Nombreux sont les restaurants sous le soleil californien à proposer des menus végans. Simple phénomène de mode ou véritable prise de conscience écologique ? Enquête.
Publié par la Fondation Heinrich Böll et l’ONG Les Amis de la Terre Europe, le Meat Atlas classe les Américains comme étant les plus gros consommateurs de viande (1). C’est pourtant sous le soleil californien qu’explose actuellement le régime “Whole Food, Plant-Based” (WFPB), qui privilégie les aliments végétaux dans leur état naturel, sans aucune transformation industrielle.
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Plant-based signifie littéralement “à base de plantes”. Le régime WFPB inclut donc tout ce que la terre produit naturellement : fruits, légumes, graines, racines, herbes, fleurs… Il va plus loin que le végétalisme en excluant les produits transformés, se rapprochant ainsi de l’alimentation végane, qui bannit tout ce qui est issu de l’exploitation animale (lait, miel, crème, fromages, œufs, poissons, crustacés, viandes… mais aussi le cuir dans l’habillement).
Seulement voilà, au pays de la démesure et du toujours plus, il n’est pas toujours évident de faire prendre conscience des bienfaits, à la fois sur la santé et pour l’écologie, de manger moins mais mieux. Pour réduire leur consommation de viande, les Américains la remplace par… de la fausse. “Nous ne voulons pas que les gens aient l’impression de faire un sacrifice en venant manger ici”, explique Scot Jones, le chef exécutif du restaurant Crossroads sur Melrose Avenue. Ici, 80 % de la clientèle est non végane et la plupart ne sait même pas qu’il s’agit d’un restaurant plant-based.” Pourtant, le chef envoie les grands classiques de la cuisine américaine en version végane au réalisme déconcertant : gaufres au poulet frit, burger, mac et cheese ou encore salade César. Le tout sans la moindre trace de protéine animale.
La fausse viande : un business juteux
Pour reproduire le faux steak de son burger, par exemple, le chef Tal Ronnen a cofondé, avec Patrick O. Brown, ancien professeur du département de biochimie de l’université de Stanford, Impossible Foods. Cette entreprise crée et distribue des substituts de viande et de fromage entièrement fabriqués à partir de plantes. Bill Gates a investi à hauteur de 75 millions de dollars dans ce business juteux.
Dans sa lignée, Beyond Meat – qui se vante d’inventer “la protéine du futur” – est son principal concurrent tandis que Follow Your Heart commercialise des produits laitiers végans : des œufs au soja, de la veganaise (de la mayonnaise végane), du fromage, des yaourts, de la crème ou encore diverses sauces végétales.
“Je ne comprends pas comment on peut vouloir manger végan et avoir envie de conserver le goût de la viande. Quel est le plaisir d’avoir la sensation de faux sang dans la bouche ?”
Alexandra, Française végétarienne
Pour faire plus vrai que nature, Impossible Foods utilise de l’hème, une structure aromatique contenant un atome de fer, qui donne la couleur rouge au sang. On trouve ce colorant naturel dans toutes les plantes, notamment dans l’herbe. Cet ingrédient magique est très utilisé dans l’industrie alimentaire pour assouvir la quête perpétuelle du “waouh effect” cher aux Américains. Une démarche pas toujours appréciée ni comprise de tous.
Pour Alexandra, Française végétarienne, expatriée à Amsterdam et de passage à Los Angeles pour son travail, manger de la fausse viande est une hérésie : “Je ne comprends pas comment on peut vouloir manger végan et avoir envie de conserver le goût de la viande. Quel est le plaisir d’avoir la sensation de faux sang dans la bouche ?”
Plant-Based, effet de mode ?
Là réside la grande différence culturelle entre la France et les Etats-Unis. Chez nous, le véganisme implique une dimension politique et soutient des convictions éthiques qui s’étendent bien au-delà de l’assiette. A Los Angeles, le régime Whole Food, Plant-Based est moins clivant et confère à cette pratique une dimension qui relève davantage de l’entertainment (divertissement), maître-mot de la culture américaine.
“A Los Angeles, c’est presque branché de véhiculer ses idéaux sur les réseaux sociaux avec le hashtag #MeatLessMonday ou #Plantbased”, avoue Steven Mendoza, ex-manager de Gracias Madre. Ce restaurant mexicain végan, implanté dans le triangle d’or de West Hollywood, ne désemplit pas. Il est pris d’assaut par les instagrameurs et influenceurs les plus puissants de la ville comme l’Italienne Chiara Ferragni (15,9 millions d’abonnés), Kourtney Kardashian (72,6 millions) ou encore Aimee Song (5 millions). A l’instar de Crossroads, la clientèle de cet établissement est majoritairement non végane (60 %). Mais ce mouvement ne suscite pas seulement la curiosité, il permet aussi de s’ouvrir à de nouveaux horizons gustatifs, en étant beaucoup plus créatif qu’un régime carné vu et revisité.
Des menus bluffants
Les menus des restaurants végans de la ville sont en effet bluffants. Sandwich BLT au bacon de coco, tacos de carnitas à base de jackfruit (le jaquier) ou crab cake chez Gracias Madre ; ceviche de noix de coco ou panini à l’aubergine et à la ricotta de cajou chez Café Gratitude (photo), une chaîne de restaurants plant-based (cinq basés à L.A.) ; ou bien tartine parfaite à l’avocat chez The Butcher’s Daughter à Venice.
Côté boissons du futur, on n’est pas en reste. Moon Juice a monté un empire en quelques années en créant une gamme de liquides (eaux, jus et laits) dignes de potions magiques… hors de prix. On découvre dans ces enseignes-là une amplitude aromatique unique, une recherche des saveurs, des épices, des textures… Bref une sublime harmonie qui mérite d’être saluée.
Sensibiliser les viandards au “conscious eating”
On se demande alors pourquoi le fait de refuser de manger de la viande est considéré comme un appauvrissement du désir gustatif ?
A Los Angeles, le “conscious eating” (le fait de manger de manière responsable) est élevé au rang de tendance. Pour autant, les Angelinos continuent de se bâfrer de poulet (de batterie) frit, d’acheter du Made in China et de rouler dans des caisses énergivores. Une schizophrénie symptomatique qui cristallise les tensions et enjeux de notre époque (entre succès/conscience/confort/éthique).
Même si la machine marketing à l’américaine fonctionne à merveille pour lancer des modes qui passent et trépassent, cette nouvelle façon de consommer a néanmoins le mérite d’offrir une porte d’entrée aux carnivores vers un mode de consommation plus conscient. Une façon de se dire qu’ils ne perdent pas tout d’un coup. À l’inverse, en France, les quelques initiatives concernées sont encore marginalisées pour une grande part de la population. Mais tout ira bien tant que chacun peut s’ébaudir de son propre engagement.
(1) Avec les Brésiliens, les Européens et les Chinois
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