Raphaël Glucksmann va-t-il réussir à unifier socialistes, communistes et écologistes en vue des élections européennes de mai 2019 ? De la Géorgie à Place publique, enquête sur un itinéraire sinueux.
Une file d’attente d’une centaine de mètres perle sous une pluie battante. le long du boulevard Rochechouart. Ce 29 janvier, ce n’est pas un rockeur anglais ou une jeune standuppeuse qui tient éveillée cette foule encapuchonnée et grelottante, alors que la nuit est tombée et que la température frôle péniblement les 3 °C. Ces curieux espèrent pénétrer à l’intérieur de l’Elysée Montmartre. C’est dans cette célèbre salle de spectacle parisienne que se tient le premier grand meeting du mouvement Place publique, fondé par Raphaël Glucksmann. Après quelques minutes, le couperet tombe : ils devront rebrousser chemin, la salle est déjà pleine à craquer. La pluie verglacée qui fouette le visage de ces nouveaux militants masque difficilement leur tristesse de ne pas pouvoir assister à l’événement.
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Soudain, sous les crépitements des flashs, Glucksmann sort à leur rencontre flanqué de ses deux lieutenants : l’économiste Thomas Porcher et l’écologiste Claire Nouvian. L’essayiste ôte la capuche de sa parka et s’empare d’un mégaphone pour rassurer les déçus du soir : “J’ai un rêve ! Celui de rassembler les mouvements afin de proposer une seule offre politique à gauche. Nous ne voulons pas du duel mortifère entre libéraux et nationalistes ! On ne lâchera rien, c’est promis.”
L’homme qui tombe à pic
A 39 ans, le fils du philosophe André Glucksmann – décédé en novembre 2015 – est persuadé d’être l’homme politique qui tombe à pic, celui qui peut renouer avec le vieux rêve mitterrandien de l’union des gauches. Avec le lancement du mouvement politique Place publique, le 7 novembre 2018, il ambitionne de fédérer la gauche non mélenchoniste en vue des élections européennes qui auront lieu le 26 mai prochain.
Quelques jours avant le meeting, il nous a présenté la genèse de ce projet au Via Mela, une trattoria colorée du IXe arrondissement. Chemise entrouverte et sourire au coin des lèvres, il rode ses arguments devant son assiette de pâtes : “Bien sûr qu’il existe des divergences entre EE-LV, Génération.s, le Parti socialiste ou le Parti communiste. Mais elles ne justifient pas le fait de se diviser et de prendre le risque de faire disparaître la gauche. Si on arrive à créer une dynamique de renouvellement et d’union, l’objectif est d’arriver devant En marche ! et d’incarner la véritable alternative à l’extrême droite.”
Les obstacles pour fédérer la gauche sont immenses
Sur le papier, ça paraît simple, un brin naïf même. Pourtant, l’essayiste va devoir lutter sur plusieurs tableaux. Primo : le fond de l’air est jaune et la défiance vis-à-vis de la classe politique n’a peut-être jamais été aussi forte en France. Deuzio : les leaders des partis qu’il ambitionne de rassembler se détestent cordialement. Tertio : il va devoir faire montre de sa légitimité dans les habits de nouveau héraut de la gauche.
Au début du mois de décembre, quelques jours seulement après sa déclaration d’intention, les flèches pleuvent déjà. Sous le titre Un autre Macron est possible, Raphaël Glucksmann est la cible d’un édito au vitriol publié dans Le Monde diplomatique et abondamment partagé par la gauche radicale sur les réseaux sociaux. Morceaux choisis : “Des personnalités socialistes, écologistes ou communistes projettent sur son visage souriant leurs aspirations ravalées. Glucksmann a compris que son public cible n’aimait rien tant que battre sa coulpe, triturer sa mauvaise conscience, ruminer ses échecs et y remédier au moyen de recettes toujours identiques, mais ripolinées aux couleurs du jour – le vert, en l’occurrence.” Outch.
