Le compositeur américain, célèbre collaborateur de Brian Eno et figure incontournable de la musique ambient (même s’il se refusait à toute étiquette), est décédé ce 8 décembre, à l’âge de 84 ans. Retour sur un parcours libre, mené par l’amour de la mélodie.
Dans un monde qui semble s’enfoncer un peu plus chaque jour dans un flot d’idées contradictoires et de violences en tout genre, la beauté et la poésie paraissent souvent être les seules ancres capables de refléter une certaine forme de vérité. C’est dans cet état d’esprit que nous avions publié, lors du premier confinement, une playlist ambient : ”pour vous aider à rendre le temps un peu plus élastique”.
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Au sein de cette playlist, Harold Budd était le compositeur le plus représenté. On n’y avait pas réfléchi, les choses s’étaient faites comme ça. Mais forcément, l’annonce de son décès hier soir nous a touché, et un peu attristé.
Le jazz, puis le choc Rothko
Afin de saisir au vol l’influence qu’a pu avoir le compositeur sur la musique contemporaine, il faut revenir sur ses rencontres et son parcours. Tout débute à Los Angeles. Né en 1936, Budd grandit en Californie du Sud dans une famille de la middle class américaine, bercé par les chants protestants et les notes que sa mère distille sur l’harmonium du salon. Adolescent, il découvre le jazz, la batterie, et après avoir écumé tous les bars de la cité des anges avec son groupe, le jeune homme de 21 ans décide d’étudier la théorie musicale.
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Il rentre à l’université, puis part faire son service militaire (qui lui permet de jouer avec l’immense saxophoniste Albert Ayler). A son retour, Budd découvre les peintures de Mark Rothko. C’est le choc. Le musicien reste figé devant ces grandes toiles abstraites, où la couleur est reine et où les contours du “moi” n’existent plus. Ce moment le marquera à vie, et on comprend aisément pourquoi.
Les compositions d’Harold Budd sont elles aussi imprégnées d’une certaine forme d’abstraction expressionniste. Il faut comprendre par là que, si ses morceaux sont doux et poussent à l’évasion, ils n’oublient jamais d’être lucides et empreints de sentiments bien humains, ne tombent jamais dans la mièvrerie, les clichés new age et la musique d’ascenseur.
« Une musique qui était si belle, si décorative, qu’elle révolterait l’avant-garde »
Autre rencontre déterminante : celle de John Cale, qui influencera surtout Harold Budd via ses écrits. En 1966, le musicien quitte l’université et se remet à composer, en traînant ses guêtres parmi les avant-gardistes de l’époque. C’est là que son esprit libre se construit. Il publie un disque oublié, en 1972 (Madrigals of The Rose Angel), et alors que tous s’échinent à composer des morceaux dissonants en essayant d’être les plus contemporains possible, il se concentre sur la mélodie et la beauté : ”J’essayais à dessein de créer une musique qui était si belle, si décorative, qu’elle révolterait l’avant-garde, qui ne jurait que par la laideur des sons. C’est difficile à imaginer, mais la joliesse de ma musique était finalement une forme d’engagement politique, en ce temps-là.”
Mais pour accéder au véritable statut de compositeur, il manque à Harold Budd de vrais disques. C’est alors qu’il signe sur le label de Brian Eno et sort, après The Pavillon of Dreams, le superbe deuxième volet de la série Ambient : Ambient 2 : The Plateaux of Mirrors, en 1980, puis le chef-d’œuvre The Pearl, en 1984.
Les chefs-d’œuvre avec Brian Eno, et Mysterious Skin
Sur ces deux albums, la délicatesse du piano d’Harold Budd sublime littéralement les nappes de brume distillées par Eno ; et les deux disques se classent d’emblée parmi les plus importants de l’ambient. Après ça, le musicien américain n’a plus grand-chose à prouver. Il navigue entre différents styles, change de label, s’auto-produit, sort de nombreux albums et collaborations. La plus remarquée d’entre elles sera évidemment celle avec les Cocteau Twins, sur The Moon and The Melodies.
L’album (un peu daté selon celui qui écrit ces lignes, mais ces propos n’engagent que lui) sort en 1986, et il aura surtout le mérite de permettre à Harold Budd de rencontrer Robin Guthrie. Les deux musiciens collaborent ensuite plusieurs fois et leur nom sera repris en chœur par tous les adolescents des années 2000 qui ont été marqués par le superbe film Mysterious Skin (de Gregg Araki), dont ils signent la BO.
Les algorithmes prendront la suite : beaucoup de gens découvrent la musique ambient via les plateformes de streaming, et les morceaux d’Harold Budd y comptabilisent des centaines de milliers, voire des millions d’écoutes. Comme nous le rappelait à juste titre notre confrère François Moreau, il paraît ridicule, voire stupide de réduire la musique à des statistiques ; mais cette fois-ci on se le permet.
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Parce qu’au vu du statut de la musique ambient, méconnue voire méprisée, ces chiffres illustrent bien l’impact qu’ont pu avoir les chansons d’Harold Budd sur de nombreuses personnes. Ne nous reste donc plus qu’à le remercier pour ses albums, qu’on continuera de chérir (en privilégiant chaudement les formats physiques, histoire d’éviter les pubs sur Youtube), et à lui souhaiter un bon dernier voyage, aussi beau et paisible que ses chansons.
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