Remarquée l’an passé pour son envoûtant “45 Tours”, la chanteuse et compositrice est de retour avec “Boucle”. Un premier EP enchanteur, teinté de groove, qu’elle interprétera ce jeudi 28 novembre sur la scène du Théâtre des Étoiles, à Paris.
Les Inrocks – Tu viens de livrer ton premier EP, Boucle. Pourquoi ce nom ?
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Enchantée Julia – Boucle est effectivement mon premier projet, un projet composé de six chansons, de six “boucles”, comme je les appelle. Ce sont six boucles de ma personnalité, qui parlent autant d’amour que de mort… tout est assez subtil, très poétique, féminin aussi. Il y a toujours beaucoup d’images et de métaphores dans ma musique, avec beaucoup d’ambiguïté dans le texte.
Ce mot,” boucle » c’est aussi une référence à… ça va peut-être paraître cliché, mais je me suis lissée les cheveux pendant des années ; c’était un attrait physique que je n’acceptais pas. Je pense que j’ai été un peu traumatisée quand j’étais plus jeune, on se moquait beaucoup de mes cheveux, parce que c’était bizarre pour les gens que je sois blanche avec les cheveux très frisés, on ne comprenait pas trop d’où je venais… Et donc je détestais ça – et quelque part, je me détestais aussi, en fait. Résultat, je me cachais derrière quelqu’un que je n’étais pas.
https://www.youtube.com/watch?v=KOHpFD2UJU0
Et je pense que cette façon de faire, je l’avais aussi dans ma musique : j’ai longtemps fait des choses qui ne me ressemblaient pas. Et puis il y a quelque temps, j’ai décidé d’arrêter de me lisser les cheveux, et enfin d’être moi-même. Cette idée de boucle illustre donc aussi bien mon parcours, qui n’est pas tout droit, qui est fait de nombreux virages. Cet EP, c’est une façon de présenter telle que je suis, de dire : “Enchantée, moi c’est Julia, mon EP s’appelle Boucle et il faut l’écouter pour découvrir pourquoi”.
La pochette de l’EP enfonce un peu plus le clou, avec toutes ces filles aux cheveux frisés qui t’entourent…
Oui, c’était une bonne façon de mettre en avant le nom de l’EP. C’est Lokmane qui l’a shootée (c’est aussi lui qui a fait mon premier clip 45 Tours). Je lui avais envoyé mes chansons, en lui expliquant le concept de l’EP, et il a eu cette idée géniale de me mettre en scène comme dans un tableau de peinture classique, entourée de cinq filles aux cheveux frisés, qui sont un peu des espèces de nymphes fantastiques. Toutes ensemble, on représente chacune un morceau de l’EP.
Musicalement, on entend beaucoup de choses sur Boucle : de la soul, du R & B, de la variété française, du hip-hop aussi… dans quel environnement musical as-tu grandi ?
Mes parents sont de grands mélomanes. Ils ont fondé un festival de musique classique il y a 30 ans, j’ai donc assisté très jeune à des concerts de jazz, de classique, de baroque… et j’ai l’impression que tout ça, la musique, le monde du spectacle, ça m’a très tôt interpellée. Je passais mes étés à suivre mon père partout, dans les loges, au répet’…
À côté de ça, ma grande sœur avait une grosse culture hip-hop, soul et R & B américains. Elle me ramenait des CDs des États-Unis où elle faisait des échanges scolaires : les disques de Nas, des Fugees… Mais ma plus grande claque, c’est quand j’ai découvert Mama’s Gun d’Erykah Badu. J’avais 13 ans, et ça a été la stupéfaction.
Je n’ai pas du tout la même voix qu’elle, mais j’ai l’impression qu’au niveau du placement je me suis calquée sur elle. Un peu plus tard, il y a aussi eu les Aaliyah, Missy Elliott, Destiny’s Child, D’Angelo… Sans oublier Claude Nougaro, sur lequel j’ai bloqué pendant très longtemps. C’est lui qui m’a donné envie de chanter en français.
Tu chantes effectivement en français, mais avec beaucoup de groove, ce qu’on ne trouve pas forcément chez les autres artistes de ta génération qui contribuent actuellement à renouveler la chanson française. D’où ça vient, selon toi ?
Dans les années 1990 et 2000, il y a eu des chanteuses et chanteurs qui étaient là-dedans, je pense à Teri Moïse notamment, tu sais celle qui a fait Les Poèmes de Michelle. Mais après ça, ça a complètement disparu, et ces gens-là ont souvent été réduits à interpréter des refrains sur des morceaux de rap.
