Héritier des pensées libertaires des années 1990, la néoruralité de Jean-Michel Wicker laisse imaginer un monde post-crash d’internet.
Que serait un alphabet qui ne serait réduit qu’à deux lettres ? Chez Jean-Michel Wicker, la langue bégaye. Les “b” et les “e”, toujours en minuscule, se déclinent en motif. Ils essaiment à travers la pratique d’édition de l’artiste, colonisent les pages des livres et fanzines qu’il imprime. Ils saturent l’espace visuel de ses peintures, collages et objets, réduisant l’espace pictural à un simulacre de page.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
Entropie asymptotique
Ces lettres solitaires ne sont ni texte, ni image. Quoi alors ? Peut-être quelque chose comme un code binaire, l’équivalent des “0” et des “1” d’un système informatique qui ne produirait rien d’autre que sa propre entropie asymptotique. Après e, after before pictures en 2017, la galerie Edouard Montassut accueille la seconde exposition de l’artiste allemand.
Relativement confidentiel, opérant depuis les marges de la visibilité, Jean-Michel Wicker initie sa pratique dans les années 1990. Passé par l’école d’art de la Villa Arson, il consacrera trois années au projet Casa Jungle à Nice. A l’instar de ce jardin urbain de 27 mètres carrés, l’idée d’un microclimat hors-sol se répercute dans sa conception de la surface d’inscription de ses lettres, images et textes. Chacun d’eux délimite l’espace où l’on tente de faire fructifier un écosystème en circuit clos.
Héritage des pensées libertaires
En arrière-plan de son travail, on perçoit l’héritage des pensées libertaires de l’époque. Pour 2, titre de cette deuxième exposition qui décidément n’offre pas facilement prise, des bâches imprimées de motifs camouflage accueillent des “e” blancs peinturlurés en sens inverse. Sur de petits formats sur toile s’entremêlent et se superposent des constellations de pâtes alimentaires, des collages de papiers découpés et un motif enfantin de fleur tracé à main levée. Par le choix de matériaux pauvres et l’application d’un processus de “deskilling”, de déprofessionnalisation, les œuvres répercutent la même idée d’autonomie que le projet de jardin.
mardi 19 février, lecture Manifestation Miracle* à 19h chez Edouard Montassut Paree✔️ https://t.co/HOdHjQSAkp pic.twitter.com/ocBMTtjaR3
— Jean-Michel Wicker (@JeanMichelWicke) February 18, 2019
Ici, la réduction à un code binaire fondamental, absurde et primaire, va de pair avec l’idée de communauté utopiste. Celle-ci tiendrait de la micropolitique développée par Félix Guattari, des Zones autonomes temporaires d’Hakim Bey et des free parties en milieu rural des Spiral Tribe. Comme d’autres le font avec leur système son, Jean-Michel Wicker déplace de lieu en lieu son système typographique, le premier se révélant tout aussi urticant pour les bonnes mœurs que le second : bêtement répétitif, sans virtuosité particulière et anti-hiérarchique.
Récusation du progrès technologique
Chez l’artiste s’exprime une néoruralité qui ne refuse pas seulement l’organisation sociopolitique du monde tel qu’il va mais également son organisation technologique. Si tout chez l’artiste semble parler d’écrans (la circulation qui détruit le sens), de cyberespace (le code binaire) et d’hyperlieux (l’écosystème hors-sol), tout récuse dans le même temps l’idée du progrès technologique. L’impression n’est alors pas tant celle de se situer avant, dans un Eden éternel, qu’après, lorsque que les Terriens auront dû réapprendre à vivre suite au crash d’internet.
Jean-Michel Wicker, 2. Jusqu’au 23 mars, galerie Edouard Montassut, Paris IXe
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}