Raphaël Glucksmann: un autre Macron est possible, par @pierrerimbert https://t.co/SpvmuZqDoP
— @monachollet.bsky.social – Mona Chollet (@monachollet) November 27, 2018
“J’ai comme règle ultime de ne jamais répondre”, évacue d’abord Glucksmann, tirant nerveusement sur sa cigarette en attendant son expresso (il fume beaucoup). Enfin, selon un proche, il a fallu faire des pieds et des mains pour l’en empêcher. Trahissant sa règle, il explose : “Non mais tu as lu cet article ? C’est lunaire ! Comment peut-on prétendre que j’ai été macroniste ? Je suis le seul mec de Paris qui a refusé de rencontrer Macron lors de l’entre-deux-tours de 2017 alors qu’il voulait me voir la veille du débat face à Marine Le Pen !”
Qui est vraiment Raphaël Glucksmann ?
N’empêche que l’édito du Monde diplo exhume aussi de vieilles casseroles. Et notamment un livre écrit avec son père en 2008 dans lequel il érige Nicolas Sarkozy en héritier de Mai 68, sa relation controversée avec l’ex-président de la Géorgie Mikhaïl Saakachvili ou bien encore cette déclaration embarrassante balancée dans Le Monde en 2014 : “Ça ne m’a jamais fait vibrer de manifester pour les retraites.” Alors, qui est vraiment Raphaël Glucksmann ? Un “bobo représentant de l’idéologie dominante”, comme l’a un jour décrit Eric Zemmour ? Ou bien un “humaniste courageux” dont “la capacité d’indignation et de révolte”, comme le présente son amie l’écrivaine Leïla Slimani, pourrait remettre dans le droit chemin une gauche en perte de repères ?
“Le seul truc de vrai dans cet article, la seule divergence, c’est au sujet de l’Ukraine et de la Géorgie, admet-il. J’ai eu tort sur mon appréciation du libéralisme, sur mon appréciation de la situation sociale en France, pensant qu’on pouvait rester chiraco-juppéiste toute notre vie, que c’était chiant à mourir et que, de facto, il fallait faire de la politique ailleurs qu’en France.” Un exercice d’autocritique rare parmi la faune politique et qui soulève une dernière question : qu’est-ce qui peut bien le motiver à se lancer dans un combat politique que tout le monde donne perdu d’avance ?
Né en 1979, le fils unique de la philosophe Jeannette Colombel ou “Fanfan” et d’André Glucksmann, ex-maoïste, reconnu pour son engagement dans la défense des opprimés – depuis les boat people vietnamiens jusqu’aux Tchétchènes et Syriens – grandit dans le cocon ouaté du Xe arrondissement parisien. Hypokhâgne à Henri IV puis Sciences-Po Paris, sa scolarité est brillante. A l’époque, l’appartement familial ressemble à une auberge espagnole où se retrouvent des révolutionnaires du monde entier. “On se ressemblait dans notre rapport aux gens, se souvient Leïla Slimani, qui l’a rencontré sur les bancs de la rue Saint-Guillaume. Nous n’étions pas grégaires, on s’intéressait au reste du monde.”
Il promet d’enquêter sur le génocide des Tutsis
Diplôme en poche, le jeune Glucksmann s’attelle à honorer un pacte scellé, dans la cour du lycée Lamartine, avec ses amis David Hazan et Pierre Mezerette. Les trois ados sont traumatisés par le massacre des Tutsis commis par les Hutus au Rwanda (800 000 morts, selon l’ONU). Ils se promettent d’enquêter et de lever le voile sur la responsabilité du gouvernement français dans ce qui restera dans l’histoire comme le dernier génocide du XXe siècle.
https://youtu.be/13AobgT52AI
Dix ans plus tard, leur documentaire Tuez-les tous ! Histoire d’un génocide “sans importance” est diffusé le 27 novembre 2004 sur France 3. Ce sous-titre renvoie au commentaire – “Dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important” – qu’aurait prononcé le président François Mitterrand devant des proches, à l’été 1994. Une phrase rapportée dans Le Figaro, en 1998, par le grand reporter Patrick de Saint-Exupéry. Dans le landerneau politique, ce film enquêtant minutieusement sur les liaisons de l’Etat français avec ce drame fait scandale. “De Villepin (alors directeur de cabinet du ministre de la Défense Alain Juppé – ndlr), avait confié à l’un des amis de mon père : ‘Faut que Raphaël fasse attention à lui, c’est dangereux, ce qu’il fait”, se rappelle Glucksmann.
