Pour leur première publication, les éditions Audimat ont choisi un livre du grand critique musical Simon Reynolds. Une analyse brillante de l’histoire du rock à paillettes et de l’héritage qu’il lègue à notre époque.
Au début des années 1970, une nouvelle génération de musiciens anglais décide qu’il faut en finir avec le rock du moment et inventer un nouveau style, plus glamour, qui va révolutionner la musique en une poignée d’années.
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Adieu au rock progressif noyé sous sa démonstration de virtuosité technique (pour eux, les groupes populaires de l’époque comme King Crimson, Jethro Tull, Yes ou Genesis ont perdu leur spontanéité en chemin), adieu aux groupes de country-rock doucereux, aux célébrations hippies qui n’en finissent plus, et place aux excès visuels sur fond d’un rock dépouillé qui lorgne vers l’esprit originel des fifties et l’extravagance d’un Little Richard.
Les glam rockers arborent des costumes flamboyants, célèbrent l’androgynie, et deviennent les vrais représentants de la jeunesse à travers leur goût de la frivolité et du spectacle. “En rupture avec les convictions de la génération libérée aux cheveux longs, le glam célébrait l’illusion et les masques plutôt que la vérité et la sincérité (…). Rejetant d’un bloc tout ce qui était naturel, organique et sain au profit du contre-naturel, du plastique et de l’artificiel, le glam a essentiellement préparé le terrain pour ce que l’on nommerait plus tard le postmodernisme”, détaille Simon Reynolds.
Londres, 1971. Ce même Simon Reynolds a tout juste 8 ans et assiste à la messe musicale de Top of the Pops sur l’écran noir et blanc du téléviseur familial. Il est soudainement comme frappé par la foudre : sur l’écran, Marc Bolan et son groupe T. Rex interprètent Children of the Revolution.
Un séisme sonore et visuel
C’est un choc sonore, mais aussi visuel ; Bolan ne ressemble à aucun autre chanteur : “sa chevelure électrique, ses pommettes constellées de paillettes, un manteau qui semblait fait de métal. Marc ressemblait à un seigneur de guerre venu des confins de l’espace”. Bolan fut comme un flash au phosphore pour Reynolds, l’étincelle et le passeur qui nous permettent d’avoir ce livre érudit et passionnant entre les mains aujourd’hui. Avec des tubes comme Metal Guru, Get It On, Bolan a posé les fondations du glam rock.
Cette scène de transmission, nous la retrouvons pratiquement décrite à l’identique dans le film Velvet Goldmine (1998) de Todd Haynes. A la seule différence que la fascination du jeune protagoniste se porte sur David Bowie et non Bolan. Tout y est pourtant, le film comme le livre de Reynolds nous montrent les différentes formes prises par une passion naissante : la formation d’un goût artistique et la fascination charnelle pour ceux qui savent accélérer la course vers la modernité. Le glam rock parle aux enfants car il est avant tout enfantin.
“Je suis toujours un petit garçon”, expliquait, au Melody Maker, un Bolan au faîte de sa gloire. “T. Rex n’est pas totalement de la musique pour les grandes personnes. Elle s’adresse à notre enfant intérieur : curieux de tout, émerveillé, impressionnable ; à cheval sur une frontière poreuse entre rêve et réalité ; qui n’a jamais connu le manque ou la perte, la déception ou le déclin.” Cette manière d’être toujours en phase avec l’enfance explique, en partie, l’incroyable succès de Bolan, Bowie, Slade ou Mott The Hoople auprès des adolescent·es.
Simon Reynolds décrit parfaitement l’idéal pop façonné par le glam : “Celui d’une musique extraterrestre, fulgurante, hystérique, dans tous les sens du terme, un lieu où fusionnent le sublime et le ridicule au point d’en devenir indiscernables (…).”
Prémices du punk…
Des artistes comme Gary Glitter, Sweet ou Slade suivront l’esthétique de T. Rex dans le processus de création d’un sous-genre connu sous le nom de glitter (paillettes). Ces chanteurs se réinventèrent en héritiers du dandysme, celui de Beau Brummel ou de Wilde : couverts de strass dans des combinaisons moulantes, portant des bottes à hauts talons, maquillés à outrance et jouant habilement du trouble autour de leur identité sexuelle.
Reynolds poursuit son exploration du genre aux Etats-Unis, à travers ce goût commun de la mise en scène et la manipulation de l’identité du genre chez des groupes comme Alice Cooper, The Cockettes, Jobriath, les New York Dolls, puis les Sparks. A l’époque, Alice Cooper préfigurait le hard rock en mélangeant cabaret, train fantôme et cirque macabre et The New York Dolls posait les bases du punk à venir.
https://www.youtube.com/watch?v=kL6zaPy6kdI
Si l’un des mystères du glam est la faiblesse de l’engouement artistique qu’il provoqua dans le reste de l’Europe, Reynolds souligne intelligemment la contribution de Kraftwerk au genre à travers son style vestimentaire travaillé et le commentaire que le groupe fait du glamour et de sa marchandisation dans ses titres.
Une redéfinition du glamour
Reynolds, sans se départir de son exigence intellectuelle pour nous conter une histoire exhaustive et abondamment documentée du glam, s’y montre aussi particulièrement émouvant en livrant son rapport intime à ce style musical. Au fil des pages, il dépasse le champ du glam pour déployer une réflexion sur la nature même de la pop et son rapport au réel.
A travers cette étude transversale de la pop, le portrait de la jeunesse post-sixties, le dandysme, le théâtre queer, la magie, le désir de célébrité, les mouvements féministes et gay ou l’architecture des salles de cinéma de l’entre-deux-guerres deviennent les objets d’étude du critique qui s’interroge sur les traces laissées par le glamour dans notre société actuelle. Il passe brillamment en revue l’héritage du glam sur la pop culture depuis quarante ans : des nouveaux romantiques de la new wave, en passant par Kate Bush, Prince, Brian Ferry, Suede, Lady Gaga ou Kanye West.
Mention spéciale aux longs chapitres consacrés à David Bowie qui dessinent une émouvante biographie que Reynolds a rédigée à la mort du chanteur en écoutant son dernier album, Blackstar. Et sur laquelle il conclut : “Peut-être est-ce une autre définition du glamour : de chatoyantes images générées par des êtres organiques, périssables, qui survivent dans les mémoires, personnelles ou collectives, longtemps après que leurs sources se sont éteintes.”
Le Choc du glam (Audimat Editions), traduit de l’anglais par Hervé Loncan et Jean-François Caro, 701 p., 20 €
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