Depuis 2011, une poignée de groupes français estampillés garage, pop et psyché se retrouvent sous la bannière d’un label parisien à l’influence grandissante : Howlin’ Banana Records. Retour sur l’histoire d’une structure dont le parcours se confond avec celui de Tom Picton, son fondateur, et d’une scène musicale à la surprenante effervescence.
Depuis notre dernière rencontre en 2014, les choses ne semblent pas avoir beaucoup changé : seul à la tête du label Howlin’ Banana Records, qu’il a fondé en 2011, Tom Picton continue d’arpenter la capitale, le sac à dos rempli de vinyles et de cassettes audio de son cru, qu’il passe déposer chez les disquaires indés du onzième arrondissement.
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« Tom a toujours tout fait solo et c’est encore le cas aujourd’hui. Howlin’ Banana c’est d’abord l’affaire d’un seul type et en terme de personnalité, c’est un mec absolument adorable, d’une gentillesse infinie et d’une grande douceur », nous confie Thomas Dahyot, leader de Madcaps, groupe rennais signé sur le label à la banane.
Tu passes à la Méca ce soir ?
En ce vendredi matin glacial de novembre, une semaine après les attentats qui ont meurtri le quartier, Tom nous invite à le suivre chez Born Bad et Pop Culture, deux des receleurs de disques pop-garage-psyché-shoegaze les plus influents de Paris, situés rues Saint-Sabin et Keller. Si depuis peu, les sorties Howlin’ Banana Records sont distribuées par Modulor (également distributeur en France de Ty Segall), le Dionysien affectionne particulièrement la proximité qu’il entretient avec les disquaires.
« Je viens de recevoir Hot Sauce, le deuxième album des Madcaps, qui sort en janvier en collaboration avec Beast Records. J’ai aussi quelques cassettes à déposer. Comme j’habite à Saint-Denis, c’est l’occasion de faire le tour des boutiques avant Noël. Les mecs connaissent toutes mes sorties, ils écoutent absolument tout, et peuvent en parler aux clients. C’est important pour moi que ça reste familial. »
Marc, le vendeur de chez Born Bad, n’hésite d’ailleurs pas à lui prendre quelques cassettes de WAE, l’album de Anna, projet lo-fi et psyché d’un proche du groupe Volage, avant de s’attarder deux minutes sur la photo de Martin Parr qui illustre la pochette du nouveau Madcaps. Chez Pop Culture, c’est la même histoire : ça bavarde un peu et le patron de la boutique balance à Tom qu’un exemplaire du premier album des Rennais s’est vendu la veille. « Quelqu’un qu’on connait ? », ironise le jeune patron de label.
Dans les deux cas, on se salut en se disant que l’on se croisera peut-être à la Mécanique Ondulatoire le soir-même.
« La scène garage-psyché-shoegaze-machin n’est pas localisée à Paris, mais il y a quand-même des points où tout le monde se retrouve. Tu fais vite le tour : c’est l’Espace B, la Méca, l’Inter, le Lone Palm, le PCC, quelques disquaires… tout le monde se connait », nous dira un peu plus tard, accoudé au bar du Motel, Alexandre Gimenez, boss du label Requiem Pour Un Twister/Croque Macadam et co-fondateur avec Tom des soirées Psychotic Reactions.
Le revival
Bien que très éloigné des réseaux traditionnels de distribution, Tom a réussi en peu de temps le tour de force de rassembler autour de lui le meilleur du garage français, grappillant à chaque sortie un peu plus de visibilité, dans la presse comme à la radio.
« Le label prend de l’ampleur depuis deux ans : Tom a fait le choix d’étaler les sorties et de faire du développement. Il ne signe pas n’importe qui et fait les démarches nécessaires auprès de la presse pour faire connaitre ses groupes. Avant, c’était du gros DIY, là, on peut dire qu’il va vers la professionnalisation », lâche Thomas Dahyot.
Ce Picard de vingt-neuf ans a fait ses armes dans les années 2000 en tant que bénévole au Gibus, et dans les soirées Gloria Club au Trabendo et à la Boule Noire. A l’époque, la scène garage était essentiellement revivaliste, l’oeil rivé sur le rétro, et rassemblait des vieilles gloire des sixties et un public forcément plus âgé.
« Les têtes d’affiche de ces soirées, c’était des vieux groupes cool comme les Sonics, les Zombies ou les Yardbirds. C’était génial, mais pas très neuf du coup », nous confie Tom.
Pendant un court séjour à Londres, où il bosse pour les anglais de Dirty Water Records, des choses se passent à Paris avec la naissance de labels comme Teenage Menopause et Inch Allah Records, qui se mettent en tête de sortir des groupes de surf rock dérangés façon Catholic Spray, venant ainsi réveiller une scène quelque peu à bout de souffle.
« Je suis parti à Londres et Inch Allah a commencé à organiser des soirées. Ils ont pas mal fait bouger les choses. Quand je suis rentré, il se passait plein de trucs. Je m’intéressais aussi beaucoup à des labels comme Crypt, In The Red ou Frantic City et je trouvais ça intéressant de faire la même chose », se rappelle Tom.
