La mort d’un proche, le désir de maternité, l’élan d’un nouvel amour : Valeria Bruni Tedeschi joue à nouveau avec la pelote de l’autobiographie de façon lucide et affûtée.
Au moment de sa présentation à Cannes en mai, le nouveau film de Valeria Bruni Tedeschi avait été accueilli avec une tiédeur printanière. On lui reprochait vaguement d’être à la fois trop méchant et trop autobiographique (la famille aisée de l’héroïne, sa liaison avec un jeune acteur fils d’un cinéaste célèbre et interprété par le jeune acteur lui-même, son frère qui meurt du sida).
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Comme si l’apparence d’autofiction (terme que récuse d’ailleurs Valeria Bruni Tedeschi) créait une gêne chez le spectateur, convaincu d’avoir été convoqué pour assister au spectacle impudique d’un lavage de linge sale en famille. Or le projet de l’actrice-réalisatrice n’est de toute évidence pas celui-là. Il vaut mieux regarder son film pour ce qu’il est : une fiction qui reprend des éléments sans doute intimes, mais qui n’ont guère d’intérêt en tant que tels. Quoi de neuf au cinéma ou en littérature ? Rien. D’autant que Valeria Bruni Tedeschi est coutumière du fait.
Pour son troisième film en tant que réalisatrice – après Il est plus facile pour un chameau… (2003) et Actrices (2007) –, elle tire toujours sur le même fil, creuse le même sillon avec une lame de plus en plus affûtée (de remarquable directrice d’acteurs, elle est devenue peu à peu cinéaste). Encore une fois, Un château en Italie raconte en gros l’histoire d’une actrice complètement flippée, issue d’une richissime famille turinoise un peu dégénérée, décalée avec les réalités de la vie moderne, où le snobisme et la folie font bon ménage. Elle a seulement vieilli, et se trouve confrontée à des problèmes de son âge : faire le deuil de son enfance (le château familial qu’il faudrait vendre), être mère.
S’il faut chercher une source d’inspiration à Bruni Tedeschi, c’est du côté de Woody Allen ou de Nanni Moretti (dans leurs films les plus personnels) qu’il faut aller la chercher. Et personne n’a jamais cru qu’ils racontaient leur vraie vie. Si le récit d’Un château en Italie exprime, encore plus et mieux que dans ses films précédents, une cruauté et une certaine agressivité vis-à-vis de certains personnages, il est absolument impossible de négliger qu’il s’en prend avant tout à son personnage principal, Louise, interprétée par Valeria Bruni Tedeschi en personne. Et le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’épargne pas son double de cinéma, le décrivant comme une personne égoïste, capricieuse, hautaine, paresseuse, manifestant assez fréquemment une forme très désagréable de mépris social à l’égard de ceux qui travaillent à son service ou qui ne lui semblent pas faire partie du même monde qu’elle. Il n’y a aucune gentillesse dans ce regard-là.
Valeria Bruni Tedeschi affronte ses fantômes ou ceux de sa classe d’origine sans mollesse aucune. Le personnage d’ancien ami de la famille, aujourd’hui banni pour avoir trop profité d’eux et les avoir trahis (interprété par Xavier Beauvois), est à ce titre l’un des plus beaux du film. De plus, comme son personnage d’actrice ayant ab8andonné le métier, Valeria Bruni Tedeschi a su prendre de la distance avec le monde de la scène, qui plombait beaucoup Actrices d’un discours un peu convenu et très théâtreux alors que l’intérêt du film résidait déjà dans ses aspects familiaux. Si là encore, elle fait appel à Tchekhov pour inspirer son récit et attendrir son ton de touches mélancoliques, elle n’en fait pas une référence culturelle pesante, elle l’intègre merveilleusement à son propre univers.
Enfin, la réalisatrice n’a rien perdu de son humour. Un humour certes vache, extrêmement destructeur, mais qui surprend toujours par sa douce folie. Qui raille la mère radine comme la belle-mère désinhibée (la merveilleuse Marie Rivière), le beau-père don juan ou l’amoureux qui veut bien lui faire un enfant mais pas devenir père… Ce film extrêmement tenu, malgré ses multiples fils narratifs, mérite tous les éloges. La gêne qu’il a pu occasionner à Cannes ne s’explique peut-être que par sa violence et sa lucidité.
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