Chaque période invente, ou remet en lumière, les mots qui la caractérisent et expriment ses tendances propres. Passage en revue des traits saillants du vocabulaire de la décennie.
Algorithme (n. m.)
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« Oh non, en passant ce morceau de Manu chao, tu m’as flingué mon algorithme YouTube », entend-on certains se plaindre aujourd’hui. Les algorithmes appartiennent aux sciences mathématiques depuis des siècles (un mathématicien perse du IXe siecle leur aurait donné son nom), mais ils ont pris au cours de la décennie une place sans précédent dans nos vies. De la façon dont ils anticipent nos comportements dépend aujourd’hui une partie de notre vie sociale (suggestion d’amis sur les réseaux sociaux), de notre consommation (publicité ciblée), de nos goûts culturels (suggestions sur les plateformes de streaming) et de notre vie amoureuse (mise en relation ciblée avec certaines personnes sur les applications de rencontres). Pratique par bien des aspects, la mainmise des algorithmes diminue la possibilité du pas de côté. Entre notre empreinte numérique et nous-même, qui façonne l’autre ? B. D.
Antisystème (n., adj.)
2020 commencera par un come-back : celui du groupe iconique des années 1990 Rage Against The Machine. Sûrement pas un hasard. Après une décennie de révolutions introuvables (Printemps arabes, Indignados, mouvement des places, Occupy Wall Street, Gilets jaunes, octobre chilien), le volcan mondial entre enfin en éruption contre un système qui tourne à vide. Que produira cette nouvelle internationale anti-élites, défiante vis-à-vis du marché et de ses institutions représentatives ? Tout est encore possible. M. D.
ASMR (locution nominale)
Les adeptes des vidéos ASMR (Autonomous sensory meridian response) forment une sorte de secte. Lorsqu’une personne vous chuchote à l’oreille ou vous coupe les cheveux, peut-être avez-vous déjà eu cette sensation de picotement le long de la colonne vertébrale accompagné d’un doux sentiment de plénitude, mélange d’hypnose auditive et visuelle. Ces dix dernières années, ce plaisir du stimulus a accouché de millions de vidéos sur internet. Chuchotement, tapotement d’ongles, bruit de brosse ou son d’un feutre glissant sur du papier, l’orgasme du cerveau est à portée de clic. Il y a quelque chose de fascinant dans la façon dont ce plaisir éminemment prosaïque et quasi-animal a été popularisé par les technologies contemporaines. B. D.
L’explosion du nombre de séries dans la décennie a été suivie d’une cohorte de nouvelles expressions (Netflix and chill) et de nouveaux mots (serivores, VOD) dont le binge watching est le fer de lance. Quand on binge-watche une série, on en avale les épisodes dans un mouvement orgiaque, jusqu’à oublier de vivre, s’alimentant devant l’écran comme un marathonien pendant l’effort, se livrant sans vergogne au risque d’une nuit blanche, parce que c’est trop bon, parce qu’attendre une semaine pour voir un cliffhanger se dénouer nous est devenu insupportable, parce qu’on est parfois prêt à mettre en parenthèse sa vie sociale, sexuelle et amoureuse pour se plonger dans une fiction jusqu’à s’y noyer. Le phénomène est à la fois beau, dans le sens où il est le signe d’un désir de récits et d’images déployés dans le temps long, et terrifiant, car il nous renseigne sur nôtre ardent souhait de nous évader de notre existence. B. D.
Bodypositivity (n. f.)
Le mouvement body positive a connu son heure de gloire ces dernières années, à grands coups de posts Instagram où on célèbre les corps pas vraiment dans les normes. Sauf que. Certaines militantes contre la grossophobie considèrent que, désormais, le hashtag a été récupéré et dilué par le marketing, invisibilisant les corps qui dérangent le plus. Elles lui préfèrent donc la fat acceptance (le fait d’accepter les corps gros) ou la body neutrality (prendre le parti de s’en foutre, pour résister à cette nouvelle injonction à aimer son corps). M. K.
Brown-out (n. m.)
