Théâtralisation de soi, artifice revendiqué, résistance aux normes sociales : alors que les discothèques ont dû clore leurs stores les imaginaires associés au monde festif de la nuit s’immiscent dans les collections de mode.
Avançant dans un décor cosmique rappelant celui de certains clubs, les mannequins du défilé Dior Pre-Fall 2021 arborent des costumes satinés surmontés de nœuds, broches à fleurs, accessoirisés de bérets et gants soulignant l’aspect construit de l’apparat à l’heure où l’absence de lieux physiques aurait pu rendre cet acte obsolète. « Nous voulions juste nous amuser et tenter de nous extraire du quotidien » raconte Kim Jones, directeur artistique de la maison, qui proposait de prolonger la fête sur Instagram où un filtre permettait aux utilisateur·rices de se projeter dans le décor fantasque du défilé imaginé par le cinéaste Thomas Vanz.
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Instagram, TikTok : ce sont bel et bien ces lieux en ligne qui font office de palliatif des rites et activités nocturnes à l’heure où les clubs sont fermés. Si les danses s’y manifestent sous la forme de challenges diurnes, l’habillement y est central, et ainsi Dior de proposer des chemises aux imprimés cartoonesques dessinées par le street artistes des années 1980 Kenny Scharf, dont les couleurs sont des plus instagramables. Chez Boramy Viguier, les impairs aux imprimés fleuris héliographiques ne peuvent échapper aux regards, tout comme les costumes jonchés de fleurs chez Kenzo.
« Dans de nombreuses contre-cultures post-punk, liées au monde de la nuit, la seule condition pour appartenir aux groupes était de se vêtir de façon ostentatoire. C’est à la fois une manière de résister aux crises, et à l’échelle individuelle de prendre acte de l’aspect construit de l’identité et ainsi de la retravailler dans des bricolages extravagants et réflexif troublant la fixité de la classe sociale ou du genre » explique Paul Edwards, maître de conférence en études anglosaxonnes et co-auteur du livre Disorder : histoire sociale des mouvements punk et post-punk (éd. Les presses du réel)
Si le style est central dans la mode comme dans le monde de la nuit, ce mariage dévoile des constructions transcendant la dichotomie du jour et de la nuit.
Le retour des néo-romantiques
Angleterre, fin des années 1970 : la seule condition pour entrer dans le Blitz Club est alors de faire un certain un effort vestimentaire. Les soirées organisées par Steve Strange ( fondateur du groupe Visage) sont scrutées et les magazines de niche britanniques tels que i-D et The Face immortalisent dans leurs pages les jeunes au style extravagant s’amassant devant l’entrée du club. Pour les médias, un mouvement est né : les nouveaux romantiques.
Si le mouvement est jugé apolitique, réduit à une pure recherche stylistique, il constitue une réaction au Thatchérisme, et aux crises politiques qui sévissaient alors en Grande-Bretagne. Selon Élodie Grossi maître de conference en Etudes du monde anglophone : « Si à première vue les citations des poètes du 19ème siècle peuvent constituer des obstacles à la démocratisation du mouvement, ils représentent à rebours un outil d’exploration des genres et de la sexualité exploité selon diverses modalités dans la pop culture contemporaine, pour parler entre autres de l’apprentissage sexuel dans des fictions. La BO de Sex Education est 100% néoromantique. »
Création et nostalgie dans un monde en ligne
La nostalgie du poète Lord Byron et de l’époque préindustrielle caractérise notre moment présent, où l’expérience du temps invite à plonger dans les archives. Pour la collection Chanel métiers d’Arts, la directrice artistique Virginie Viard réanime les codes de la maison tout en célébrant la virtuosité sans âge, des plumassiers, brodeurs et joailliers.
« Les néoromantiques regardent en arrière afin de percevoir à nouveau un avenir qui a été perdu de vue. Le néoromantisme ne doit pas être simplement compris comme une réappropriation ; il faut l’interpréter comme une re-signification » écrit Robin Van Den Akker dans Notes on Metamodernism.
Dans le Château de Chenonceau, les cheveux crantés, l’œil noir et les omoplates garnis de bijoux, les mannequins Chanel télescopent les référents de différentes époques dans le lieu de résidence de Catherine de Médicis dont l’emblème, comme celui de Gabrielle Chanel était le double C. Et laissent libre cours à l’interprétation du message porté par cette collection femme, dont l’unique spectatrice présente est l’actrice Kirsten Stewart.
Exploiter des lectures cryptiques du passé pour décrire le présent, fut également le recours de Demna Gvasalia qui proposait chez Balenciaga des armures médiévales servant à habiller des personnages du jeux vidéo Afterworld : The Age of Tomorrow se rendant à une rave partie. Une fois de plus, nostalgie et fête sont associées pour faire de la mode la fiction d’un futur proche, remède à un présent « confiné ».
Si les tenues aux allures exubérantes inspirées du passé étaient communément associées à un acte créatif nocturne, elles sont aujourd’hui largement accesibles sur de nombreux magasins en ligne – défiant toute logique d’horaires.
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