et à la judiciarisation des problèmes sociaux et offre une réflexion sur “la violence comme élément structurant du patriarcat et du capitalisme, et non comme une spécificité masculine”. Et nous encourage à repenser l’obsession étatique punitive au profit d’une protection communautaire et d’une justice davantage réparatrice. FM
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Le Génie lesbien, d’Alice Coffin (éd Grasset)
Critiqué par certains, encensé par d’autres, Le Génie lesbien a marqué les esprits de 2020 avec trois phrases, situées page 39 : “Il ne suffit pas de nous entraider, il faut, à notre tour, les éliminer. Les éliminer de nos esprits, de nos images, de nos représentations. Je ne lis plus les livres des hommes, je ne regarde plus leurs films, je n’écoute plus leurs musiques.” Isolé de son contexte, ce paragraphe a été accusé de dérouler un tapis rouge à la misandrie. Un interstice dans lequel les éditorialistes de droite se sont précipités. Sauf qu’ici Alice Coffin ne s’intéresse pas tellement au cas des hommes mais fait plutôt la courte échelle aux artistes femmes invisibilisées par notre société patriarcale. “Les femmes doivent se battre sur un terrain qui a été construit pour faire triompher des hommes”, rappelle-t-elle, et c’est à ce titre qu’elle lit plutôt Zadie que Ian, écoute plus volontiers Angèle que Patrick. Le reste du livre vaut lui aussi la peine d’être lu. EP
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Je suis une sur deux, de Giulia Foïs (éd Flammarion)
“Le viol est une déflagration. La première, celle qui déclenche les hostilités. Il est une déclaration de guerre. Parce qu’il t’a prise pour cible et qu’il a voulu te détruire. Parce que tu pourrais bien terminer le boulot, achever ce qu’il reste de toi, encouragée par le monde autour à ne jamais te relever.” C’est par ces mots forts et acérés que Giulia Foïs raconte le viol dont elle a été victime. Elle avait 20 ans et travaillait comme hôtesse d’accueil au festival d’Avignon. Entre dissociation et résilience, elle répond à la douloureuse question : “Ça fait quoi un viol ?” La journaliste de France Inter parle de sa reconstruction, de la culture du viol – “un vide plein de confusion où tout se mélange” – mais aussi de l’acquittement de l’accusé… Puissant. FM
Pourquoi les femmes ont une meilleure vie sexuelle sous le socialisme, de Kristen R. Ghodsee (éd. Lux)
Voici, sans doute, le meilleur titre de l’année. La thèse de ce livre peut se résumer comme tel : le capitalisme nuit gravement aux femmes, à leur libéralisation, mais aussi à leur sexualité. Dans les années 80, à la question “Etes-vous heureuse après l’amour ?”, 52% des habitantes de l’Allemagne de l’Ouest répondaient “oui”, alors qu’elles étaient 82% à l’Est. “En l’absence de régulation, le capitalisme est mauvais pour les femmes, et celles-ci ont tout intérêt à ce que nous reprenions certaines idées du socialisme. Mis en oeuvre correctement, il favorise leur indépendance économique, garantit de meilleures conditions de travail, et un meilleur équilibre entre travail et vie de famille, et oui, contribue, à une sexuaité plus épanouie”, démontre la chercheuse américaine Kristen Ghodsee, spécialiste des études de genre et du post-socialisme. Cette théorie est la conclusion de vingt années de recherches dans les pays de l’ancien bloc de l’Est, où elle s’est intéressée aux répercussions de la transition du socialisme d’Etat au capitalisme sur le quotidien des femmes. Un livre à mettre à tout prix au pied du sapin pour votre pote de droite… FM
La vérité vous libérera mais d’abord elle vous mettra en rage, de Gloria Steinem (éd. Harper Collins)
