Construit comme un cadavre exquis, le film suit les tribulations d’une ex-vedette de sitcom dont la mémoire flanche. Surréaliste, délirant et émouvant.
“Un film à en perdre la tête” : c’est une pure hypothèse (qui n’a nullement besoin d’être vérifiée, d’ailleurs) mais on imagine bien ces belles Bêtes blondes être nées d’une telle phrase, prononcée à la hussarde entre deux rêves brumeux ou trois bouffées d’herbes (aromatiques, il va sans dire), ou pourquoi pas ? tiens, sur un divan lacanien : “J’ai rêvé que je perdais la tête, docteur”, dirait l’analysé. “D’accord, mais la tête de qui ?” répondrait l’analyste… On a déjà vu scénario écrit avec bien moins que ces prémices.
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Quoi qu’il en soit, beaucoup de têtes se perdent, dans ce premier long métrage d’Alexia Walther et Maxime Matray (jusqu’ici réalisateurs d’une poignée de courts) : il y a d’abord celles décrochées de leur corps après des accidents, et qui ne cesseront dès lors de hanter ceux qui les aimaient ; puis celle du personnage principal, Fabien, dont la mémoire défaille à cause d’un mauvais métabolisme des vitamines C (ou D, il n’est plus très sûr) ; et enfin celles des spectateurs, qui devront accepter d’être largués dans le labyrinthe de signes et de blagues conçu avec soin par la paire de cinéastes.
Authentiquement surréaliste, construit au gré des errances et hallucinations de ses personnages, comme un cadavre exquis tropical (par ses couleurs vives, par son appel de la forêt), Bêtes blondes évoque à l’évidence Luis Buñuel, ainsi que ses plus contemporains disciples : Quentin Dupieux, Benoît Forgeard ou Les Chiens de Navarre – ces deux derniers partageant avec lui le même producteur, Emmanuel Chaumet. La proximité avec la troupe de Jean-Christophe Meurisse est d’autant plus évidente qu’un de ses membres éminents, le génial Thomas Scimeca, prête ses traits équins et son air ahuri à l’amnésique héros, Fabien.
Se rebootant à chaque réveil, capable de gloutonner à peu près n’importe quoi, alcoolique sans ivresse et mentalement prisonnier de la sitcom kitsch dont il fut le héros dans les années 1990 (Sois pas triste Patrice : meilleur titre ever), ce personnage est une tornade comique, une bénédiction qui excuse à lui seul les quelques scories traînant de-ci de-là (notamment le jeu hasardeux de certains autres acteurs). Le film n’est cependant pas que drôle : à l’instar de BoJack Horseman, le délirant cartoon dont il pourrait être un remake en images réelles, Bêtes blondes parvient à émouvoir dans son dernier mouvement, lorsqu’il se dépouille de ses apparats burlesques pour plonger dans la mélancolie – tête la première, corps encore sur le bord.
Bêtes blondes d’Alexia Walther et Maxime Matray (Fr., 2018, 1 h 41)
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