Le mot s’est ajouté au burn-out et au bore-out parmi les troubles de la vie professionnelle. En plus de la surcharge de travail et l’ennui au travail, c’est désormais le manque de sens et la perte de motivation qui conduisent à la dépression. Il correspond à l’explosion des emplois du secteur tertiaire, en management, en communication ou en marketing, à ces bullshit jobs peu enrichissants et stimulants. Etre victime du brown-out, c’est ne plus très bien comprendre l’utilité de ce que l’on fait au quotidien, les yeux vissés sur son écran et les mains menottées à son clavier. C’est le mal d’une jeunesse en panne de perspective, dominée par une hiérarchie écrasante et désillusionnée par un marché du travail bouché. Il explique les reconversions croissantes vers des métiers manuels, où le sentiment de maîtriser la fabrication d’un produit du début à la fin est synonyme de sens retrouvé. B. D.
Cancel (adj.)
C’est devenu classique, sur les réseaux sociaux ou dans les salles de classe, notamment aux Etats-Unis : “t’es cancel, mec”, lâche-t-on au détour d’une embrouille sur la possibilité ou non d’écouter Heal the World au lendemain des révélations du documentaire Leaving Neverland sur Michael Jackson. Façon de signifier à son camarade qu’il a dépassé les bornes et qu’il n’est pas woke ; façon aussi de reprendre le contrôle sur une situation jugée “problématique”. En première ligne, les artistes dont on ne veut plus entendre la parole à la suite d’un scandale. Reste la question de la permanence des œuvres. F. Mo.
Charge mentale (loc. nom.)
Elaboré par la sociologue Monique Haicault en 1984, ce concept, qui décrit la manière dont une personne – comprendre une femme – a l’esprit sans cesse occupé par l’organisation des tâches ménagères, a connu un succès spectaculaire quand la blogueuse Emma l’a mis en scène dans une BD, en mai 2017. Depuis, le terme a été décliné à toutes les sauces (charge sexuelle, charge émotionnelle), et son sens parfois travesti. Voir la pléthore d’articles qui, plutôt que d’interpeller les hommes qui zappent leur part de corvées, enjoignent les femmes de s’en libérer. Encore une tâche à rajouter à leur to-do list ? M. K.
Collapsologie (n. f.)
Conceptualisé en 2015 par le chercheur Pablo Servigne à partir du verbe anglais to collapse (“s’effondrer”), ce courant de pensée prédit la chute de la civilisation industrielle. Sa popularité instantanée témoigne d’un esprit du temps inquiet vis-à-vis de l’avenir, comme l’atteste la prolifération des fictions d’apocalypse et des stages de survivalisme. M. D.
Plus de tox sans détox. Le « plein de » exige désormais le « sans ». L’outrance, la jouissance, l’insouciance appellent l’hygiène interne, la prise de conscience, la repentance. Et sa mise en scène, comme si cette dernière amplifiait les vertus recherchées. Il faut que le monde assiste à votre détox, participe au grand lavement (de vos pêchés ?) à coups de carottes, de gingembre et de citrons pressés. Espérons que jamais ne naîtra le clubbing détox, peut-être la seconde fin de l’humanité (après les concerts au casque). C. B.
Disruption (n. f.)
Il y aura toujours un petit malin pour être plus disruptif qu’un autre petit malin, qui se croyait déjà très, très malin. Apparu aux oreilles du grand public après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la république, le mot disruption est en réalité un vieux concept marketing (et même une marque déposée), développé, entre autres, par le publicitaire Jean-Marie Dru au début des années 1990. Devenue une expression totémique et caricaturée de la start-up nation, elle sous-tend l’idée que rien, jamais, ne peut venir entraver la marche des grands chantiers de l’innovation. La rupture dans la continuité, en somme (ou l’inverse). F. Mo.
Se dit d’un récit d’anticipation sombre, à l’inverse de l’utopie. Ses lettres de noblesse s’écrivent au passé (1984, Metropolis) mais il connaît l’âge d’or de sa production en volume de nos jours. Il a assez logiquement commencé à l’être pour la jeunesse (Hunger Games, Divergent) avant de s’étendre au reste de la société. Ce n’est pas un hasard si Mad Max ou Fahrenheit 451 refont leur apparition et si quelques-unes des séries les plus populaires de l’époque en sont des champions (The Handmaid’s Tale, Black Mirror, Westworld, Leftovers, Years and Years). Notre imaginaire est devenu dystopique, nous ne voyons décidément pas l’avenir d’un bon œil. B. D.
Ecocide (n. m.)
Ces dernières années, les militants de la justice climatique réunis notamment dans le mouvement End Ecocide ont donné une force inégalée au terme d’écocide (ou suicide écologique). En poursuivant l’objectif de l’inclure dans le droit pénal international, ils mettent en évidence que les Etats et les compagnies privées ne peuvent plus détruire la planète en toute impunité. M. D.
