lls ont une vingtaine d’années, sont conscients du drame écologique et pour lutter contre ce péril, refusent d’avoir des enfants. Rencontre.
Depuis le début de cet article, deux bébés sont nés quelque part dans le monde. À la fin de ce texte, ils seront plus de 700, et à la nuit tombée, c’est 244 000 petits êtres humains en plus qui peupleront la Terre. Pour cette raison, Clémentine, 23 ans, a décidé qu’elle n’aurait pas d’enfant. « C’est un choix égoïste » martèle l’étudiante. Dans un monde qui court à la catastrophe écologique, ils sont de plus en plus nombreux à ne pas souhaiter donner la vie à un enfant de plus.
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« Chaque personne dans sa vie est déjà un impact à lui seul sur la planète » précise Nelly, la vingtaine également. Un bébé en moins, c’est donc un impact en moins. Une bouche en moins à nourrir, un 4×4 en moins sur les routes, un pollueur en moins en définitive.
La jeune femme va même jusqu’à parler « d’hérésie » pour désigner ceux qui souhaitent encore avoir des enfants. Pour cette cheffe de projet agricole, personne n’a demandé à naître dans un monde fini. Car les ressources utilisées pour se nourrir, se loger, se soigner, se déplacer etc. n’augmentent pas à la même vitesse que se reproduisent les 7 milliards de terriens qui en ont besoin. Elles n’augmentent d’ailleurs pas du tout et s’épuisent à vue d’œil. « Laisser à un enfant un avenir complètement incertain, avec des risques de pénurie d’eau, de nourriture… c’est ce choix qui est pour moi égoïste » défend-elle.
Selon l’ONU, nous serons 9 milliards sur Terre en 2050. Une croissance exponentielle qui peut se mesurer à l’échelle d’une vie. « Une personne née dans les années 1930 a vu la population passer de 2 milliards à 7 milliards !« , remarquent Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans Comment tout peut s’effondrer. Dans cet essai publié en 2015, les deux auteurs posent les bases de la collapsologie, l’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle.Très médiatisée fin 2018, cette science transdisciplinaire qui mêle autant la biophysique à l’anthropologie qu’à la démographie a fait beaucoup d’adeptes parmi les jeunes adultes que nous avons interrogés.
Le malaise d’une génération
Le choix de ne pas procréer de cette jeunesse, bercée par les reportages sur la fonte des glaces et la disparition des grands singes, est souvent la traduction d’un malaise, le constat amer d’être dans l’impasse. Les générations passées n’ont pas été assez lucides, c’est donc à eux de prendre les dispositions adéquates : « J’ai remarqué que de plus en plus de personnes de mon âge ne veulent pas avoir d’enfant pour les mêmes raisons. Notre génération se sent vraiment concernée par les enjeux écologiques et nous nous rendons compte que les prochaines années vont être particulièrement compliquées. C’est presque naturel pour nous de nous « sacrifier » pour le bien de notre planète », affirme Marion, étudiante de 21 ans.
Si la situation de la planète s’améliore, certains envisageraient d’avoir des enfants. D’autres confient n’en avoir jamais vraiment désiré : pas d’instinct maternel, refus du schéma de la famille traditionnelle, questionnement du rôle de la femme, égoïsme de procréer alors que des enfants n’ont déjà pas de parents…
Coline, 23 ans, pousse ce refus jusqu’à la stérilisation : « J’y ai pensé car je suis sûre de moi. Je me détruis la santé avec une pilule qui nous le savons est dangereuse alors que le problème pourrait être définitivement réglé. » Mais ses proches le lui « déconseillent« , la jugeant trop « jeune » pour assumer un tel choix.
Refuser d’avoir un enfant ne signifie pas pour autant refuser d’en élever un. Tous les jeunes adultes interrogés, même s’ils ne le prévoient pas nécessairement, sont très ouverts à l’adoption.
« Je pense que la parentalité est une construction sociale. Ça a déjà été observé dans d’autres sociétés sur la planète mais aussi dans le règne animal, que des enfants n’étaient pas élevés par leur parents biologiques« , explique Jacques, 25 ans, qui s’imagine mal regarder son enfant biologique droit dans les yeux en lui disant : « tu vas connaître de terribles choses à cause du dérèglement climatique, mais j’avais tellement envie d’avoir un mini-moi… »
Malgré tout, faire le choix de ne pas procréer reste souvent mal perçu. Impossible d’en parler sans passer pour un misanthrope ou un eugéniste. Certains sondés racontent même que leurs parents tentent de les culpabiliser à grands coups de « Tu changeras d’avis« , « tu regretteras ton choix« , ou encore « Pense à ta mère qui veut être mamie… »
Un sujet tabou
En choisissant individuellement de ne pas avoir d’enfant, ces jeunes adultes mettent sur la table un sujet aussi difficile à aborder dans la sphère privée que publique. On se souvient en octobre dernier du tollé médiatique qu’avait suscité une infographie de l’AFP suite au rapport du GIEC. Loin devant les autres, ne pas avoir d’enfant y était présenté comme la solution la plus efficace pour réduire son empreinte carbone. Consternés, des internautes invectivaient l’agence sur les réseaux sociaux.
