L’amour conjugal brisé d’un bûcheron par un néo-Charles Manson. Un revenge movie moite et délirant sur mesure pour Nicolas Cage.
Se lassera-t-on un jour de ces grands films rêvés – ou cauchemardés – qui déplient leurs rubans oniriques en deux parties bien distinctes mais scellées (le plus souvent) par un panneau-titre en leur milieu ? Pas avec Mandy, en tout cas. Le second long métrage de Panos Cosmatos (réalisateur de Beyond the Black Rainbow en 2011) perpétue brillamment ce genre marqué par Mulholland Drive, Tropical Malady ou, plus récemment, Un grand voyage vers la nuit, sans oublier leur matrice à tous, Vertigo – genre en outre intimement lié aux cotonneuses séances du Festival de Cannes, pour ceux qui ont eu la chance de les y découvrir. Disons-le d’ailleurs d’emblée : que Mandy sorte en France directement en DVD est un scandale, qui confirme hélas ! la tendance des studios à ne plus montrer leurs films les plus audacieux en salle. Il est donc important de le voir sur l’écran le plus large possible, toutes lumières éteintes, volume au maximum.
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Car Mandy, sous ses dehors de série B crapoteuse, est d’abord un film de plasticien. Un film où les couleurs se déversent en de grands aplats expressionnistes et semi-abstraits, où le son compose une matière tantôt vaporeuse tantôt goudronneuse, où les nappes lysergiques composées par le regretté Jóhann Jóhannsson (décédé prématurément, il y a un an) nous élèvent au-dessus des ténèbres. Un film où aucun plan n’est banal, où l’étirement horizontal du temps et du cadre se conjugue à l’intensité verticale des sentiments qui s’y jouent : à fond, mais lentement. On a beaucoup comparé Mandy aux œuvres de Frank Frazetta, parfois pour le moquer. Or, s’il est indéniable que le peintre emblématique de l’heroic fantasy (celui des Walkyries chevauchant des dragons et de l’aérographe triomphant) a marqué Panos Cosmatos, l’on songe tout autant à Mark Rothko, Jackson Pollock ou Edvard Munch, pour ce qui concerne la peinture, à David Lynch, Kenneth Anger ou Bertrand Mandico, côté cinéma.
La matière prime, c’est entendu. L’histoire ? Sommaire et néanmoins émouvante. Comme dans tous les films de son genre, elle concerne un amour perdu : ici, la passion d’un bûcheron (Nicolas Cage) pour une dessinatrice de fantasy art (Andrea Riseborough, la Mandy éponyme), mari et femme vivant au milieu d’une forêt de conifères twin-peaksienne, se demandant, le soir avant de dormir, quelle est leur planète préférée puis, le matin au réveil, quels étranges rêves ils ont encore faits… Pendant une bonne demi-heure, Cosmatos s’en tient à la chronique ahurie de cet amour fou, qui semble façonné pour durer une éternité. Refusant de démarrer, le film ne paraît alors composé que de visages flashés en gros plans, se susurrant des poèmes cryptiques, tandis que des sous-titres en lettres gothiques, comme extraits de pochettes d’album de metal ou de trousses de collégiens (“The Shadow Mountains”, “Children of the New Dawn”), se succèdent nonchalamment. On pourrait ainsi rester des heures avec eux, dans ces bois, à les observer sans les déranger… Hélas ! l’harmonie finit par être brisée par une secte de hippies dégénérés, dont le gourou, un Charles Manson de pacotille, aperçoit Mandy au bout d’un chemin et se persuade qu’elle est son élue. Il la veut, il l’aura. Et ainsi gagnera, au terme de la plus poétique scène de home invasion qu’il nous ait été donné de voir, la promesse de vengeance d’un Nicolas Cage esseulé.
Commence alors un second film, qui est comme la face renversée du premier. Le rêve vire au cauchemar, sans moyen de savoir si tout cela, au fond, a bel et bien existé – “ça n’avait pas de sens”, avouera d’ailleurs le héros à son armurier, avant de lui acheter une arbalète et de se forger une hache, comme si ça, ça avait du sens. Jusqu’ici sotto-voce, la machine Cage se met en place, dans un revenge movie à base de sang et de cuir, de T-shirt souillé et d’ultraviolence, mais surtout de beaucoup d’humour. Mais pas d’ironie. Car là réside la beauté première de Mandy : ne jamais saper les bases de son univers, aussi grotesques soient-elles, et dans le même temps s’autoriser, grâce à la puissance expressionniste et humoristique de son acteur principal, à en rire. Miracle d’équilibriste.
Mandy de Panos Cosmatos (E-U, 2018, 2h01), sortie DVD chez Universal
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