Jamil Dakhlia, chercheur et auteur de Mythologie de la peopolisation (Le Cavalier Bleu, 2010), décrypte la tendance à l’inclusivité au regard des mécanismes habituels de la célébrité et du fonctionnement de la mode. Entretien.
Si la célébrité est un verdict populaire, les réseaux sociaux aident-ils à sa démocratisation ?
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Jamil Dakhlia – Les nouvelles technologies accentuent cette possibilité. En théorie, elles sont la promesse pour chacun d’émerger, d’être visible et d’entrer dans le grand bain. Le piège dans cette grande ouverture est que, par principe, tout le monde ne peut être retenu. C’est une injonction contradictoire puisque l’attention ne se peut se porter que sur un nombre restreint de personnes. Le succès ne va qu’à quelques-uns et il est éphémère.
Dans ce contexte, comment des corps âgés ou grandes tailles peuvent-ils intégrer la mode et surtout ne pas être cantonnés à un rôle ?
La mode répond à un effet conjoncturel : la recherche du différent. Parfois cela vire à la recherche de “la bête de foire”. Cela n’est pas nouveau : il y a toujours eu une standardisation extrême des corps articulée à la “bizarrerie”. Dans les années 1980, une mode des mannequins rondes était présente. Dans la culture de la célébrité, le même phénomène est visible. Lorsque Audrey Hepburn joue dans Funny Face, la volonté est de renouveler l’industrie des actrices en recherchant une fille authentique, spontanée ; en somme une fille du “peuple”. Une figure différente des actrices standardisées et guindées. Dans le système de la mode, la recherche de la différence se combine à l’idée de “rafraîchissement”.
Peut-on alors parler d’industrialisation de la différence, à l’heure où des agences se spécialisent dans les physiques “atypiques” ?
Souvent, ces agences s’articulent aux structures plus standards. Par ailleurs, certains acteurs de la mode sont parvenus à élever la différence à une forme d’art. Jean Paul Gaultier a finalement fait de la différence un thème qui lui permet de se distinguer des maisons de couture intégrant les mannequins racisées ou autres de manière plus sporadique. Gaultier insiste sur le physique, comme Fellini montrait une autre forme de beauté sans en faire un motif “inédit”. En habituant le regard, il magnifie la différence, ou tout ce qui ne serait pas normatif.
L’industrie de la mode encourage-t-elle à la fois la démocratisation et la normativité ?
C’est un miroir aux alouettes ! Même dans les grandes tailles, les mannequins racisées ou seniors, il existe toujours une forme de sélectivité. Si on prend les mannequins noires ou âgées : l’extrême maigreur semble rester de rigueur. Il existera toujours des méthodes de mise à l’écart. Je pense que dans la mode, et de manière générale, il existe une volonté de styliser, de chercher une forme d’essence à la beauté, pour la rendre inaccessible. Le style réduit l’être à une forme de quintessence qui est déliée de la réalité. Pour que le rêve demeure, il ne faut pas être trop ancré dans la réalité, être trop prosaïque ou trop banal.
Propos recueillis par Manon Renault
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