Un temps séduit par le candidat Nicolas Sarkozy
A l’époque, le fils d’André Glucksmann marche dans l’ombre de son père qui l’entraîne dans le sillage de Nicolas Sarkozy. Comme une partie de la gauche intellectuelle atlantiste (de Bruckner à BHL en passant par Goupil), sa famille cède aux sirènes du volontarisme et des accents anti-soixante-huitards du candidat du “travailler plus pour gagner plus”. Sur le plateau de France 24, Raphaël Glucksmann, bien qu’il se revendique athée en politique, lui tresse des louanges : “Ce n’est pas la France de tante Yvonne, Nicolas Sarkozy. C’est le premier président qui ouvre les vannes de l’Etat et fait appel à la société civile.”
En réalité, à l’époque, la situation politique française est le cadet de ses soucis : “Ma formation ça va être le Rwanda, l’Europe de l’Est, ces lieux où la politique se donne d’emblée à voir comme tragique, comme une question de vie ou de mort”, explique-t-il. En 2006, il a terminé un second documentaire, avec David Hazan, sur la révolution orange ukrainienne survenue en 2004. Sur place, à Kiev, il se passionne pour ce peuple fier qui a contraint Vladimir Poutine à une transition politique pacifique. La place de l’Indépendance de Kiev ressemble alors à une internationale des révolutionnaires de l’Europe de l’Est. Dans ce caravansérail, Glucksmann s’extasie devant “ces gens qui venaient d’ailleurs et qui vivaient dans une tente, refaisaient le monde” et fait une rencontre qui va beaucoup compter pour lui : Mikhaïl Saakachvili, le jeune président de la Géorgie.
Le déclic géorgien
L’alchimie entre les deux hommes est immédiate. L’histoire s’accélère au cours de l’été 2008, avec l’entrée en guerre de la Géorgie contre les provinces indépendantistes de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, soutenues par l’armée russe. Raphaël Glucksmann, qui prépare un film sur Vladimir Poutine, a un déclic : “Faire un film ne servait à rien. J’avais seulement envie d’aider les Géorgiens.” Il laisse tout tomber et remue le Tout-Paris pour gagner Tbilissi, la capitale du petit pays caucasien, et proposer ses services à “Micha”.
Il est embauché par le cabinet de la présidence (pour un salaire de 5 000 euros par mois), avec pour mission de sensibiliser l’opinion occidentale au destin de cette jeune nation menacée par l’ogre russe. “Raphaël avait un charme naturel, capable de séduire facilement son auditoire, éclaire le vice-ministre des Affaires étrangères géorgien entre 2010 et 2012, Thorniké Gordadzé, joint au téléphone. Et comme il n’était pas Géorgien, il n’avait pas pour ambition d’entrer au gouvernement. Ça a beaucoup compté aux yeux de Saakachvili, ils avaient une véritable relation de confiance.”
Le lobbying pro-Georgie déplaît au Quai d’Orsay
Mais en coulisses, tout le monde ne voit pas cette mission de lobbying avec autant de bienveillance. Son irruption dans le monde diplomatique agace le Quai d’Orsay qui se met à l’affubler du surnom peu flatteur de “petit con de Tbilissi”. De son côté, le jeune conseiller reproche à Nicolas Sarkozy, de se “foutre du sort de la Géorgie”. Un diplomate de l’époque relativise les tensions : “Il n’y avait aucune arrogance chez Raphaël Glucksmann mais parfois de la naïveté teintée d’idéalisme. De l’autre côté, il y avait des gens jaloux qu’il soit si proche du président géorgien, c’est évident.”
L’aventure politique de Raphaël Glucksmann en Géorgie s’interrompt brusquement. Lors des législatives de 2012, “Micha” Saakachvili l’atlantiste, partisan d’un rapprochement avec l’Union européenne et d’une émancipation de la Russie sort par la petite porte avec 40 % des voix face à son adversaire conservateur. “Pendant toute la campagne, il n’a parlé que d’identité, se remémore Glucksmann en touillant frénétiquement sa cuillère dans son café. Nous, on voit ça et on se dit que ce sont des débiles, sans l’once d’un programme social. On n’avait pas compris qu’un discours identitaire pouvait être un moteur politiquement dingue.”