Le terme n’est pas nouveau mais il essaimé un peu partout dans les discours féministes au cours de la décennie, pour décrire un processus par lequel une personne ou un groupe acquiert une capacité d’agir et s’émancipe. Les quelques tentatives de traduction en français (empouvoirement ? empuissancement ? autonomisation ?) n’ayant pas fait florès, c’est le terme anglophone qui, comme souvent, s’est imposé. M. K.
En même temps (loc. nom.)
Rarement un tic de langage – celui d’Emmanuel Macron pendant la campagne de 2017 – a autant synthétisé une époque. L’équation impossible que charrie cet “en même temps” voudrait acter la disparition des clivages du “vieux monde” (entre les riches et les pauvres, la droite et la gauche). Mais à force de répétition, cette dissonance cognitive toute macronienne est apparue pour ce qu’elle était. Le grand écart était discursif, plus que disruptif. M. D.
L’endo quoi ? C’est grâce aux endogirls – comme la génialissime Lena Dunham – que le sujet a fini par émerger sur la place publique. Via un réseau constitué au début des années 2010, ces femmes aux surnoms de super-héros ont investit les réseaux sociaux pour témoigner, et informer celles qui souffrent aussi d’endométriose. Une maladie chronique extrêmement douloureuse et encore méconnu du corps médical. La présence de muqueuse utérine (endomètre) en dehors de la cave utérine se déagrège au moment des règles jusque dans les trompes et touche parfois d’autres organes. Si elle touche une femme sur dix en âge de procréer, son nom est resté trop longtemps ignoré. F. Ma.
Fake News (loc. nom.)
Popularisé par l’inconcevable Donald Trump, le terme fake news renvoie peu ou prou à l’idée de “désinformation”, très en vogue pendant la guerre froide. A ceci près que cette seconde dénomination ne prend pas toute la mesure des réseaux sociaux, de l’hyperconnexion, des algorithmes et de la circulation à vitesse grand V des théories complotistes. “La Terre est plate !”, croit-on savoir dans certains cercles d’initiés et les médias mainstream, bien sûr, mentent. Le concept de “fait”, lui, prend un coup derrière les oreilles. F. Mo.
Pour décrire la mort d’une femme des mains de son conjoint ou ex, certains médias ont trop longtemps évoqué un « crime passionnel » – une expression qui a le défaut de poser le coupable en victime d’un tourment amoureux qu’il ne saurait maîtriser. Ces dernières années, des collectifs de femmes ont âprement milité pour populariser le concept de féminicide, soit le meurtre d’une femme en raison de sa condition de femme, utilisé dès les années 1990 dans les cercles féministes. Une bataille sémantique qui, à la toute fin de cette décennie, a enfin porté ses fruits. M. K.
Flexitarien, ne (n.)
Les végétariens et végans sont vieux comme le monde et étaient jusque-là considérés comme des babas ou des chieurs. Entre la cruauté infligée aux animaux dans les élevages industriels, l’importance de l’antispécisme (l’espèce humaine n’est pas au-dessus de toutes les autres), et l’urgence de la lutte contre le réchauffement climatique, le véganisme et le végétérianisme sont devenus des vertus. Parfois difficiles à tenir : est flexitarien celui ou celle qui s’autorise viande et poisson de temps à autre, surtout quand il n’a pas le choix, chez des amis ou au restau. N. K.
Fluidité (n. f.)
Qu’il s’agisse de Christine (And The Queens) s’auto-barrant pour se muer en Chris ou de Planningtorock embrassant le pronom « iel », la fluidité aura profondément marqué le paysage pop comme les réflexions sur le genre. L’heure est à la non-binarité, la remise en question de cette dichotomie ancestrale qui voudrait qu’il n’y ait que deux toilettes, deux sexes, deux genres, et leur lot de stéréotypes affiliés. Etre fluide, c’est passer d’un genre à l’autre, déconstruire, malaxer, cultiver une ambiguité bowiesque. C. B.
Fomo (loc.)
La peur de rater quelque chose est la mamelle nourricière des réseaux sociaux, autrement dit l’un des fondements du rapport à l’existence contemporaine. C’est la Fomo (ou Fear of Missing Out) qui nous fait consulter notre téléphone et scroller du matin au soir. On ne peut plus rien manquer de l’actualité du monde et de la vie de nos proches, tout en ne ratant pas une occasion de donner la nôtre en spectacle. Face à la Fomo c’est développer la Jomo (Joy of missing out) comme un appel à la déconnexion. B. D.
