Le groupe de Billy Corgan revient avec un double album en forme de miroir déformé de son indépassable Mellon Collie and the Infinite Sadness, qui fête son vingt-cinquième anniversaire cette année.
Dans The Wrestler (2008) de Darren Aronofsky, Mickey Rourke incarne un ex-catcheur star de retour sur le ring pour un dernier combat qui pourrait lui coûter la vie. Son corps est abîmé, son esprit résigné. Lutter, c’est tout ce qu’il sait faire. Il y a de grandes chances que Billy Corgan, leader et âme des Smashing Pumpkins, ait vu ce film tant il est un grand amateur de catch, lutteur occasionnel et propriétaire de la ligue vieillissante NWA depuis quelques années. En entamant l’écoute de CYR, un double album au format presque obsolète à l’ère de Spotify et TikTok, difficile de ne pas avoir en tête l’image du baroud d’honneur d’un dinosaure en puissance de la génération grunge.
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Ce format double n’a probablement pas été choisi par hasard par Corgan, l’année où l’on fête les vingt-cinq ans de Mellon Collie and the Infinite Sadness, monument du rock des années 1990 et plus gros succès du groupe. Excessive, lyrique, baroque, parfois au style pompier, cette œuvre dénotait largement dans une époque qui ne jurait que par la nouvelle école de Kurt Cobain et ses suiveurs. Un disque monde qui marqua une véritable rupture dans la carrière des Smashing Pumpkins comme dans celle de son leader au crâne rasé, à qui l’on prêtait des manœuvres de tyran et un ego assoiffé de gloire. En 2020, Billy Corgan revient avec un line-up quasi originel, sans sa bassiste-vocaliste historique, D’arcy Wretzky, qui s’est égarée entre excès multiples et vie recluse dans un ranch ponctuée de visites occasionnelles au tribunal. Grimé en Nosferatu post-grunge, il rêve à la fois d’une deuxième jeunesse et d’une place au Panthéon des génies du rock’n’roll.
Un groupe à part
Si Gish (1991), le premier album des Smashing Pumpkins, fut éclipsé la même année par un monstre du nom de Nevermind, il permit tout de même au groupe de signer en major et de sortir Siamese Dreams (1993) puis son chef-d’œuvre, Mellon Collie and the Infinite Sadness (1995). Billy Corgan n’avait pas grand-chose à voir avec les stars montantes de l’époque grunge. Fasciné par les guitar heroes (il posa avec Eddie Van Halen en couverture de Guitar World en 1996, alors que les ténors du hard rock eighties étaient considérés comme des pestiférés par la nouvelle scène de Seattle), Corgan se rêvait en Dieu du stade. Il développa précocement des fantasmes de grandeur à mille lieux de l’attitude misanthrope de Nirvana ou celle, plus empathique, de Pearl Jam. Enfant maltraité par une belle-mère abusive, rejeté par un père guitariste défoncé 24h/24, le musicien n’avait que faire de l’attitude punk. C’est à force de travail qu’il a fait de son groupe un mastodonte de ce qu’on appelait au mitan des années 1990 le rock alternatif. Il ne profitera pas longtemps des fruits de son dur labeur.
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En 1996, en pleine tournée pour soutenir son double album enfin couronné de succès, Corgan dut virer son batteur à la frappe si caractéristique, Jimmy Chamberlin, au lendemain d’une overdose partagée avec le claviériste Jonathan Melvoin qui resta, lui, sur le carreau. Les années suivantes furent marquées par un divorce, la mort de sa mère et un syndrome de la page blanche qui mena le groupe à sortir un disque en trio sans batteur, le très new wave Adore (1998). La seconde vie des Smashing Pumpkins, secouée par le chaos plus ou moins contrôlé imposé par son leader, commença au début des années 2000 et le groupe ne retrouva jamais véritablement la magie de ses premiers travaux ni le succès commercial.
“Je pense que la guitare a fait son temps”
Etrange scène que d’imaginer la rencontre d’une gloire vieillissante du rock nineties et d’un jeune artiste révéré pour son approche futuriste de la musique. Et pourtant. Il y a quelques jours, Rolling Stone réunissait Billy Corgan et Kevin Parker, le leader de Tame Impala clamant son admiration pour Siamese Dreams, le disque qui lui aurait donné envie de commencer à écrire ses propres morceaux. CYR, qui paraît aujourd’hui, est un double lp à la tonalité très synthétique, mais il ne vise pas la transcendance psychédélique et léchée de Tame Impala. Produit par Corgan (qui avait fait appel en 2018 à Rick Rubin pour réaliser Shiny and Oh So Bright – Vol. 1/LP – No Past, No Future, No Sun), c’est un disque marqué par une absence de choix. On y retrouve le géant chauve à la fois affamé de conquêtes sonores et englouti par le poids de ses maîtres à penser (David Bowie, Bauhaus ou Depeche Mode), dont il peine à toucher du doigt l’intemporalité. CYR semble perdu dans une faille spatio-temporelle, titillant la nostalgie des fans hardcore du groupe tout en essayant de s’inventer un futur.
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L’introductif The Colour of Love, premier single dévoilé, ne fait pas dans la dentelle. Et pourtant, la voix de Corgan, dès qu’elle rentre, convoque tout l’imaginaire associé aux sommets des Smashing Pumpkins. Ce timbre unique, qui valut au chanteur tant de railleries de la part de la presse dans les années 1990, reste l’un des plus singuliers du rock, à classer quelque part entre ceux de Neil Young et Perry Farrell. C’est cette voix d’ailleurs qui sauve souvent le navire du naufrage, comme sur Ramona, lointaine réminiscence du lyrisme habité de Mellon Collie et l’un des meilleurs moments de CYR, dont on savourera l’arpeggio piqué à Daft Punk (ou à Van Halen !) comme un plaisir coupable.
Comme le confiait Billy Corgan à Uncut en 2018, “je pense que tout a été dit avec une guitare”. Ceci explique probablement cet album chargé en synthétiseurs en tout genre, qui flirte parfois avec un Nine Inch Nails pataud, voire avec le pire d’Empire of the Sun. Cependant, un morceau comme Save Your Tears, gavé de synthés eighties, prouve que Corgan n’est pas à la peine avec un clavier entre les mains. Mais on regrettera forcément son jeu de guitare félin, capable de passer de la lourdeur de Black Sabbath aux envolées techniques de Rush (deux influences largement revendiquées). CYR sonne comme le disque d’un souverain déchu égaré dans ses rêves de grandeur mais quelques indices laissent à penser que Corgan et ses citrouilles valent mieux que cette indigeste odyssée en cosplay gothique. Espérons simplement qu’il retrouve le chemin de sa six-cordes – et un peu de simplicité.
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