Avec son premier album Gore, produit par El Guincho, l’artiste et mannequin belgo-congolaise Lous & The Yakuza a connu un succès fulgurant et international, jusqu’à faire danser les filles de Madonna. C’est une voix affirmée mais également teintée d’amertume qui évoque avec nous son entrée dans le détestable “circuit médiatique”.
Premier album
J’ai tellement attendu ce moment. Cet album était comme un deuxième moi dans mon corps. J’avançais grâce à lui. Là, pour la première fois, on fusionnait. Et j’ai mal vécu sa sortie. Les gens mélangent le rêve de gloire et le rêve d’artiste alors que cela n’a rien à voir. J’ai fait sept ep avant mon album ! Mon maximum de streams était de 2 000 écoutes par morceau. Je ne cherche ni la gloire ni la reconnaissance. Je me reconnais moi-même et c’est suffisant.
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La plupart des artistes sont archi-sensibles et ne supportent pas de briller. On n’est pas fait pour ça, je crois. On a vu les effets secondaires sur Whitney Houston ou Amy Winehouse. Moi, je ne veux pas tomber dans le jeu de l’ego. Je l’assassine chaque matin, mon ego. Pourtant, si tu n’acceptes pas le narcissisme et l’avidité, tu ne perceras jamais dans l’industrie de la musique. Je crains pour les générations suivantes… C’est très compliqué de naviguer dans ce monde obscur.
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Les gens sont là pour l’argent, pour capitaliser. Si tu n’acceptes pas ça, tu vas devenir fou. Combien sont devenus fous en découvrant l’obscurité… ? Mais trop tard. J’ai découvert l’obscurité du monde bien avant. J’ai dû surmonter des choses qui me paraissaient insurmontables : la guerre, le Rwanda, être SDF, la maladie, la famine. Aujourd’hui je les trouve surmontables seulement parce qu’elles sont passées. Toutes ces choses m’ont forgée.
“Gore”
Mon album s’appelle Gore parce que ce sous-genre du cinéma d’horreur est tellement violent, sanglant, qu’il en devient limite drôle. Mon album est absurde et donc drôle, à l’image de ma vie. Il n’est pas sombre, il traite de l’obscurité du monde. Si on ne veut pas que des rappeurs continuent de parler de bitch et de putes, d’argent et de drogue, il ne faut pas s’offusquer mais changer la réalité.
Si on ne veut pas qu’une jeune femme de 24 ans fasse un album qui s’appelle Gore, qui contient un morceau sur le viol, un autre sur la prostitution, un autre sur l’isolement, il faut changer le monde… Etre une femme noire aujourd’hui, c’est gore. Cite-moi dix femmes noires influentes ! Tu vas avoir du mal. Par contre dix femmes blanches, tu y parviendras plus facilement. Et si je parle d’hommes blancs, tu en citeras cent.
Héro·ïnes
Je n’ai jamais été intéressée par les artistes. Personne ne me ressemblait donc je ne parvenais pas à m’identifier. Il aurait fallu des femmes noires en Europe qui aient du succès, qui parlent de libération, qui aient la même vision que moi. C’est comme pour les auteurs et autrices d’origine africaine. Quand tu es petite, tu peux citer Maupassant, Marcel Pagnol, mais tu ne sais même pas citer Cheikh Anta Diop. On nous a enlevé notre culture pendant très longtemps. Ne pas pouvoir s’identifier brise tout espoir. La chanteuse Khadja Nin est la première à qui je me suis identifiée. Voir des femmes noires triompher dans un monde qui les écrase m’a clairement fait de l’effet.
L’engagement
Il ne faut pas forcer l’engagement chez qui que ce soit. Tu t’engages si tu n’as pas peur. Si des artistes ont quelque chose d’intéressant à dire qu’ils le disent, mais s’ils n’ont rien à dire qu’ils se taisent. Le problème, c’est tous les artistes qui disent de la merde. Ou les extrémistes. Eux, je ne les supporte pas. Je pense qu’avec l’extrémisme on ne fait que convertir de nouveaux adeptes.
Si je mange de la mayonnaise tous les jours sans m’arrêter, ça ne va pas me faire du bien. Par contre si j’en mange de temps en temps avec mes frites ou mon steak, c’est OK. Même chose pour l’extrémisme ! Aujourd’hui les paroles qui me plaisent sont celles de Rokhaya Diallo, Assa Traoré, Aïssa Maïga… Des femmes passionnées.
Cirque médiatique
J’ai détesté la sortie de mon album. J’écris tous mes textes, je contrôle toute ma musique produite, donc être parachutée dans un contexte médiatique où on nous donne très peu de temps… On attend de nous des réponses robotiques. Commercialement parlant, c’est bien mieux d’être une personne rayonnante plutôt qu’une fille bizarre qui ne parle pas. Mais on ne peut pas l’être tous les jours ! Il n’y a que 24 heures dans une journée et on donne la parole à n’importe qui.
En France, il y a cette envie de mettre en lumière des gens exécrables. Ça étouffe les beaux discours. On entend plein de merdes, donc on rentre dans le jeu de la merde. Quand tu pénètres le circuit médiatique, tu entres en compétition avec les racistes, les homophobes, etc. qui eux-mêmes sont en compétition avec le torrent de news. Réussir à faire en sorte que ce que tu dises ait de la valeur est très compliqué.
Drogue
J’écoute la musique à fond. Je déchire le même titre, je le déconstruis. Je souhaite aux gens d’expérimenter la musique comme des fous, comme une drogue sous-marine. C’est ce que je veux apporter. En ce moment j’écoute beaucoup de variété italienne : Mina, Loredana Bertè, Gino Paoli, Cesare Cremonini… Ils sont tellement dramatiques ! La tragédie est sublimée dans la langue italienne. Ça ne me rend pas triste. Peut-être nostalgique, car ça me rappelle mon passé. Mais comme je l’ai totalement accepté… J’apprécie la tragédie. Elle a fait que je suis qui je suis aujourd’hui.
Gore (Columbia/Sony Music)
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