Gênance (n. f.)
La simple prononciation du mot suffit à restituer sa signification. C. B.
Dans l’épisode de Noël de 2014, la série Black Mirror imaginait un implant appelé le z-eye qui permet de rendre toutes interactions avec une personne désignée impossible. Ce z-eye, nous l’utilisons d’une certaine façon lorsqu’on pratique le ghosting, cette façon de faire comme si la personne n’existait plus en cessant de répondre à ses messages et à ses appels. Qu’il soit utilisé pour se prémunir d’une tentative de drague qui flirte avec le harcèlement ou pour couper les ponts avec un.e ex, le ghosting peut aller de la simple absence de réponse au blocage de la personne sur les différents canaux de communication contemporains. C’est le châtiment supreme d’une société de l’hyper-communication. B. D.
Inclusivité (n. f.)
Le terme buzze d’abord dans les milieux militants, et décrit une approche qui crée une place et donne une visibilité aux minorités ethniques, sociales, genrées. On l’entend par exemple dans le combat autour de l’orthographe inclusive. Puis la mode s’empare du terme, pour décrire une volonté de mettre en image les corps qu’elle invisibilise habituellement. Des castings plus métissés, des physiques plus ronds, des mannequins en situation de handicap reflètent une volonté – paradoxale parfois – de dénoncer la normativité des personnes et des canons habituellement célébrés par le luxe, le marketing et plus largement la société. A. P.
Ce terme employé d’abord par le marketing désigne une personne qui sortirait de l’anonymat grâce à sa grande influence sur un cercle de personne et sa capacité à le pousser à consommer. Aujourd’hui, l’influenceu.r.se à un statut bizarre, celui de famous for being famous propre à internet, brandit comme une carte de visite son nombre de followers sur Instagram, et travaille en direct avec des marques autour de placements de produits dans ses posts. L’influenceu.r.se est son propre média et entre en compétition avec la presse traditionnelle. A. P.
Intersectionnalité (n. f.)
En 2016, Solange Knowles sort une chanson au titre le plus explicite : « Don’t Touch My Hair ». Et illustre ainsi l’une des facettes de l’intersectionnalité, l’afro-féminisme. Théorisée en 1991 par Kimberlé Crenshaw, l’expression désigne la situation de personnes victimes de plusieurs discriminations à la fois à cause de leur sexe, leur couleur de peau, leur origine ou encore leur orientation sexuelle. Il faudra attendre une vingtaine d’années avant que les médias mainstream ne s’emparent de cette branche du féminisme essentielle à la compréhension du monde. F. Ma.
Journalope (n.)
Il est loin le temps des Hommes du Président où le journaliste avait la possibilité d’endosser le costume du héros. Ce néologisme injurieux, et ses cousins comme merdias, à l’encontre de la profession de journaliste se sont répandus sur les réseaux sociaux avec le développement des populismes, et plus particulièrement de la fachosphère. Contrairement au fouilleur de merde qui fait figure de noble à côté du journalope, le terme le renvoie à sa soumission au « système », il témoigne de la défiance envers l’élite à laquelle le journalisme appartiendrait et d’une époque où la fabrication de l’information ne cesse de perdre de sa valeur. B. D.
Espion, taupe, alarmiste, dénonciateur… Ou plutôt tout l’inverse. En anglais le mot est bourré de grâce : whistleblowers, celui qui siffle fort. Chelsea Manning, Edward Snowden, Julian Assange, Erin Brockovich, Irène Frachon… Tous ont en commun d’avoir porter ce sacerdoce visant à dénoncer un système de malversations et des dysfonctionnements graves. Un concept qui a émergé à la fin des années 1990, et redéfini à plusieurs reprises en France, jusqu’à la loi Sapin II de décembre 2016. Donald trump likes this. F. Ma.
#metoo (loc. nom.)
En 2006, la militante afro-américaine Tarana Burke initie une campagne Me Too, contre les violences sexuelles, dans l’indifférence générale. Relancé en pleine affaire Weinstein par l’actrice Alyssa Milano, le hashtag devient le symbole de cette écoute nouvelle, médiatique et sociétale, de la parole des victimes. Me too se transforme en nom commun et même en verbe. « Elle m’a metoo-é », se désole ainsi Caputo dans la saison 7 d’Orange Is the New Black. Un nouveau souffle, qui n’est pas près de retomber. M. K.
