La rédaction des Inrocks a sélectionné les dix meilleures expositions françaises de l’année.
Régions d’être par Slavs and Tatars
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Plaidoyer pour une politique, une linguistique et une esthétique du syncrétisme, la première exposition institutionnelle en France du collectif Slavs and Tatars à la Villa Arson, à Nice, tombait à point nommé en France, alors que les débats sur l’universalisme et le syncrétisme faisaient rage tout en coupant court à toute discussion constructive. Du jus de choucroute fermenté, prenant le contre-pied de la stérilisation de Pasteur, en passant par ces fertiles croisements d’une langue à une autre que l’on nomme translittération, l’exposition déclinait au fil des salles un ensemble de formes joyeusement sensorielles excluant toute référence aux codes parfois opaques de l’histoire ou des systèmes de l’art qui en appelleraient à un savoir spécialiste.
Ce qu’elle offrait – sous la forme d’un don amené à proliférer au sein des différentes lectures enrichies par la connaissance régionale de chacun, appelant à l’éclosion des identités multiples et métissées de tous·tes – était tout simplement la mise en valeur d’une complexité et d’une ambiguïté trop souvent chassées des modes d’appréhension d’œuvres que l’on voudrait utiles, c’est-à-dire détentrices d’un message unique, clairement identifiable et prédéfini une fois pour toutes.
Pour les deux fondateur·trices, l’Irano-Américain Payam Sharifi et la Polonaise Kasia Korczak, le choix de leur zone d’étude (et donc du nom de leur collectif), soit la région située entre l’ancien mur de Berlin et la muraille de Chine, découle précisément de l’impossibilité d’en faire le tour de manière exhaustive. Chez Slavs and Tatars, il n’y a pas de message politique mais une politique des corps conductibles et des identités en devenir, qui recharge au passage le langage de l’art d’une énergie résiliente qui semble récemment lui avoir fait défaut.
Villa Arson, Nice – jusqu’au 31 janvier 2021 (sous réserve)
Olivier Mosset
Né en 1944, Olivier Mosset traverse autant qu’il l’écrit l’histoire des avant-gardes, de sa Suisse natale à Paris, de New York au désert de l’Arizona où il réside actuellement. Associé à l’aventure de la peinture abstraite qui émerge au mitan des années 1960, immergé dans le climat parisien pré-Mai 68, il sera d’abord associé à l’aventure du groupe BMPT (pour Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier, Niele Toroni) qui s’oppose à la tradition de la peinture cultivée, de toute peinture institutionnelle (lire : bourgeoise), quelle qu’elle soit.
Lorsque le groupe implose, Mosset traverse l’Atlantique, arrive à New York, expose dans des squats ses monochromes noirs aux côtés d’un Basquiat encore méconnu, et participe comme l’un des rares Européens au changement de l’axe de gravité de l’art, passant de Paris à New York, et s’inscrivant dans l’héritage de la grande peinture américaine des Frank Stella, Robert Ryman ou Barnett Newman. Installé aux Etats-Unis depuis 1977, il y fait des émules ou, plutôt, s’allie avec des compagnes et compagnons de route qu’il soutient et amène avec lui dans l’aventure de l’avant-garde – dont Steven Parrino ou Cady Noland.
Au Mamco, qui lui ouvre trois étages de carte blanche, l’exposition retrace le parcours d’un artiste qui n’aura cessé avec sa pratique du monochrome de se remettre en question, et dévie l’exercice vers une rétrospective collective. Plutôt qu’un souffle, c’est une tornade, emmenant une multitude d’acteur·trices, du collectif de cinéastes expérimentaux Zanzibar jusqu’aux dialogues au long cours entretenus avec John Armleder et Sylvie Fleury. De quoi redonner foi en une pratique de l’art qui, pour être radicale et punk, n’en oublie pas de rester partagée, vibrante et souvent aussi pleine d’humour.
Folklore
Parmi les grandes entreprises de relecture de l’histoire de l’art qui visent à sa réécriture plus inclusive, Folklore se penche sur ses racines populaires oubliées voire refoulées. La notion ambiguë et controversée qui lui donne son nom – le folklore, qui désigne à l’origine le « savoir du peuple » – ne va pas sans le parfum suranné d’une douce nostalgie, entaché également de senteurs plus nauséabondes, du repli sur soi aux nationalismes et autres localismes vite objets d’instrumentalisation idéologiques et politiques. Au fil d’un parcours qui mène des origines de l’art moderne à nos jours, l’exposition en est consciente et ne fait pas l’économie des heures sombres.
En mettant en lumière les pratiques d’une communauté et d’un territoire, le plus souvent immatérielles, anonymes, collectives et transmises de génération en génération, elle déboulonne l’idée d’un·e créateur·trice unique, génial·e et inspiré·e et reconnecte les créations à leurs sources oblitérées. Procédant à partir de focus sur les Nabis, Kandinsky ou Brancusi, elle se prolonge ensuite par une chronologie déclinée par ensembles thématiques et invite également à élargir les méthodologies pour inclure l’ethnographie et les sciences humaines. Elle amène ainsi une réflexion sur les modes de présentation et de classement des œuvres, objets et artefacts en regard avec le répertoire de motifs, de mythes et de techniques dont s’inspireront les artistes jusqu’à nos jours.
