Après l’annulation de deux projets alléchants au cours de la dernière décennie et plusieurs sorties davantage axées sur les parties multijoueurs en ligne, « Star Wars” se réinvente en grand jeu d’aventure solo avec « Jedi : Fallen Order », qui puise son inspiration aux meilleures sources (« Uncharted », « Metroid Prime », « Dark Souls »…) Et aussi : un livre sur l’éditeur autoproclamé punk Devolver Digital et les années 80 dystopiques du plutôt cyberpunk « Black Future ’88 ».
C’est bien pratique, un sabre laser. Par exemple, quand il fait un peu sombre et que vous ne savez pas trop où vous mettez les pieds, ça peut permettre d’éclairer un peu votre chemin et vous éviter de tomber bêtement dans le vide. Ou, d’ailleurs, de vous précipiter sur une grosse bestiole moche à grandes dents qui, sait-on jamais, pourrait vous faire du mal alors que vous cherchez simplement la sortie de cette maudite grotte obscure.
S’éclairer au sabre laser. C’est l’une des possibilités que nous offre Jedi : Fallen Order, le dernier jeu solo en date adapté de la saga Star Wars. Pas la plus spectaculaire, bien sûr, mais peut-être l’une des plus significatives : de spin-offs en suites cinématographiques, de fictions télé en transpositions vidéoludiques, quelque chose de Star Wars s’est, au fil des années, presque banalisé. Le mot est sans doute trop fort : disons que, désormais omniprésent, l’univers de Star Wars nous est sans doute devenu moins exotique. On vit avec, ou à côté. Bientôt, on utilisera peut-être la Force pour décapsuler nos bières. En attendant, donc, notre nouvelle lampe de poche est un sabre laser.
Victimes
Et pourtant : s’il joue habilement de la familiarité que le joueur peut entretenir avec les codes, les mots, les accessoires et les mythes constitutifs de la saga, Jedi : Fallen Order fait quand même événement sur au moins un plan car il vient clore une décennie maudite pour les jeux d’aventure solo dérivés de Star Wars. La première victime fut Star Wars 1313. Annoncé en grande pompe au salon E3 de 2012, ce dernier fut l’une des victimes collatérales du rachat de LucasArts par Disney, dont les dirigeants comptaient plutôt confier la licence Star Wars à d’autres éditeurs que de les développer en interne. Puis ce fut le tour de « Ragtag » – ceci est un nom de code – que la légendaire Amy Hennig, venue de Naughty Dog où elle avait dirigé le développement des deux premiers Uncharted, devait mener à bien au sein du studio Visceral Games, propriété d’Electronic Arts. Mais ce projet aussi fut abandonné, EA préférant se focaliser sur les jeux compétitifs multijoueurs comme Star Wars Battlefront I puis II, dont le modèle économique à base de loot boxes et de micro-transactions n’a pas fait que du bien à sa réputation.
Patchwork
Et puis, en 2018, retournement de situation : Electronic Arts annonce officiellement une vraie nouvelle aventure Star Wars à pratiquer tout seul, sans système d’achats intégré ou d’abonnement, et dont la conception est confiée au très compétent studio californien Respawn Entertainement, responsable des premiers Call of Duty et, plus récemment, de Titanfall et d’Apex Legends. Le résultat s’appelle donc Jedi : Fallen Order et se révèle, dans l’ensemble, une belle réussite, même si l’on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’auraient pu donner Star Wars 1313 ou « Ragtag » s’ils avaient été menés à leur terme (et d’avoir une pensée pour leurs créateurs) car, comme ces derniers semblaient partis pour le faire, il s’inspire largement d’Uncharted.
Mais pas seulement, car Jedi : Fallen Order a aussi quelque chose en lui de Dark Souls ou de Sekiro dans ses combats et cette manière de nous faire abandonner, en cas de défaite, nos points d’ »expérience » sur le corps de l’adversaire qui nous a vaincu et qu’il faudra revenir affronter pour les récupérer. Il y a aussi du Metroid Prime dans son incitation à l’exploration par étapes et son art de la cartographie 3D. Et n’oublions pas non plus la série God of War, sur laquelle œuvra jadis son réalisateur Stig Asmussen. Jeu-patchwork par excellence (de la même manière, au fond, que les premiers films Star Wars étaient des tapisseries d’influences), Jedi : Fallen Order ne manque pourtant pas de personnalité et celle-ci, un rien paradoxale, vient justement de l’introduction dans l’univers Star Wars de logiques ludiques venues d’ailleurs.