La montée du discours identitaire le pousse à rentrer en France
Ce cocktail explosif prend également en France. Le 25 mai 2014, le Front national arrive pour la première fois de son histoire en tête d’une élection nationale avec 24,86 % des voix aux élections européennes. “Je me demande alors vraiment ce que je fais en Géorgie. J’ai pour la première fois le sentiment de me tromper de combat.” Dans la foulée, Eric Zemmour publie son sulfureux Suicide français, vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. “Son succès est révélateur d’une extrême droite qui progresse dans les urnes parce qu’elle a gagné la bataille culturelle. La faiblesse de la réponse des progressistes me désespère à l’époque”, confie-t-il pour justifier son retour en France. Dans la foulée, les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher achèvent de le convaincre de rentrer au pays.
Le 26 février 2015, il sort son premier livre : Génération gueule de bois – Manuel de lutte contre les réacs. “Nous étions des démocrates paresseux, des humanistes indolents. Nous devons réapprendre à dire et à défendre la République, introduit-il. Or, le temps presse. De Poutine au FN en passant par les apprentis djihadistes qui polluent nos quartiers, les partisans d’un incroyable retour en arrière attaquent et remplissent le vide laissé par nos trop longs silences et nos communes démissions. La gueule de bois est terrible. Nous pensions surfer sur les amicales vaguelettes de la globalisation et nous allons devoir nager à contre-courant, armés de nos seules convictions, guidés par notre seul jugement. En sommes-nous capables ?”
L’appel des 800 en faveur des migrants
S’il n’atteint pas les chiffres du brûlot zemmourien, son premier essai réussit à lui chiper la tête des ventes durant quelques semaines. Un livre “fascinant” pour Romain Goupil, l’ami de toujours des Glucksmann père et fils : “Il y affirme que sa génération à la gueule de bois de tout ce qu’on a déconstruit depuis Mai 68. Il n’avait pas tort”, reconnaît le cinéaste depuis un café niché au creux de la Butte Montmartre. Ensemble, ils s’engagent : l’appel des 800, pour alerter l’opinion publique sur le sort réservé aux migrants et réfugiés de la jungle de Calais ou, début janvier 2016, pour une grande primaire à gauche avant 2017.
Raphaël Glucksmann ne se limite pas aux librairies et aux appels et investit le champ médiatique, convaincu qu’il faut participer à la bataille culturelle et ne plus laisser le champ libre aux réactionnaires. Au fil des débats télévisés, il est érigé en opposant progressiste à Eric Zemmour. En 2016 sur BFM-TV, au moment de l’élection de Donald Trump, l’idéologue identitaire se déchaîne contre lui. Glucksmann vient alors de sortir son second livre, Notre France – Dire et aimer ce que nous sommes. L’éditorialiste du Figaro Magazine le qualifie d’“idiot utile de l’islamisme” et d’“éradicateur de la France éternelle”.
Le début de la légitimité politique et médiatique
Blafard, Raphaël Glucksmann encaisse les coups et retient la leçon. Malgré les critiques sur ses origines sociales ou sa naïveté, il repart sans cesse au combat et finit par acquérir une légitimité politique et médiatique. Sa voix compte. S’il reste en retrait de la présidentielle de 2017 – entre autres pour ne pas parasiter l’activité de sa nouvelle compagne, la journaliste Léa Salamé, avec laquelle il a eu un enfant – il participe à la rédaction du discours de Benoît Hamon à Bercy le 19 mars 2017. L’acmé d’une campagne minée d’avance par les divisions au sein de la gauche, qui n’en finira plus de dégringoler jusqu’à ne recueillir que 6,3 % des voix un an plus tard. Il n’a toutefois pas le temps de tergiverser.
Quelques semaines après l’élection de Macron, il reçoit un coup de téléphone d’un magnat de la presse. Considérant que “la famille progressiste doit se renforcer”, Claude Perdriel veut lui confier les clefs du prestigieux Magazine littéraire pour en faire “le lieu d’échange des idées du grand camp des progressistes”, raconte Maurice Szafran, son directeur éditorial. Si la noce est belle, le mariage va tourner court. Les deux camps se rendent vite compte qu’ils n’ont peut-être pas la même vision du “progressisme”. Pour Perdriel et Szafran, cela inclut Macron. Pas pour Glucksmann qui, sur le plateau de Quotidien au mois de juin 2018, déclare : “Macron, c’est une promesse d’aube qui s’est très vite transformée en crépuscule.” Ce sera la goutte de trop. Le lendemain, il est convoqué par Perdriel.