Ainsi donc l’AFP considère l’enfant né ou à naitre comme un facteur aggravant de l’empreinte carbone, bien plus polluant que les voitures ou des ampoules! L’écologie poussée à la déshumanisation de la société et révélatrice d’une décadence morale… #pathetique pic.twitter.com/PrGOIytQcY
— Corinne ATLAN-TAPIER (@C_ATLAN_TAPIERO) 8 octobre 2018
Changer ses ampoules, étendre son linge et avoir un enfant en moins… ce n’est pas plutôt l’AFP qui a une case en moins ? https://t.co/m4svv5aiyT
— Gabrielle Cluzel (@gabriellecluzel) 8 octobre 2018
Est-ce donc impossible de parler de démographie alors que le péril écologique semble nous pousser à le faire ? Pour Démographie responsable, la seule association française qui milite pour la stabilisation de la population humaine, voire sa diminution sur le long terme, le sujet est frappé de tabou, notamment à cause de l’influence des religions, des courants politiques ou de la pensée humaniste.
Si Didier Barthès, porte-parole de l’association dit soutenir sans encourager ceux qui refusent la procréation, il lui semble important qu’on s’empare tous du sujet : « Nous n’avons jamais été aussi nombreux sur Terre. Changer nos modes de vies est bien entendu incontournable. Mais ce n’est ni suffisant ni forcément juste. Seulement 1 milliard de personnes sont concernées. On ne peut pas refuser aux 7 milliards d’autres de vivre mieux. »
Faire moins d’enfants pour ne pas changer nos modes de vie ?
Être moins nombreux pour profiter équitablement des ressources, un constat qui est loin de mettre tout le monde d’accord. Si aujourd’hui, des jeunes refusent de procréer pour des raisons écologiques et sont libres de faire ce choix, des intellectuels s’alarment d’une possible hyper-régulation de notre natalité, à coups de pressions algorithmiques. « Cette question se posera à un moment donné, prévoit Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste lors d’une émission spéciale début janvier des Chemins de la Philosophie sur France Culture, car c’est la seule manière de préserver ce délire individuel de consommation qui est ressenti aujourd’hui comme notre manière de vivre notre anticipation (…). Mais de fait, la première manière de ne pas trop changer est de ne pas faire d’enfant. »
Pourtant pour la plupart des jeunes adultes interviewés, ce choix se conjugue à une alimentation sans viande voire vegan et des efforts pour réduire au maximum leur impact carbone. Mais à l’échelle d’un pays riche, exiger une réduction de la natalité peut s’apparenter à un choix politique pour continuer à polluer sans trop s’en soucier. Surtout que comme le rappelle Renaud Duterne, auteur de De quoi l’effondrement est-il le nom ?, sur le plateau d’Arrêt sur images : « 8 milliards de personnes, cela pose beaucoup de problèmes en terme écologique. Maintenant, il ne faut pas se leurrer. 20 % de la population est responsable de 80% des émissions CO2. » Avant d’ajouter : « La démographie est une fausse question. Les gens qui la mettent au centre du problème doivent accepter que s’ils le font, la seule solution est autoritaire. Dans le pire des cas l’extermination d’une population et dans le moins pire une politique à la chinoise qui serait coercitive. »
Réduire les allocations familiales
Contrôler les naissances semble toujours conduire à des excès autoritaristes et des restrictions de liberté. Jacques s’en inquiète : « Je n’ai pas envie qu’un organisme politique régule les naissances, c’est pour moi une autoroute vers l’eugénisme, et je pense qu’il suffit de relire le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley pour se rendre compte que c’est une mauvaise idée. »
Démographie responsable et certains jeunes adultes interviewés osent, eux, avancer des solutions. Conscients que le néo-malthusianisme est associé à des périodes historiques controversées, ils sont plusieurs à proposer de réduire les allocations familiales en fonction du nombre d’enfants. Pour eux, elles résultent d’une « politique nataliste. » Sur leur site, Démographie responsable propose de plafonner les allocations familiales à deux enfants mais « pour ne pas pénaliser les familles nombreuses (qui ont été incitées à procréer), ces dernières continueraient à percevoir les mêmes allocations que précédemment : il s’agit de guérir et non de punir. »
La proposition fait froid dans le dos mais semble, pour Yves Cochet (ancien ministre de l’environnement et fondateur de l’institut Momentum), à la hauteur du péril écologique: « ll est question d’une politique publique nationale ou européenne qui soit neutre vis-à-vis de la natalité et qui encourage à la sobriété de la consommation pour réduire l’empreinte écologique des pays développés« , a-t-il déclaré au Monde dans une interview publiée en 2009.
Pas 9 milliards en 2050
Pour la plupart sondés, la stabilisation de la population humaine est primordiale pour faire face aux dérèglements climatiques : « Il est urgent de traiter sous un angle politique des effets de la croissance démographique sur notre environnement« , s’insurge Céline, 25 ans, diplômée et sans emploi.
Mais s’il est urgent d’agir sur ce paramètre, il serait inopérant de le traiter de manière isolée sans faire un sort à la croissance industrielle, l’exploitation des ressources énergétiques ou l’agriculture…. Comme l’explique Nathan, étudiant de 25 ans, le monde est systémique. Pour étayer sa pensée, il s’appuie sur le « rapport Meadows » qui prévoit un effondrement de nos sociétés au cours du XIXème siècle.
D’après ce rapport sur lequel se base les théoriciens de l’effondrement, il est impossible que nous soyons 9 milliards sur Terre en 2050 comme le prévoit l’ONU. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ne pas procréer apparaît donc comme un moyen de sauver l’humanité : « Je ne suis évidemment pas pour l’extinction de l’espèce humaine. Si je pense qu’il faille aujourd’hui prendre des mesures drastiques, c’est pour que l’humanité prospère » assume Nathan, aussi lucide que pessimiste.
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