Gloria Steinem a le goût des mots et des slogans. Ceux qui rassurent, amusent, inspirent, et qu’elle surnomme la “poésie du quotidien”. Farouche opposante à Donald Trump et militante chevronnée, nul doute que le titre de son nouveau livre a quelque chose de provocateur : La vérité vous libérera mais d’abord elle vous mettra en rage – Réflexions sur l’amour, la vie, la révolte. Elle y chronique sa vie et sa carrière à travers toute une collection de citations récoltées lors de ses voyages ou auprès de ses amies (Audre Lorde, Maya Angelou, Alice Walker, Flo Kennedy, bell hooks…). Une compilation aux airs de mantrasqui ne donnent qu’une seule envie : faire la révolution. FM
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Tout le monde peut être féministe, de bell hooks, traduction de Alex Taillard (éd. Divergences)
“Depuis le moment où la pensée, le mouvement politique et la pratique féministes ont changé ma vie, j’ai voulu ce livre.” C’est par ces mots que débute le dernier livre de bell hooks, Tout le monde peut être féministe, traduit par Alex Taillard. Cet ouvrage théorique se veut avant tout clair, concis, et accessible à tout·es pour répondre à la question suivante : “Qu’est-ce que le féminisme ?” Lassée d’entendre toutes sortes de sottises et préjugés sur les théories féministes, la militante et intellectuelle africaine-américaine a voulu remettre les points sur les i. Non le féminisme ne revient pas à haïr les hommes, il s’agit d’“un mouvement qui vise à mettre fin au sexisme, à l’exploitation et à l’oppression sexiste”, nous explique-t-elle. De l’éducation à la sexualité en passant par le genre et la race, ce manuel revient sur tous les grands thèmes qui bouleversent le féminisme en 2020. Sans éluder leurs échecs, bell hooks propose ici une théorie féministe profondément optimiste. Un ouvrage à offrir à tou·tes les aspirant·es féministes. FM
La puissance des mères, Pour un nouveau sujet révolutionnaire, de Fatima Ouassak (éd. La Découverte)
Les mères sont-elles l’“angle mort du féminisme” ? C’est ce qu’affirme Fatima Ouassak, cofondatrice du Front des mères et présidente de l’organisation féministe Réseau Classe/Genre/race qui enjoint les mères “à se muer en sujets politiques”. Dans son premier essai paru cet été, elle invite les mères, trop “souvent boudées par les féministes et longtemps figées dans la représentation aliénante de la maternité” à briser les carcans présupposés. Les mères doivent rompre avec tout ce que l’on attend d’elles dans l’espoir de faire émerger un nouveau projet politique, pour “bâtir un autre monde”. FM
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Ne nous libérez pas, on s’en charge, de Bibia Pavard, Florence Rochefort, et Michelle Zancarini-Fournel (éd. La Découverte)
L’histoire des féminismes depuis la révolution française a (enfin) son manuel. Lassées de ne pas savoir quoi répondre à leurs étudiant·es de l’EHESS qui leur demandaient régulièrement un livre de référence paru récemment, trois historiennes s’y sont attelées. Résultat : Ne nous libérez pas, on s’en charge, un gros morceau de 500 pages, signé par Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel, aux éditions La Découverte. Du “féminisme bourgeois” au mouvement #MeToo en passant par les féminismes noirs, l’ouvrage ré-introduit “les conflits de classe, de race et de genre dans les récits historiques”. Le tout dans une perspective intersectionnelle qui rappelle combien les féminismes sont diverses. Un manuel passionnant, qui fait d’ores et déjà référence. FM
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Clit révolution : manuel d’activisme féministe, de Sarah Constantin et Elvire Duvelle-Charles (éd. des femmes)
Sarah Constantin et Elvire Duvelle-Charles sont journalistes, réalisatrices, activistes féministes et rodées dans l’art de la rébellion. C’est sur les bancs des Femen que les deux femmes se rencontrent et s’initient aux happenings féministes. Fortes de leurs expériences, elles imaginent Clit Révolution, une série documentaire diffusée sur France tv slash dans laquelle les deux activistes invitent les femmes à prendre conscience du pouvoir politique de leur corps. Dans leur manuel d’activisme féministe illustré par la géniale Alice Des, Sarah et Elvire déroulent de nombreuses pistes pour agir : des conseils pour s’organiser, s’équiper ou encore se regrouper. Un guide pratique qui va droit au but et donne armes et courage aux militantes en herbe. EP