Les SMS furieux de l’Elysée au fondateur du Nouvel Obs
Le fondateur du Nouvel Observateur a la mine d’un homme qui n’a pas dormi depuis trois jours. Et pour cause, selon Glucksmann, il exhibe alors des SMS furieux provenant de tout l’organigramme élyséen, dont Emmanuel Macron. Lors de cette même discussion, Glucksmann ouvre la boîte de Pandore. “Si vous avez déjà un problème avec cette phrase, vous en aurez encore plus avec mon prochain livre (Les Enfants du vide. De l’impasse individualiste au réveil citoyen, Allary, 2019)”, prévient-il. Le divorce est consommé et, après quelques semaines, l’essayiste claque la porte d’un tweet lapidaire : “Je quitte la direction du Nouveau Magazine Littéraire. Parce que la liberté ne se négocie pas et que je ne m’essaierai jamais à des louanges auxquelles je ne crois pas. Pas plus dans le ‘nouveau monde’ que dans l’ancien.”
Avant ce divorce, Raphaël Glucksmann avait été approché par l’écologiste Yannick Jadot, pour un projet de liste commune en vue des européennes de 2019. Autour d’un couscous organisé sur les grands boulevards, il fait la rencontre de Claire Nouvian, directrice de l’ONG écolo Bloom et de l’économiste Thomas Porcher, eux aussi sondés par le dirigeant d’Europe Ecologie-Les Verts. Jadot ne le sait pas encore mais son invitation va faire germer Place publique. Tous les trois déclinent la proposition de figurer sur la liste verte mais décident de s’allier en vue d’un nouveau projet.
Incarner une alternative
Nouvian, Glucksmann et Porcher multiplient les réunions, rassemblent leurs forces – un maillage constitué d’associatifs et d’ONG. A la fin de l’été, le départ de Nicolas Hulot du gouvernement offre au trio un véritable tremplin pour incarner une alternative face au “duel mortifère entre nationalistes et libéraux”. “On a discuté avec tout le monde à gauche avant de se lancer, détaille Thomas Porcher. Et vu les réticences pour s’allier, on s’est dit qu’on allait monter notre mouvement. Depuis le départ, nous sommes dans une double stratégie : à la fois coopérative avec les formations mais aussi dans l’optique de faire évoluer Place publique.” Cet auteur d’un remarqué Traité d’économie hérétique s’enorgueillit de compter déjà 25 000 militants et une quinzaine de meetings à leur actif.
Le 29 janvier, à l’Elysée Montmartre devant 1 500 personnes, si Place publique a revendiqué vouloir faire passer “les idées avant tout”, ils ont dressé une liste de dix points servant de base au rassemblement espéré. Pêle-mêle : suspension des nouveaux traités de libre-échange, ISF européen, grand plan d’investissement vert de 500 milliards. Rien de bien nouveau, si ce n’est le dernier point : “Contre les grandes coalitions avec la droite au Parlement européen”. Un avertissement à peine voilé au Parti socialiste, membre d’un Parti socialiste européen allié aux libéraux du Parti populaire européen lors des précédentes européennes en 2014.
Un Don Quichotte et une gauche en ruines
Malgré ses errances politiques et médiatiques, Raphaël Glucksmann semble avancer avec la foi de Don Quichotte dans ce combat pour rassembler une gauche en ruines en vue des futures élections européennes. “On n’a pas la recette et on peut très bien exploser en plein vol, concède-t-il avec gravité. Mais je suis persuadé que les gens ne nous reprocheront pas d’avoir essayé. Il y a, je pense, une attente à gauche. Et puis, ne pas essayer, c’est la seule certitude de l’échec.”
Après deux heures de discussion, on hésite avant de lui demander ce qui nourrit cet optimisme inébranlable dans une mission où tant d’autres se sont cassé les dents. Et pour la première fois lors de notre entretien, sa réponse fuse spontanément : “Mais j’aurais dû faire quoi ? Commenter la vie politique pendant toute ma vie, me transformer en un Finkielkraut aigri, en expliquant chaque semaine dans L’Obs que la gauche est nulle et qu’ils sont tous bêtes ? Si je crois sincèrement dans ce que je dis, alors je suis obligé de me jeter à l’eau.”
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