Pour ce spécial mode, nous parlons inclusivité et donnons la parole à nos modèles et leurs engagements. Ici Raphaël Pfeiffer aborde le thème en nous parlant de son film « L’oeil du Tigre » racontant la vie de Laurence Dubois, mal-voyante depuis 15 ans.
Plus connu pour ses collaborations avec différents artistes de la nouvelle scène électronique parisienne (Lëster, Flagalova, Violeta West), Raphaël a sorti en décembre dernier son premier long métrage, L’Oeil du Tigre. Le film raconte l’histoire de Laurence Dubois qui, malgré la perte de sa vue il y a une quinzaine d’années, rêve de devenir championne d’art martiaux.
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Notre sujet à travers ce shoot est l’inclusion, qu’est-ce que ce terme t’évoque ?
Raphaël Pfeiffer – Je pense que le terme « inclusion » évoque la question de la prise de conscience de sa propre position. En quelque sorte, c’est une interrogation sur ses propres points d’aveuglement. Cela revient à se poser bêtement les questions : est-ce qu’il y a des problématiques ou des personnes que je ne considère pas ? Est-ce que dans ma manière d’appréhender certaines situations, je ne serais pas en train de restreindre mon spectre d’observation ?
C’est quelque chose qui revient souvent quand on filme des personnes dans leur quotidien, parce que filmer, forcément, c’est exclure. C’est tout autant choisir de montrer que choisir de ne pas montrer.
Qu’est-ce que tu as essayé de montrer avec ton film l’Oeil du Tigre, sorti en décembre dernier ?
Pour moi, L’Oeil du tigre c’est avant tout le portrait d’une femme que je trouve extraordinaire. À travers ce film, j’ai essayé de raconter la réalité du quotidien d’une personne non-voyante. Je crois que j’ai voulu montrer qu’on peut être dans une situation de handicap et avoir une vie normale.
À un niveau plus large, j’ai essayé de représenter une réalité qu’on voit très peu aujourd’hui au cinéma. C’est assez hallucinant de voir le manque de diversité du paysage cinématographique actuel. Combien y a-t-il eu d’héroïnes de plus de cinquante ans dans les longs-métrages sortis en salle ces dix dernières années ? Ou de films représentant de manière fine et bienveillante la France rurale ? J’espère que ce film participera à sensibiliser un public plus large à ces problématiques.
Comment as-tu cherché à montrer l’handicap, et quelle légitimité avais-tu selon toi à en parler ?
À mon avis, la manière la plus pertinente de parler du handicap de Laurence, l’héroïne du film, c’est de ne pas l’évoquer directement. Laurence est non-voyante depuis plus de quinze ans, elle a intégré son handicap, il fait partie de son quotidien. C’est avant tout une femme qui a envie de réussir au sport, de s’occuper de ses enfants, de passer des bons moments avec ses amis. Le handicap est présent, mais ne constitue jamais un obstacle qu’elle affronte directement. Je suis assez persuadé que c’est en s’intéressant aux problématiques de son quotidien que les vraies questions liées à son handicap surgissent de manière sous-jacente et fine.
Je pense que ma légitimité à parler du handicap de Laurence vient du lien que j’ai avec elle. Laurence c’est avant tout une amie. C’est une personne qui fait aujourd’hui presque partie de ma famille, et qui a accompagné toutes les phases qui ont suivi le tournage du film, de la post-production à la promotion de la sortie. Je tiens à préciser que je ne prétends pas parler du Handicap en général, mais que de la situation de Laurence.
As-tu mis en place des initiatives de sensibilisation (ou autres) autour de la sortie du film ?
Oui, dans le cadre de la sortie du film on a beaucoup collaboré avec des associations qui travaillent sur la question du handicap, et plus particulièrement celle de la cécité. On a notamment eu le soutien de l’UNADEV (Union Nationale des Aveugles et Déficients Visuels), et de la fondation VISIO qui nous ont aidé à financer l’audiodescription du film (un système d’écoute permettant aux spectateurs non-voyants et mal-voyants d’avoir une description audio simultanée au cinéma).
C’est important de souligner qu’aujourd’hui, une grande partie des films bénéficient d’une audiodescription, mais que très peu de salles en France sont équipées avec ces systèmes-là. On a essayé de profiter de la sortie du film pour sensibiliser des exploitants de salles de cinéma et les inciter à investir dans cet équipement. On a notamment mis en place des projections uniquement diffusées en audiodescription pour permettre à un public voyant de se rendre compte de ce que ça représente.
Aussi, on a mis en place une initiative de covoiturage solidaire avec Blablacar pour inciter des conducteurs « valides » à prendre en covoiturage des personnes à mobilité réduite et les emmener au cinéma.
C’était très important pour nous de transformer certaines problématiques du film en initiatives concrètes.
Quel lien fais-tu entre ce documentaire et sur tes clips (Violeta West, Flagalova) visant un public très différent et beaucoup plus « pointu » ?
Je pense que dans les deux situations, mon approche reste assez semblable : ce documentaire et ces clips partent tous deux d’une expression qui n’est pas la mienne. Dans un cas, il s’agit de morceaux de musique, et dans l’autre, du quotidien d’une femme passionnée d’arts martiaux. À chaque fois, mon travail est une interprétation d’une matière première qui m’échappe.
Après, effectivement, les films prennent des formes très différentes, mais je pense que c’est plus le reflet d’une différence entre le fond des sujet, que de ma démarche.
Tu as récemment changé de couleur de cheveux me semble-t-il ? Qu’est-ce que ça raconte ta vision du corps et du lien entre identité, apparence et vêtement ?
Haha, effectivement j’ai récemment teint mes cheveux en bleu. Je pense que c’est assez révélateur de mon envie de tourner une page et de marquer la fin de ce film qui a quand même pris quatre années de ma vie (pendant lesquelles j’ai gardé sensiblement toujours la même coupe de cheveux). Je crois que j’aime bien l’idée d’avoir une preuve au quotidien que cette page est tournée.
[N.B : Raphaël Pfeiffer, qui a posé dans notre numéro spécial mode de cette semaine est aussi le frère d’Alice Pfeiffer, la cheffe de notre rubrique « Où est le cool ».]
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