Un méli-mélo d’indics et de flics se surveillent et se punissent dans un polar au comique déchaîné et strident.
Michel Foucault adapté à l’écran par Jean-Pierre Mocky ? La formule est un peu abrupte, schématique, mais il y a de ça dans ce film aussi percutant qu’hilarant. Comme si l’auteur de Surveiller et punir avait été traduit et concassé en fiction burlesque, saugrenue, intempestive.
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Il est donc question de police et de surveillance dans Tip Top. L’inspecteur Mendès (François Damiens) recherche son indic mystérieusement disparu. Il enquête notamment dans la communauté maghrébine, dont l’informateur faisait partie. Puis Mendès reçoit sur le râble la police des polices, laquelle a le visage et l’allure pète-sec de la commissaire Lafarge (Isabelle Huppert) et de son adjointe (Sandrine Kiberlain). Autant dire que chacun surveille chacun et que tout le monde est épié.
Mais autant le dire aussi, l’histoire de la disparition de l’indic devient rapidement aussi compliquée que le scénario du Grand Sommeil et ça n’a pas grande importance : le grand récit bien bouclé n’est manifestement pas le souci de Serge Bozon. Ce qui intéresse ici le cinéaste (et nous, spectateurs bluffés), c’est chaque scène en soi, l’interaction entre
chaque scène (qui produit des entrechocs tranchants comme des riffs), les petites manies de chaque personnage et les idiosyncrasies magnifiques des acteurs et actrices, leurs gestes, expressions et phrasés.
Voilà par exemple Mendès-Damiens qui déboule dans un café arabe en déversant des insultes racistes sur les nombreux clients. Malaise. Puis au milieu de sa harangue insensée, il hurle : “Vive Henri Emmanuelli ! Vive François Bayrou !” Baston générale et rire – quoique encore un peu crispé. Ce n’est qu’à la scène suivante qu’on comprend que la diatribe xénophobe était un stratagème : Mendès n’est pas raciste, il parle même arabe.
Cet enchaînement donne une idée du fonctionnement à rebrousse-poil du film, entre brutalité, latence, retournement de ce qu’on avait cru comprendre. Bozon en finit ainsi avec la “question” beur : les Maghrébins sont distribués dans le film dans les rôles les plus clichés (dealers, indics, prolos des cités…) mais aussi les moins conformes aux préjugés sociaux-ethniques (haut fonctionnaire de police, amant…).
Si Damiens est bon, comme prévu, le meilleur et le plus inattendu du film, ce sont les couples Huppert-Kiberlain et Huppert-Naceri. Fonctionnaire d’une psychorigidité désopilante, Huppert aime tellement l’autorité qu’elle frappe jusque dans sa vie privée, jouissant en se fritant avec son compagnon. Et là, énorme idée d’avoir casté Samy Naceri pour le rôle de l’amant frappeur-frappé, intuition décuplée par l’association avec Huppert ! Et ça marche ! La reine du cinéma haut de gamme et l’icône caillera font merveille ensemble, résumant le choc des oppositions qui est le principe moteur du film. Gag récurrent : “Is Hup” lèche voluptueusement la goutte de sang qui perle sur son nez tuméfié.
Il faut une imagination débridée, une audace et une liberté absolues pour imaginer de tels gags, de telles associations de casting, et les mener à bien. De son côté, Kiberlain figure une assistante un peu nunuche, qui obéit à sa supérieure hiérarchique jusqu’au mimétisme, et cache un petit secret : sa vie sexuelle consiste à observer par la fenêtre les couples de voisins qui font l’amour. Bref, l’une cogne, l’autre mate, les deux prolongeant leur mission professionnelle dans leur libido. Surveiller et punir, au pied de leur lettre déviante.
Petite machine burlesque, grinçante et toujours surprenante, Tip Top n’en reflète pas moins deux ou trois choses sur la France d’aujourd’hui. Par exemple, les Arabes font partie de notre tissu social national au même titre que les Bretons ou les Alsaciens. C’est acté, nul besoin d’en concevoir angélisme ou parano, et autant en rire. Ou encore, comment démêler la pulsion de la nécessité professionnelle dans le métier de policier ? Surveiller, punir et jouir, est-ce la même chose ? De son côté, Tip Top observe, percute. Et fait hurler de rire.
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