« Inch Allah, XVIII Records, Teenage Menopause, c’est la génération avant la notre, ajoute Alex Gimenez. C’est la première vague. C’est intéressant de voir qu’on est en train d’assister à l’émergence d’une troisième génération. »
Dépasser le revival
A son retour de Londres, l’idée de monter un label a déjà bien germé dans la tête pleine de fuzz de Tom Picton. Il décide de créer Howlin Banana Records et demande à Darren Merinuk, célèbre illustrateur canadien taré d’esthétique garage et de séries Z, de lui dessiner un logo. Il le lui fera gratos. Sans avoir de plan à long terme, Tom découvre qu’il existe en France, quelque part planqué aux quatre coins de l’hexagone, une scène en devenir, pour qui les Black Lips sont déjà des vétérans et qui s’est prise en pleine gueule la vague furibarde et dévastatrice de la nouvelle scène psyché californienne de Ty Segall, John Dwyer et consorts. Cette scène, bien que biberonnée aux compilations Nuggets, s’est depuis longtemps affranchie des carcans étriqués du revival à papa et jouera un rôle précieux de grande soeur défricheuse.
https://www.youtube.com/watch?v=5F7bLc4YEKc
« Je me suis rendu compte en montant le label, qu’il y avait une tonne de groupes cool dans notre pays. Une scène était en train d’éclore, beaucoup plus moderne, et influencée par Ty Segall et tous ces mecs venus de Californie. En France, U-Turn (tourneur basé à Bordeaux) a fait venir ces groupes Américains très tôt et les kids qui les ont vus jouer ont pris une énorme claque. Pour une fois, parce que ce n’est pas toujours le cas chez nous, il y a eu une vraie réponse et une nouvelle génération de groupes est née. Je m’efforce d’archiver cette réponse », nous raconte Tom.
Petit à petit, après avoir signé quelques groupes et sorti une poignée d’EP efficaces mais encore relativement classiques dans le genre garage-rock, le jeune patron de la banane qui hurle fait la connaissance des petits gars de Travel Check. Véritable combo mascotte du label et importateur en France d’un look de slacker plus-cool-sur-scène-tu-crèves tout droit venu d’Austin, les parisiens ne sortiront pourtant que deux EP que ne renieraient pas les Black Lips. Par la suite, la rencontre avec les Volage, Dusty Mush et Kaviar Special marquera le début d’une nouvelle ère pour le garage français. Sans même trop y penser, Howlin Banana Records contribuait à la naissance d’une nouvelle scène garage cohérente, ancrée dans le présent et lorgnant déjà vers l’avenir. Thomas Dahyot constate l’évolution du label dans ce sens :
« Je connaissais Howlin Banana, je suivais les activités du label de loin. Les premières sorties étaient vachement dans le revival sixties et ne proposaient pas réellement quelque chose de neuf. Et puis fin 2013, début 2014, Tom a commencé à sortir des trucs un peu plus « garage 2000 », gardant certes un pied dans les années 60, mais typiquement d’aujourd’hui. L’arrivée des Madcaps chez Howlin’ Banana concorde avec la nouvelle direction prise par Tom. »
Tom Picton fait le même constat :
« Thomas Dahyot est d’autant plus intéressant qu’il fait le pont entre deux générations rennaises. Quand il a monté les Madcaps, il a entraîné avec lui des mecs issus d’une scène plus récente. Le but pour moi, ce n’est pas de sonner sixties, mais plutôt de m’inspirer du label In The Red records, qui a marqué un véritable renouveau dans le garage. Le revival c’est trop codifié : il faut s’habiller de telle façon, sonner de telle manière, utiliser tel matos. Alors qu’il y a quelque chose de plus moderne et spontané dans cette nouvelle scène. »
Cette spontanéité se traduit par une approche complètement décomplexée du rock garage en 2016. Alors que les Madcaps n’hésitent plus à ouvrir un disque avec des cuivres, Tom nous promet une avalanche de cordes et de claviers sur certaines des nouvelles productions de ses groupes. Ces expérimentations ne l’empêchent pas non plus de revenir à des bases plus dures, avec l’annonce de la sortie prochaine du nouvel album de Combomatix, pierre angulaire de la scène rennaise.
Psychotic Reactions and Carburetor Dung
En 2013, Tom et Alexandre Gimenez, accompagnés de Boris et Eddy de l’émission Yummy sur Radio Campus, montent à l’International les soirées Psychotic Reactions, du nom du hit de Count Five, groupe hyper culte de la scène garage des années 60 – et accessoirement combo préféré du rock critique Lester Bangs. Idée de génie qui achèvera de placer Paris sur la carte des scènes psychédéliques les plus bouillonnantes de la planète.
« L’idée est née au moment où Tom a signé Dusty Mush (bande de skateurs de Melun), se souvient Alex Gimenez. On s’était dit que ça serait cool d’avoir un lieu pour faire jouer nos groupes mais aussi des groupes qu’on ne connait pas et les tester. Le truc, c’était de créer un lien qui unirait toute une scène qui irait du garage au shoegaze en faisant de ces soirées un point névralgique inter-labels. »
Ont défilé (et défilent encore) dans ces soirées des groupes aussi différents que Travel Check (garage) et Venera 4 (shoegaze), les anglais de The Lucid Dreams (noise et psyché), Beatmark et un bon paquet d’autres, élargissant ainsi le spectre d’une scène musicale moderne, jeune et en perpétuel mouvement.
« Tout ça c’est des bandes de potes qui se motivent pour sans arrêt monter des nouveaux projets et créer des choses excitantes, reconnait Tom. J’écoute toutes les sorties du Turc Mécanique par exemple. C’est plutôt des trucs post-punk et cold wave, mais tout le monde se connait et je trouve ça génial. Il y a une scène qui dépasse les étiquettes ; d’ailleurs, le terme garage est un peu galvaudé. Ça devient difficile de coller un terme commun à tous ces groupes. Il y a des ponts dans les influences mais pas forcément dans ce qu’il en ressort. Baston est certainement le groupe le plus typique de l’époque, capable de faire le lien entre la pop, le garage et le shoegaze. »
François Moreau Martinez
Ne manquez pas la release party des Madcaps le 3 mars au Café de la Danse, à Paris (III).
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