Malgré sa trame qui puise dans une blessure intime de son auteur, “Uncle Frak” d’Alan Ball ne retrouve pas la puissance dramatique de ses créations antérieures.
Il y a un peu moins de vingt ans, Alan Ball s’apprêtait à briser le cœur de quelques millions d’entre nous, fixé·es devant leur écran de télé, percuté·es par une élégie nommée Six Feet Under. Ce mélo familial situé dans le milieu des pompes funèbres a couru de 2001 à 2005, jusqu’à son extraordinaire finale.
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Comment éviter la haine de soi quand sa propre famille exprime de la haine ?
En tant que créateur de cette série qui incarna avec quelques autres – comme Sex and the City et The Wire – l’âge d’or de HBO, le scénariste d’American Beauty avait su saisir le pouls d’une époque (déjà) en mal de consolation, offrir des images à une angoisse de mort qui, d’intime, devenait collective. Son deuxième film après Towelhead (2007) fait en quelque sorte le mouvement contraire : celui d’une rétraction vers l’intimité. Sans malheureusement saisir au cœur.
Nous sommes dans les années 1970, quand une jeune étudiante oie blanche (Sophia Lillis) côtoie à New York son oncle Frank (Paul Bettany, très convaincant), un intellectuel gay qui la fascine. De manière étrange, après avoir installé cette relation, le récit initiatique supposé se perd, ou plutôt dévie de son axe pour devenir tout autre chose. Alors que son père meurt, Frank retourne sur sa terre natale et doit se confronter à la figure oppressante de ce patriarche sudiste homophobe, qui a passé sa vie à l’insulter. Comment éviter la haine de soi quand sa propre famille exprime de la haine ?
Traversée paresseuse des genres
Le sujet est en soi puissant. Alan Ball adapte ici une trajectoire personnelle. Au moment de son coming out auprès de sa mère, à la mort de son père, cette dernière lui a laissé entendre que son père était lui-même homosexuel, mais dans le placard. Le film est parti de là. Ball a voulu en quelque sorte fantasmer et croiser sa propre vie avec celle qu’il a subitement imaginée à son père, ce qui aurait pu donner une quête émouvante et éprouvante sur les affres de l’identité.
Au lieu de cela, Uncle Frank traverse paresseusement les genres (comédie de caractère, mélo familial, road movie) et enfile les scènes ultra-explicatives sans une once d’intensité. Mis à part deux ou trois beaux moments – dont une veillée funèbre, on ne se refait pas –, Ball propose une caricature datée du film indépendant américain aux intentions profondes et à la réalité pataude. Il y a deux ans, sa nouvelle série Here and Now avait beaucoup déçu. Moins qu’un hoquet passager qui prouverait son talent supérieur à la télé qu’au cinéma, Uncle Frank incarne l’essoufflement d’un artiste. Ce n’est ni honteux ni révoltant. Juste un peu triste.
Uncle Frank d’Alan Ball, avec Paul Bettany, Sophia Lillis, Peter MacDissi (E.-U., 2020, 1h35). Sur Prime Video
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