Un danger réel pèse actuellement en France sur les lieux régionaux dédiés à l’art contemporain. Fragilisés et soumis à des impératifs capitalistes de productivité et de rentabilité par les collectivités publiques, ils voient leur raison d’être dénaturée et leur existence menacée.
“Nous avons besoin de nouvelles institutions, pas de nouvelles œuvres”, écrivait fin octobre l’artiste cubano-américaine Coco Fusco sur le site Hyperallergic, en réponse au succès de formes d’art engagées qui ne disent qu’en surface des inégalités structurelles plus profondes. En France, les problématiques sont similaires, mais le travail de réforme des institutions est également débordé d’une urgence plus âpre : préserver, tout simplement, l’existence des structures où l’on montre de l’art, où l’on produit des œuvres et de la pensée, où l’on accompagne les artistes, où l’on accueille les publics. Depuis plusieurs années, les centres d’art ferment les uns après les autres. A chaque fois, c’est un drame. Une spécificité, une situation s’éteint.
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“Les espaces en milieu ruraux sont victimes d’attentes erronées”
Au cours de ces derniers mois cependant, un autre constat se superpose. Certains lieux, quand bien même ils ne ferment pas, voient leur projet remis en cause, dévié, dénaturé ou amputé. Et c’est alors leur légitimité même, et celle de l’art, qui est attaquée. A Pougues-les-Eaux, le parc thermal où est installé le Parc Saint Léger – Centre d’art contemporain a été vendu en catimini par le département à la commune. Si l’association ne devrait pas être dissoute, elle serait forcée de renoncer au dispositif de résidences et d’accompagnement d’artistes au cœur de son identité.
Un an et demi à peine après l’ouverture de l’Hôtel des collections, un appel à projet a été lancé pour définir une nouvelle équipe en charge du lieu
A Sérignan, le Mrac, musée régional d’Art contemporain, reste sans direction depuis quinze mois, livré à une gestion technocratique par projets d’expositions successifs. Tandis qu’à Montpellier, un an et demi à peine après l’ouverture de l’Hôtel des collections, troisième partie du Mo.Co., pôle artistique composé de La Panacée et de l’école des Beaux-Arts, un appel à projet a été lancé pour définir une nouvelle équipe en charge du lieu, à la suite de l’arrivée du nouveau maire.
“Aujourd’hui, le département profite de tout ce qui s’est mal passé pour décréter que c’est un modèle qui ne marche plus”, estime Franck Balland, chargé de 2011 à 2016 de la programmation hors les murs du Parc Saint Léger. “Les espaces en milieu ruraux sont victimes d’attentes erronées. Il faudrait que les artistes soient à disposition des écoles, que leur travail soit immédiatement visible et utile au pacte social.” A propos du programme des résidences, il souligne que “leur vocation est d’accompagner les artistes sans attendre d’eux une productivité capitaliste”.
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La crise est “globale”
De son côté, Sandra Patron, à la tête du Mrac Sérignan de 2014 à 2019, où elle n’a toujours pas été remplacée après son départ pour le CAPC musée d’Art contemporain de Bordeaux, évoque la “tristesse et l’incompréhension” de voir délaissé un lieu fort de sa fréquentation et de son implantation territoriale au moment où elle le quittait. Rien n’aurait laissé présager de la suite. “Lorsque l’on regarde aujourd’hui l’organigramme, on n’y voit plus que des ‘chargés de’. Pour moi, il s’agit du symptôme d’une dilution de la responsabilité politique.”
En sus, l’abandon pose “de vraies questions démocratiques”, au sens où “l’inégalité territoriale ne fait que se creuser, confirmant le sentiment de déclassement ressenti par une grande partie de la population”. La crise est “globale”, estime depuis Montpellier Nicolas Bourriaud, actuel directeur du Mo.Co. : “On voit apparaître une méfiance envers les institutions, dans la mesure où elles fonctionnent comme des intermédiaires entre le pouvoir et le public. Cette crise concerne tous les intermédiaires sociaux, l’expertise basée sur un savoir étant devenue suspecte.” Ici aussi, l’attaque se camoufle sous les critères comptables de la fréquentation.
De manière symptomatique, c’est ici encore le temps long, celui de l’expérience et de l’exigence, qui pâtit du règne d’une “rentabilité immédiate”
Dans le cas du Mo.Co., l’Hôtel des collections joue de malchance : “Les grèves de trains, la fermeture obligatoire le week-end pendant le mouvement des Gilets jaunes ont fait plonger la fréquentation. C’est ce déficit de recettes que certains qualifient de ‘mauvaise gestion’ après un an, dont quasiment six mois de fermeture.” De manière symptomatique, c’est ici encore le temps long, celui de l’expérience et de l’exigence, qui pâtit du règne d’une “rentabilité immédiate”. Or, “favoriser les festivals, les projections dans la rue, les images à consommer directement sans médiation, c’est finalement contribuer à la marchandisation du monde, et créer les conditions d’un populisme culturel”, estime Nicolas Bourriaud.
Tandis que les lueurs rétroéclairées des contenus en ligne renforcent cet impératif du capitalisme attentionnel que nous soyons toujours on, tout en ignorant les conditions réelles, c’est-à-dire matérielles, de création, de réflexion et de production, les centres d’art s’éteignent lentement.
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