Paru en plein déconfinement estival, le neuvième album de Benjamin Biolay, Grand Prix, reste en pole position des meilleurs disques français de 2020. Fort d’un succès semblable à La Superbe, le quadragénaire a vécu une année paradoxale, frustré de ne pouvoir interpréter ses nouvelles chansons dans une tournée annoncée comme triomphale.
2020
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Annus horribilis, pour reprendre l’expression de la reine d’Angleterre et résumer mon sentiment général sur l’année 2020. Le reconfinement a été bien plus difficile à vivre que le premier confinement. Ce n’est donc même plus du désarroi ou de la stupeur, c’est tout simplement de la détresse sociétale. Les jeux sont faits, plus rien ne va… Au-delà de la pandémie, des conséquences multiples et de tous les sacrifices endurés par ma profession – des sacrifices parfois incompréhensibles quand on voit l’affluence dans les TGV ou les grandes surfaces –, j’ai l’impression que la situation va éveiller les consciences politiques et que le réveil ne va pas être feutré… Car la moindre réponse de l’Etat ne peut être que répressive.
Grand Prix
La musique m’a sauvé tellement de fois dans la vie. Je n’ose imaginer dans quel état je serais si je n’avais pas sorti d’album cette année. La parution de Grand Prix a été une bénédiction. Faute de concerts, ce disque m’a offert la possibilité de m’exprimer à distance. C’est un album que j’ai énormément aimé faire et qui me plaît toujours, six mois après sa sortie. Mais dans cette drôle d’année 2020, il est difficile de parler de Grand Prix en faisant fi de ce que l’on vit.
Je suis évidemment touché par la réception publique de l’album et les commentaires enthousiastes. Et même si je ne souhaite pas passer pour le sale gosse qui n’a pas pu jouer sur scène, j’ignore, comme tous les autres artistes et musiciens, la date de la sortie du tunnel. Il y a donc quelque chose d’inachevé dans le succès de Grand Prix. Comme à l’époque de La Superbe, j’ai la chance avec ce nouvel album d’élargir mon public habituel. La tournée aurait ainsi dû être l’occasion de donner du plaisir, mais ça devient très long. Quel enfer, ce truc…
Romain Grosjean
Son accident au Grand Prix de Bahreïn (dimanche 29 novembre, ndlr) était affreusement triste à regarder devant son petit écran. En voyant de telles flammes, qui aurait pu croire qu’il en sorte vivant ? Avec le photographe Mathieu Cesar, on tenait à figurer cet homme-torche sur la pochette de Grand Prix pour rendre compte du danger constitutif du sport automobile. Cela faisait des années que l’on n’avait pas vu une voiture s’embraser de la sorte sur un circuit de F1. Romain Grosjean est un super pilote qui a longtemps eu la scoumoune en course. Cette fois, malgré son accident effroyable, il en est miraculeusement ressorti indemne. Le voir enjamber le rail au milieu des flammes restera l’une des images fortes de l’année.
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Concerts
Dans cette année improbable, j’aurai fait au total trois concerts en deux jours à Nantes. Avec la tournée annulée, ces deux soirs d’octobre à la Cité des Congrès restent forcément exceptionnels. Un soir, on a fait deux concerts de deux heures, avec vingt minutes de pause. C’était à la fois intense et merveilleux. Les chansons de Grand Prix se prêtent idéalement à la scène – Comment est ta peine ? est passée comme une lettre à la poste, avec le retour du public qui chante les paroles et une fin inspirée par LCD Soundsystem.
Pour une fois, j’ai les mêmes musiciens sur scène qu’en studio. C’est un pied total de jouer ces nouvelles chansons. Vivement que nous puissions reprendre les concerts. Quand je pense aux programmateurs qui sont devenus déprogrammateurs depuis des mois, c’est dingue.
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Maradona
Comme l’a titré L’Equipe, Dieu est mort. Sa disparition m’a terriblement attristé. Avant même de m’intéresser à son pays natal et d’y aller régulièrement, j’aimais autant le joueur que sa personnalité. Symboliquement, pour l’Argentine, qui traverse une situation économique et sociale catastrophique en raison de la pandémie, la mort de Maradona tombe au pire moment. La vie est parfois cruelle. Diego a toujours fait de la politique dans sa manière de gérer sa vie publique. C’était un footballeur qui refusait de fermer sa gueule. C’est le seul héros argentin issu du peuple. Cela m’a replongé dans l’enregistrement de Palermo Hollywood (2016) et des discussions avec des gens de tous milieux fascinés par Maradona.
The New Abnormal
Mon album du confinement et de l’année. 2020 restera à jamais marquée par cette illustration de Basquiat et ces neuf chansons de The New Abnormal. C’est un disque dont tu découvres les qualités à chaque nouvelle écoute, sans parler de la production magique de Rick Rubin. Julian Casablancas n’a jamais aussi bien chanté. Quand l’album des Strokes est sorti, je venais d’envoyer le mien en fabrication à l’usine, ça m’a redonné la pêche. On ne mesure pas assez notre chance d’avoir un tel groupe. Et comme je l’ai déjà dit, Ode to the Mets a été mon hymne de liberté retrouvée.
2021
Je crains malheureusement qu’on n’ait pas fini de bouffer notre pain noir. On a encore une grosse tranche à finir. 2021 ne peut pas être pire que 2020, mais elle ne commencera pas le 1er janvier. On pourra peut-être se souhaiter la bonne année en avril… 2021 doit aussi être une année consacrée aux jeunes générations. Avec la crise sanitaire, on ne parle que des parents et des grands-parents, jamais des plus jeunes qui subissent l’horreur dans le développement de la vie et des sens. On s’exprime et on philosophe entre adultes, on ne parle ni des enfants ni des jeunes. Ils sont complètement laissés de côté. C’est Villefranche-sur-Saône pour eux tous les jours.
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