Le cinéaste et le compositeur travaillèrent ensemble sur deux films.
« Quand j’ai tourné La Rançon de la gloire (2014), l’histoire de deux types (Benoît Poelvoorde et Roschdy Zem) qui enlèvent le cercueil de Charlie Chaplin, le cinéma de Chaplin était pour moi tellement lié à la musique que j’ai tout de suite pensé à faire appel à un grand compositeur de BO (dans mes précédents longs métrages il n’y avait pas de musique d’accompagnement). Et je m’étais dit: « Pourquoi pas Michel Legrand ? » Je lui ai envoyé le film, il m’a très vite répondu : « C’est formidable. » On a travaillé chez lui. Mon épouse, Marie-Julie Maille – qui est aussi la monteuse de mes films – est venue avec son ordinateur. On mettait un petit micro dans le piano et on intégrait directement la musique dans le film. Michel adorait. On pouvait corriger tout de suite. Il ne se comportait pas du tout comme la légende qu’il était.
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Les séances de travail avec Jacques Demy
Il me racontait les séances de travail avec Demy. Ce dernier lui expliquait : « Alors Catherine Deneuve entre par la droite et elle monte l’escalier. » « J’ai besoin de savoir combien de marches, Jacques. Il m’en faut au moins six », disait Michel. C’est le jazz qui lui avait appris ça. Il disait qu’il fallait répondre au plus vite à ce que joue son partenaire. Qu’il fallait le moins de distance possible entre les oreilles et les mains. On faisait vraiment la musique du film ensemble, il s’adaptait, il écoutait, il comprenait au quart de tour.
Je disais des choses avec des mots et lui les traduisait en musique à la seconde. On adaptait le montage à la musique et vice versa. Une vraie collaboration. On riait beaucoup. Ce fut un coup de foudre en amitié. Mais un jour, on était en train de pêcher chez lui, et tout d’un coup, je lui dis, en parlant des Moulins de mon cœur : « Ta chanson, Michel, c’est n’importe quoi : une pierre que l’on jette dans l’eau vive d’un ruisseau, ça ne fait pas des millions de ronds dans l’eau ! » Et là, je crois que c’est la seule fois où il ne m’a pas du tout trouvé drôle (rires)…
J’ai rencontré Michel Legrand dans la plénitude
Une fois, je lui ai demandé : « Mais comment fais-tu pour ne jamais être fatigué ? » Et il m’a répondu : « Je ne suis fatigué que lorsque je m’ennuie. » Alors il faisait en sorte de ne jamais s’ennuyer. Diriger un orchestre de soixante-dix personnes n’était pas fatigant, pour lui. Je crois aussi que j’ai eu la chance de rencontrer Michel Legrand dans la plénitude, dans le bonheur, dans l’amour, etc.
Je n’ai pas connu le Legrand flippé qu’il devait être dans sa jeunesse. Même si ça me fait chier qu’il soit mort, je souhaite à tout le monde une mort comme la sienne : amoureux, aimé, au sommet de sa gloire. »
Propos recueillis par Jean-Baptiste Morain
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