L’expo collective « Tainted Love (Club Edit) » ménage une scène d’apparition où se dissolvent, dans les reflets de la nuit, les identités et les étiquettes. Un manifeste artistique pour une “figuration sans figures”.
Le hit pop, on l’entend sans l’écouter, souvent même sans le remarquer, trop occupés à vivre et à faire. Sans prétention, il n’impose pas l’écoute exclusive. Telle est d’ailleurs sa force : il accompagne le mouvement sans jamais le dicter, s’infiltre partout sans appartenir à personne. Générationnel et planétaire, le hit est une toile de fond commune qui se teinte néanmoins d’une coloration intime pour chacun. A la seconde, à la dixième écoute, on n’y prête pas une oreille plus attentive que la première fois, et pourtant, il nous paraît plus dense, pétri d’intensités nouvelles : c’est qu’entre-temps, il s’est épaissi de tous les différents contextes où l’on a pu l’entendre.
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Un hit, comme le Tainted Love de Soft Cell, est un embrayeur de fictions et d’autofictions, de mémoires réelles ou bricolées. Il véhicule, pour ainsi dire, une “figuration sans figures”. L’expression est celle qu’emploie le curateur Yann Chevallier pour qualifier la famille d’œuvres, et d’artistes également, réunie au sein de l’exposition Tainted Love (Club Edit) à la Villa Arson à Nice.
Pour celui qui est aussi le directeur du Confort Moderne à Poitiers, le hit et le club permettent de faire régner, sur les formes, une confusion du langage et des hiérarchies propices à l’éclosion de logiques sensibles. Les affects et le corps, l’invention de soi et les rencontres éphémères, deviennent alors les fils conducteurs d’un accrochage atmosphérique où les œuvres respirent, se pavanent, se contemplent ou déteignent les unes sur les autres.
Un dépliage augmenté d’une première expo
A Nice, les quelque trente-quatre artistes ou duos d’artistes prospèrent par petits groupes d’affinités formelles, sans forcément laisser présager de leur contexte d’apparition initial. Taillé dans cette matière sensible aussi insaisissable que des membres en sueur entremêlés, un arc historique se dessine bel et bien.
Celui-ci relie une scène anglo-saxonne des années 2000 (dont Rita Ackermann ; Brian Degraw ; Oliver Payne & Nick Relph) à une mouvance contemporaine des années 2010 (Tarek Lakhrissi ; Tarik Kiswanson ; Azzedine Saleck) en serpentant par quelques singularités stellaires (Fabienne Audéoud & John Russell ; Vava Dudu ; DSCTHK).
“Dans le New York des années 2000, le décloisonnement des pratiques et des regards, les affinités entre art, mode et club, étaient entendus. En France, nous avons toujours eu tendance à rester davantage attachés aux étiquettes”, déclare le commissaire. Comme lors de la première itération au Confort Moderne, dont le volet niçois propose ici un dépliage augmenté, deux artistes déploient chacun une installation ou un ensemble d’œuvres en forme de solo show enchâssé.
“Figuration sans figures”.
Lise Haller Baggesen serait certainement l’un des exemples les plus explicites de cette “figuration sans figures”. Chez elle, l’enveloppe de chair a cédé la place aux seuls accessoires venant définir tel ou tel personnage, dont elle précise ensuite les traits par l’écriture d’un récit d’anticipation. Ainsi Euromancer, Baby Trash, Hella Kitty, Ms Peace in the US ! ou Hi Butfl n’ont besoin que de quelques breloques chic et toc accrochées sur un mannequin pour naître au récit.
Quant aux corps juvéniles du peintre Norbert Bisky, brossés à larges aplats, ils évoqueraient bien la tradition de la grande peinture figurative allemande. Et pourtant, tout se disloque, les corps tombent, explosent en vol, les membres se mêlent et s’indistinguent, terrassés de flashs d’une violence inconnue que d’autres nommeront peut-être plaisir.
Identité fragmentaire d’une génération
Né en RDA au début de la réunification allemande, Norbert Bisky ne peint aucune chute originelle ni péché quand bien même ces derniers puissent être délectables. Mais il témoigne de l’identité fragmentaire d’une génération née entre deux chutes : celle du mur de Berlin et des Twin Towers. Si l’on a beaucoup épilogué à ce sujet, il est rarement traité de manière célébratoire ou affirmatrice. Plutôt que le manque ou la perte, l’état délié, la perception de soi, du rassemblement et du monde diffractée ouvre à l’alliance et aux formes plurielles.
Tout au long des allées et des recoins, des podiums et des baies vitrées de la Villa Arson, la disposition des œuvres le démontre en laissant éclater les jeux de reflets, de moirés ou de halos lumineux. Forcément, les paillettes et diadèmes de Lise Haller Baggesen, la carrosserie des Range Rover de Nina Beier, l’acier miroir des tissages de Tarik Kiswanson, la boule à facettes de Brian Degraw, le dépôt d’argent sur toile de Jacob Kassay, les tirages froissés-moirés d’Eileen Quinlan ou le néon rose de Sylvie Fleury imprègnent les œuvres voisines.
L’artifice, le fragment ou le reflet, les traits formels récurrents de l’exposition, signifient en excès de ce qui est montré, en excès de ce qui est là. Finalement pas si présents dans l’exposition, le club et la culture club sont ici surtout vecteurs de dissolution des frontières individuelles, qui laissent alors place aux différentes manières d’habiter d’une même trame – le rythme d’un morceau, les codes d’une scène, l’architecture d’un club.
Tainted Love (Club Edit) Jusqu’au 26 mai, Villa Arson, Nice
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