Conçu par le studio franco-britannique Sectordub et publié par l’infaillible (ou presque) éditeur américain Devolver Digital, « Pikuniku » s’affiche comme une gourmandise colorée naïve dans la lignée de « LocoRoco », « Noby Noby Boy » ou « Rolando ». Mais, au-delà de ses facéties, il se révèle porteur d’un propos plus sérieux qu’il n’y paraît. Et si c’était le jeu le plus subversif de ce début d’année ?
« De l’argent gratuit ! » La foule des villageois n’en revient pas : comment un tel miracle est-il possible ? Comment ne pas se réjouir quand surgit dans le ciel l’immense robot lanceur de pièces ? Et tant pis s’il en profite pour repartir avec toutes leurs récoltes. Que n’abandonnerait-on pas en échange d’une pluie d’ »argent gratuit » ? Nous, dans tout ça, on débarque à peine. Les gens ne nous aiment pas trop et nous prennent même pour un monstre. Il faut dire, aussi, qu’en arrivant de la grotte où l’on avait émergé d’un long sommeil, on a malencontreusement cassé le pont qui mène au village. Les habitants sont formels : il va falloir réparer. Bienvenue dans le jeu le plus lumineux de ce début d’année.
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Un héritier de « LocoRoco »
Avec Devolver Digital (Hotline Miami, Minit, Not A Hero, Crossing Souls ou l’excellent Downwell qui vient d’être adapté sur la Switch), on s’est habitué aux expériences ludiques « différentes », mais, même de sa part, celle de Pikuniku a de quoi surprendre. A première vue, le dernier ajout en date au catalogue de l’éditeur américain, conçu par le studio franco-britannique Sectordub, a tout d’une pure gourmandise, d’une joyeuse sucrerie colorée dans la lignée de LocoRoco (le merveilleux jeu de plateforme de Sony dont on ne saurait trop conseiller la version PS4 remasterisée) ou de Rolando (très chouette jeu des début des débuts de l’iPhone malheureusement injouable avec les dernières versions d’iOS). L’impression n’est pas fausse : avec son style rond et coloré, son dépouillement graphique (qui est aussi la garantie d’une parfaite lisibilité) et son récit apparemment naïf, Pikuniku se donne d’abord comme un terrain de jeu et d’expérimentation enfantin (ce qui n’est pas du tout synonyme de : seulement pour les enfants) dans la lignée des créations de Keita Takahashi (Noby Noby Boy, disons).
Battle de danse ou décoration d’épouvantail
Le premier plaisir est dans le « faire », dans la découverte de la manière dont bouge notre personnage – qui roule, saute, donne des petits coups de pied – et de ce qu’il peut faire en interagissant avec ce et ceux qui l’entourent. Comme toujours ou presque dans les jeux mêlant action et exploration, il y a des tâches à accomplir (au hasard : dessiner un nouveau visage à l’épouvantail, retrouver un ver qui s’est égaré dans une caverne, remporter une battle de danse contre un robot dans la boîte de nuit de la forêt…), mais elle font moins office de direction à suivre immédiatement que de cadre pour faire tenir debout ce monde facétieux et cette expérience qui ne l’est pas moins. Jouer à Pikuniku, c’est d’abord tenter des choses, et ça le restera une fois atteint la “fin” de l’aventure (au bout de quelques heures à peine : on en aurait bien aimé davantage tant ce qu’il y a déjà est bien).
Vive la révolution
Mais revenons à notre affaire d’argent gratuit. Pikuniku est aussi – non pas surtout mais autant – une histoire d’exploitation (du peuple par le pouvoir économique de la Sunshine Inc., en l’occurence), de prise de conscience, de résistance collective et, finalement, de révolution (via, notamment, le combat contre des robots géants dont on triomphe en les bombardant de glands). Pikuniku est une histoire de libération, et c’est précisément ce qui emballe et lui donne son absolue cohérence. Le récit est une blague, mais aussi une parabole un minimum sérieuse – l’une n’a jamais empêché l’autre – dont, selon notre humeur, on pourra donner une lecture marxiste ou situationniste. Et puis, le concept de société du spectacle ne serait-il pas le plus adapté pour décrire l’état initial de Pikuniku avec ses villageois trompés et soumis ? Et ne peut-on pas voir dans notre balade attentive et souriante dans cet univers kawaii, de la forêt au lac en passant par le métro et quelques réseaux de caves piégeuses, une héritière de la dérive et de la psycho-géographie que théorisa jadis Guy Debord ? (Si on a envie, on va dire qu’on a le droit.)
Pour le plaisir
Le mot-clé mis en avant par les auteurs de Pikuniku est « playful« . Soit léger, enjoué, taquin, mais aussi désireux de jouer, littéralement “plein de jeu” : rempli par le jeu. Pikuniku déborde d’ailleurs de jeux pour le coup vraiment “gratuits”, sans conséquence pour notre progression et qui sont leur propre récompense. Alors on se déguise, on fait pousser des fleurs, on observe des insectes cachés qui nous offrent une petite danse pour célébrer le fait qu’on les a trouvés. On roule pour le plaisir de rouler. On se laisse glisser, flotter ou projeter. On retourne voir un personnage ou un autre parce qu’on l’aime bien. La “réalité” de Pikuniku n’est pas numérique, binaire (0 ou 1, ouvert ou fermé, noir ou blanc…), mais analogique : dans l’utilisation de son moteur physique – il est souvent question de pousser des objets ou des personnages pour les conduire à un point précis – comme dans son sens profond, tout est affaire de variations, de nuances et de l’effet d’une chose (un corps, une idée) sur une autre. Alors, futile, Pikuniku ? On peut au contraire trouver essentiel ce qui le remue si allègrement.
Pikuniku (Sectordub / Devolver Digital), sur Switch, Mac et PC, environ 13€
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