La seule restriction de l’exposition concerne sa zone géographique, l’Europe, accompagnant comme son volet méthodologique l’entreprise parallèle de décolonisation des musées, autre manière de tenter de faire advenir une histoire de l’art plus inclusive, décolonisée et populaire, non pas seulement par la représentativité mais également par la méthodologie.
Centre Pompidou-Metz
Et jusqu’au 22 février 2021 (sous réserve) au Mucem, Marseille
Possédé·e·s – Déviance, performance, résistance
Parmi les panoramas qui auront su capter la texture de l’époque, et de l’année, figure au premier plan Possédé·e·s et son exploration de l’occulte comme tactique de résistance pour les corps exclus, réunissant sous les auspices du triptyque « déviance, performance, résistance » les œuvres de vingt-deux jeunes artistes ou duos d’artistes, présentant pour la plupart de nouvelles productions. Le thème résonne avec une préoccupation générationnelle pour l’astrologie, le mysticisme et les croyances alternatives ou ancestrales, ainsi que s’en faisait l’écho, cette année, un certain nombre d’expositions, de Rituel·le·s à l’IAC Villeurbanne à L’Homme gris au Casino Luxembourg, de Darja Bajagić au Confort Moderne à Poitiers à Witch Hunt au Kunsthal Charlottenborg à Copenhague.
Au Mo.Co. Montpellier, la force de l’exposition est de présenter le panorama d’une autre figuration. Celle-ci n’est pas tant attachée à représenter les corps, car ceux-ci sont encore en devenir, davantage occupés à se désidentifier, à se laisser traverser par les énergies et les ondes, à s’accorder aux autres humains ou non-humains. Plutôt, sa force se joue dans l’apparition de formes tiraillées, hérissées, fracturées et crispées, à travers les médiums réunis – peinture, sculpture, installation, vidéo et performance. Les corps sont en lutte ; ils sont hérissés de pointes et de pics ; ils sont expansifs et communautaires ; ils s’arment contre les hégémonies et les asservissements. Ils sont ces corps que l’on taxe parfois de minoritaires parce qu’ils refusent de jouer le jeu des dogmes et des dualismes, des pouvoirs admis et des savoirs établis. Ils sont l’œuvre et les émanations hantées d’une nouvelle garde décidée à en découdre.
The Making of Husbands : Christina Ramberg en dialogue
C’est un autre imaginaire du corps que l’on retrouve chez Christina Ramberg, un corps lui aussi en lutte, mais cette fois-ci inscrit dans une figuration fétichiste et mécanique du corps féminin. On la connaît, ou plutôt, on la méconnaît, car son œuvre était jusque-là confidentielle, comme associée au mouvement des Chicago Imagists. Emergeant à la fin des années 1960, ce groupe, dont la tonalité grotesque et satirique s’abreuve au vocabulaire de la pop culture mais aussi de la contre-culture, de la BD, du tatouage ou de l’affiche, s’associe étroitement aux luttes sociales de l’époque, de la guerre du Vietnam à l’émergence de mouvements sociaux d’émancipation.
Christina Ramberg, décédée en 1995, est l’autrice d’une œuvre plus sombre, inclassable et néanmoins éminemment contemporaine. Au fil de miniatures stylisées, ses toiles représentent la femme par l’entremise de ses carcans et de ses accessoires : la chair s’efface au profit de corsets, chevelures, ongles rouges, dépeints dans les tonalités lourdes du bois ou du cuir. Tout s’hybride et devient vêtements-corps, accessoires-organes ou membres-meubles, manière de révéler également comment l’instrument de la contrainte et les normes arbitraires de beauté détiennent en même temps un potentiel d’émancipation, permettant de s’extirper des déterminismes essentialistes et biologiques.
Contemporaine de Donna Haraway, les cyborgs de peinture de Christina Ramberg sont davantage sociaux que ceux, vivants, de la première, et résonnent en cela avec un ensemble d’œuvres plus récentes ou contemporaines, au sein d’une proposition née de la collaboration de trois lieux – où sa présentation fit à chaque fois forte impression –, du KW Institute for Contemporary Art à Berlin au BALTIC à Gateshead en passant par son volet français, le 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine.
49 Nord 6 Est – Frac Lorraine à Metz
Et aussi…
La Lutte Yanomami par Claudia Andujar, Fondation Cartier, Paris
>> A lire aussi : Podcast – En immersion chez les Yanomami avec Claudia Andujar
Dalla natura all’arte par Piero Gilardi, galerie Michel Rein à Paris
Hypnose, musée d’Arts de Nantes, jusqu’au 14 mars 2021 (sous réserve)
Brutal Family Roots par Mohamed Bourouissa, galerie kamel mennour, Paris
screen-talk.com par Neïl Beloufa (sur internet)
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