Et moi à mes débuts, quand je faisais écouter mes morceaux à des DA de labels, qui s’inscrivaient dans cet héritage-là, on me disait que de toute façon ça ne marcherait jamais, qu’il n’y avait pas de public pour ça… je me suis pris des vents incroyables [rires] ! Mais j’ai tenu bon, parce que c’était ma musique de prédilection, mon ADN, que je ne pouvais de toute façon pas faire autre chose.
Et quand j’ai été prête, plus ancrée avec moi-même et l’artiste que je suis, je me suis finalement lancée. Ce n’était pas facile, surtout à partir du moment où on te colle l’étiquette R & B, il y a pas mal d’a priori. C’est pour ça que je ne me sens pas complètement à l’aise avec cette étiquette. Il a des codes, des notes R & B dans ma musique, mais ce n’est pas complètement du R & B. Je dirais que c’est de la néo-soul.
Il y a un morceau que j’ai adoré sur Boucle, c’est Twin-Go. Tu m’en dis un peu plus ?
Twin-Go, c’est un jeu de mots. Je fais évidemment référence à la voiture, mais pas que. Quand j’habitais dans le Sud de la France, ma meilleure amie a eu son permis avant moi et elle a eu une Twingo. Et nous à ce moment-là, tout ce dont on rêvait, c’était d’habiter à Paris, d’habiter à L.A…. sauf qu’on habitait dans un village où il ne se passait rien du tout [rires]. Et donc souvent, on se maquillait, comme si on allait sortir de ouf, et on allait se réfugier dans la Twingo pour faire des tours dans le village avec le son à fond dans la caisse [rires] ! J’avais envie d’écrire sur ça, de façon poétique.
Tu as toujours besoin d’écrire sur des choses vécues, ou tu t’autorises parfois à t’aventurer dans la fiction ?
Je ne sais pas du tout inventer des histoires, donc en général je parle de moi… ouais, c’est complètement autocentré [rires]. Mais tu vois quand je parle de la mort dans le morceau L’au-delà, on ne sait pas trop si ça relève du rêve ou du cauchemar, et j’aime bien que ça reste ambigu, qu’il y ait deux niveaux de lecture.
La mort, c’est un truc qui me fait hyper peur, et j’avais envie de l’exprimer de cette manière-là. En laissant l’auditeur se faire sa propre idée. La musique, j’aime la partager, et cet EP a vraiment été fait dans cette idée-là, avec plusieurs collaborateurs dont Luidji, Oscar Emch, Terrenoire, Filscara, Saintard…
Oui, on sent que l’idée de collaboration est importante pour toi. 45 Tours, l’un de tes tout premiers titres sortis l’an passé, a été conçu avec Prince Waly…
Oui ! Ce que j’aime quand je fais un featuring (que je préfère appeler « duo » d’ailleurs), c’est qu’il y a cette notion de partage. C’est pas juste Luidji ou Prince Waly qui vient poser son petit huit et qui repart. Non : on chante ensemble, on crée la chanson ensemble, on l’écrit ensemble, on la compose ensemble… on fait un morceau ensemble quoi. Je pense que la musique est faite pour être partagée. D’ailleurs, j’ai eu des émotions incroyables en créant les morceaux de cet EP avec Oscar, Saintard… je ne suis pas sûre que j’aurais eu ces émotions seule.
En parlant d’émotions, tu donneras ton premier concert ce 28 novembre au Théâtre des Étoiles, à Paris, avant de te produire au Bars en Trans lors des Transmusicales de Rennes. C’est quoi, ton rapport à la scène ?
Pour tout de dire, je préfère faire de la scène qu’être derrière un micro en studio. Parce que c’est là que les morceaux prennent tout leur sens, que je les vis, les partage avec le public. J’adore chanter en live. Pour l’instant je n’ai pas encore de musiciens sur scène, on est que deux avec Saintard, mais mon but ultime c’est d’avoir un band !
D’autant que ma musique est assez organique, et que je viens de là : j’ai organisé des grosses jams à Paris pendant des années, j’ai énormément de potes musiciens, dans le jazz, la soul, le hip-hop… ça groove bien en général quand on est tous ensemble ! En tout cas, j’ai super hâte de monter sur scène. Ça fait peur, évidemment, c’est impressionnant. Mais je sais que c’est ma place.
Propos recueillis par Naomi Clément
Enchantée Julia sera en concert au Théâtre des Étoiles de Paris ce 28 novembre. Son EP Boucle est disponible depuis le 15 novembre sur Apple Music.
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