Majestueux
Ainsi de ce sabre laser qui, quand il ne sert pas d’éclairage de fortune (ou à renvoyer les projectiles des pauvres Stormtroopers dans de chouettes parties de tennis-boulettes), pourrait aussi bien être un sabre tout court. Ainsi, surtout, de ce rapport à l’espace et de l’accent porté sur l’escalade et l’orientation en solitaire. Car solo, Jedi : Fallen Order ne l’est pas seulement parce qu’il ne nous invite pas à participer à des joutes en ligne avec des inconnus qui nous injurient à distance en hurlant dans leur micro mais, aussi, parce que notre personnage, un jeune Jedi du nom de Cal Kestis évoluant dans un monde désormais hostile à son ordre (note aux initiés : l’intrigue prend place peu après celle de La Revanche des Siths), y est la plupart de temps livré à lui-même. Ou presque, car il a pour compagnon un petit robot toujours disposé à lui donner des conseils (d’une utilité variable) ou à le soigner en cas de besoin (dans la limite des stocks de remontant disponibles, bien sûr).
Jouer à Jedi : Fallen Order revient d’abord à ne compter que sur soi, et c’est là que réside sans doute la principale qualité d’un jeu qui ne craint pas de laisser le joueur évoluer sans guidage dans ses environnements souvent majestueux. C’est s’égarer un peu et se poser des questions. Comment diable pourrais-je atteindre cette plateforme surélevée ? Et quelle peut-être l’astuce pour que cette porte s’ouvre enfin ? Mais, au fait, ne serais-je pas déjà passé par là ? C’est faire des hypothèses, tenter des trucs. C’est, pendant de longues plages de temps, mettre un peu de côté la mythologie Star Wars pour y évoluer au présent. C’est pas mal, vraiment.
Star Wars – Jedi : Fallen Order (Respawn Entertainment / Electronic Arts), sur PS4, Xbox One et PC (Windows), de 50 à 70€
Et aussi :
« Les Coulisses de Devolver » de Baptiste Peyron et Pierre Maugein
« Son succès nous a renseignés sur le fait qu’un jeu vidéo radical dans sa direction artistique, mais galvanisant dans sa prise en main, pouvait bel et bien se vendre à une autre audience que la niche indée à laquelle il semblait prédestiné. » Le jeu en question, c’est Hotline Miami, celui qui a tout changé pour Devolver Digital, l’éditeur (américain) pas comme les autres qui, en dix ans, a marqué de son empreinte très forte le monde vidéoludique par la qualité et l’originalité de son catalogue (Minit, The Talos Principle, Reigns, The Messenger, Ape Out, Downwell…), son attitude (humoristique, provocatrice) et sa philosophie générale très favorable aux développeurs. Dans leur ouvrage aussi documenté que richement illustré, les journalistes Baptiste Peyron et Pierre Maugein retracent en détail sa passionnante épopée.
Third Editions, 224 pages, 29,90€
« Black Future ’88 »
Structure issue de Devolver Digital mais fonctionnant sur un modèle différent dont l’élément central est la levée de fonds pour les développeurs indépendants, Good Sheperd Entertainment évolue souvent aussi sur un territoire esthétique proche de celui de sa maison mère, comme le montre une nouvelle fois Black Future ’88. Emballant dans un pixel art très eighties et illuminé de néons son mélange de run and gun (on court et on tire, donc, comme dans Contra ou Metal Slug) et de Rogue-like (les niveaux sont recréés aléatoirement à chaque partie), le jeu a pour particularité de nous confier un personnage dont le temps est compté puisqu’il n’en a plus que pour 18 minutes à vivre. L’affaire, séduisante mais ardue, n’en est que plus délicieusement tendue.
Sur Switch et PC (Windows), SuperScarySnakes / Good Sheperd Entertainement, environ 20€