Après la pluie, horizons écoféministes, de Solène Ducrétot et Alice Jehan (éd. Tana)
Qu’est-ce que l’écoféminisme et qui sont les écoféministes ? Quels sont les liens qui existent entre la lutte contre le patriarcat et la protection de l’environnement ? Dans un ouvrage choral hautement pédagogique, Solène Ducrétot et Alice Jehan du collectif Les Engraineuses (organisatrices également du festival Après la pluie) explorent les multiples visages de l’écoféminisme en France. Un état des lieux dans lequel elles convoquent des philosophes, des économistes, des réalisatrices, des poétesses ou encore des militantes écologistes. En s’extrayant du préjugé tenace qui consiste à réduire l’écoféminisme à une essentialisation des femmes, les autrices parviennent à aborder une foule de thèmes et de questionnements. Interviews, poèmes, illustrations, réflexions : l’ouvrage rend compte dans le fond comme dans la forme du foisonnement des pratiques écoféministes. EP
Vilaines filles – Les travailleuses du sexe, les clientes et la journaliste, de Pauline Verduzier (éd. Anne Carrière)
La dichotomie qui séparerait les femmes “respectables” des “vilaines” est-elle aussi manichéenne que l’on croit ? Et si nous avions toutes un jour porté en nous “les stigmates de la putain” ? Définis par la psychosociologue féministe Gail Pheterson, ils viseraient à sanctionner les transgressions vis-à-vis des caractéristiques supposées “féminines” afin d’en contrôler les sexualités. Des contradictions qui pèsent en permanence sur toutes les femmes, mais encore davantage sur certaines. Quand elles ne sont pas invisibilisées, les récits des travailleuses du sexe sont (trop) souvent stigmatisés. A l’heure où les prostituées sont dans une détresse financière extrême depuis le début de la crise sanitaire, c’est à elles que la journaliste Pauline Verduzier a choisi de donner voix. Ainsi qu’aux clientes elles-mêmes. Mêlant enquêtes, reportages, et témoignage personnel, elle interroge la notion de “capital corporel”, le rapport au genre et aux normes sociales. Un récit lumineux et ultra-étayé qui colle bien aux mots de la réalisatrice Céline Sciamma que le livre porte en épigraphe : “Plus on est intime, plus on est politique.” FM
Présentes – Ville, médias, politique… Quelle place pour les femmes ?, de Lauren Bastide (éd. Allary)
Si l’ouvrage de Lauren Bastide s’intitule Présentes, c’est a contrario l’absence des femmes que la journaliste pointe ici. “La réalité, c’est que les femmes ne représentent, sur une journée de prise de parole médiatique, que 24 % du temps occupé”, explique-t-elle en introduction de son ouvrage. Mais la journaliste ne se contente pas de faire le constat de la sous-représentation des femmes dans les médias, elle s’invite également sur d’autres territoires, dans la vie politique et dans l’espace public en général. Un propos finement documenté : pour étayer sa thèse, elle s’arme de chiffres et de données indiscutables rendant son argumentaire férocement efficace, irréfutable. Et parce que la place des femmes est un sujet choral, elle enjoint tout au long de l’ouvrage d’autres voix à la rejoindre, celles d’Anaïs Bourdet, de Chris Blache ou encore de Caroline de Haas. Difficile de faire plus pédagogique. EP
Des vies de combat, femmes noires et libres, d’Audrey Célestine (éd. L’Iconoclaste)
On le sait, les femmes noires sont invisibilisées dans l’espace public, mais aussi dans le récit qui est fait de l’histoire, celle avec un grand H. Avec Des Vies de combat, Femmes noires et libres, l’historienne Audrey Célestine tente de rendre justice à soixante héroïnes noires dont certaines (beaucoup !) ont été mises de côté voire totalement oubliées à cause de la couleur de leur peau. Certaines sont célèbres : Nina Simone, Michelle Obama, Marie-José Pérec, d’autres moins. Pourtant, Claudia Jones, Gerty Archimède ou encore Audre Lorde méritent que l’on connaisse leur parcours et leur lutte contre l’asservissement et la ségrégation. Une encyclopédie qu’il fait bon de lire pour (re)vivre les moments clés de la vie de ces combattantes. EP
Le féminisme ou la mort, de Françoise d’Eaubonne (éd. Le Passager clandestin)
Attention, réédition ! Texte fondateur du mouvement écoféministe en France, Le féminisme ou la mort traduit la théorie de Françoise d’Eaubonne qui s’appuie sur la convergence de deux luttes : l’écologie et le féminisme. En un mot, l’autrice, théoricienne et militante – à qui l’on doit le terme d’“écoféminisme” – définit le capitalisme patriarcal comme un oppresseur commun à la fois des femmes et de la planète. Dans ce manifeste écrit en 1974 (et on ne peut plus actuel), elle fustige sur plus de 300 pages le phallocentrisme de notre société. C’est radical, jouissif et très instructif. EP
Une histoire mondiale des femmes photographes, sous la direction de Luce Lebard et Marie Robert (éd. Textuel, avec le soutien des Rencontres d’Arles)
Les militantes féministes le disent depuis longtemps : l’intime est politique. S’il était encore besoin de le prouver, l’oeuvre Avortement d’Abigail Heyman en est l’éclatante et bouleversante illustration : en 1974, jambes écartées, la photographe américaine immortalise sa propre IVG sous les néons effrayants d’une lampe chirurgicale. Cette photo se situe à la page 326 d’un ouvrage en comportant plus de 500 : avec Une histoire mondiale des femmes photographes (éd. Textuel), exit la “longue tradition de discrédit” du travail des femmes photographes, injustement oubliées et invisibilisées par notre société patriarcale. Dans ce livre-somme passionnant supervisé par l’historienne de la photographie Luce Lebart et par la conservatrice en cheffe du Musée d’Orsay Marie Robert, c’est plus de 300 femmes photographes originaires de tous les continents qui sont mises à l’honneur, leurs images étant analysées par 160 autrices. Entre autoportraits (voir la très forte photo de couverture signée par l’Indienne Pushpamala N., flingue à bout de bras), reportages de guerre (Gerda Taro qui photographie une milicienne républicaine en Espagne, en 1936), et images de la nature ou de la vie quotidienne (le carnaval à Buenos Aires, en 1910, vu par Josefina Oliver), ces artistes donnent à voir le monde, ses marges et ses événements historiques, ses infamies et ses moments de grâce, avec une classe qui n’a d’égal que la finesse de leur regard. AQ
Une farouche liberté, de Gisèle Halimi avec Annick Cojean (éd. Grasset)
Comme si l’année 2020 n’était déjà pas assez pénible comme ça, nous apprenions avec tristesse, le 28 juillet dernier, le décès de Gisèle Halimi à 93 ans. Et quoi de mieux pour rendre hommage à cette grande avocate et figure du féminisme que de lire, avec émotion, admiration et enthousiasme, le récit de sa vie et de ses nombreux combats (droits des femmes donc, antiracisme, soutien “des plus faibles et des plus isolés”) ? Dans Une farouche liberté, où elle répond aux questions de la journaliste du Monde Annick Cojean, celle qui créa aux côtés de Simone de Beauvoir le mouvement Choisir la cause des femmes, en 1971, revient sur sa défense des militant·es du FLN durant la guerre d’Algérie ou encore sur sa lutte acharnée pour la légalisation de l’IVG et la criminalisation du viol. On y (re)découvre une intellectuelle espiègle et à la vivacité d’esprit exceptionnelle, qui, peu de temps avant sa mort, appelait toujours avec force à la révolution : “Je suis encore surprise que les injustices faites aux femmes ne suscitent pas une révolte générale.” AQ
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