Millennial (n.)
Bret Easton Ellis aime se payer leur tête, les traite des chouineurs, d’hypersensibles, les trouve politiquement (trop) corrects aussi, mais ne cache pas non plus une certaine forme d’admiration pour cette génération dite “Y”, née entre le mitan des années 1980 et la sortie du premier album des Strokes, en 2001. Hyperconnectés, ils ont sauté pieds joints dans la matrice numérique et ont pris les commandes de la révolution digitale, devenant au cours de cette décennie la cible marketing privilégiée de la start-up nation. F. Mo.
Podcaster (v.)
« J’ai monté ma boîte de podcasts », « je fais un podcast en huit épisodes sur la coquillette », « Attends, t’écoutes pas de podcasts ?! », « Hey, et si on podcastait nos soirées ? », « Moi j’écoute des podcasts touuut le temps, en courant, en faisant la vaisselle, en baisant », « Qu’est-ce qu’on pourrait podcaster ? », « T’as lancé ton dictaphone là ? On sait jamais », « je podcaste, et toi, tu podcastes ? », « Tu gagnes de l’argent, toi, avec ton podcast ? » C. B.
Souvent galvaudé, le post-internet renvoie tant à un mouvement artistique qu’à notre époque où monde réel et imagerie digitale semblent avoir fusionné. Théorisé par Marisa Olsen dès 2008, le post-internet, et son porte-étendard l’oxymore réalité virtuelle, s’est depuis étendu à divers champs de l’art, de la vaporwave en musique aux installations de Ryoji Ikeda. Il acte le changement de paradigme de notre génération : simple outil dans les années 2000, internet est devenu le fondement de la culture occidentale dans les années 2010. B. D.
Racisé (adj.)
Ne dîtes plus « diversité », « minorité visible », ou encore « minorité ethnique » mais plutôt « personnes racisées ». Si aucun correcteur orthographique ne l’identifie l’expression connaît ces dernières années un succès considérable dans les mouvements militants antiracistes. Les médias s’y mettent aussi pour parler de cette réalité sociale qu’est le racisme. Et qui résulte d’un processus collectif qui dépasse le cadre biologique : la racialisation. F. Ma.
Le mot voit le jour en 2002 sur le clavier d’un internaute australien ivre qui partage une photo de lui. Mais ce n’est qu’en 2010 que le terme prend son essor : Steve Jobs dévoile l’iPhone 4 et sa nouvelle fonction autoportrait, qui permet de réaliser ce type cliché sans tourner l’appareil. Il est si viral qu’il entre dans le Oxford Dictionnary en 2013, et déclenche toute une culture à coups de filtres embellissants ou de selfie sticks. De Barack Obama à Ellen de Generes, le selfie fait mouche et devient un geste d’époque qui témoigne de notre présence à un moment donné. A. P.
Spoilophobie (n. f.)
La peur du spoiler, du divulgachage, s’est répandue avec l’essor des séries à multiples coups de théâtre comme GoT. Derrière cette injonction à ne pas gâcher les histoires, si tanr est qu’elles n’aient pas toutes été contées et qu’en spoiler les rebondissements n’en entame donc pas l’intérêt, il y a une volonté de ne pas connaître la fin, autrement dit le futur. A une époque où notre futur semble tous sauf radieux, il n’est pas étonnant que l’on soit s’y attaché à s’épargner ce que l’on sait déjà tous au fond, à savoir que ça va mal finir. B. D.
Télétravail
Progrès ou recul ? Si l’hologramme n’est pas encore pour aujourd’hui, certains salariés (quand ils ne sont pas auto-entrepreneurs) préfèrent fuir les open-spaces et autres espaces de coworking pour travailler à distance, chez eux. Pour les entreprises, c’est souvent tout bénéf : gains de productivité, baisse de l’absentéisme, économie de surface immobilière de locaux… Le télétravailleur, lui, ne télé-chôme pas ! M. D.
Ubérisation (n. f.)
Le XXe siècle a connu le fordisme, le XXIe siècle connaîtra l’ubérisation. Ou comment passer de l’aliénation du travail à la chaîne à la persistance du travail précaire. Fondé en 2009, à San Francisco, la société Uber utilise des applications mobiles afin de mettre en contact conducteurs et quidams désespérés de trouver un taxi libre à pas d’heure. Et puis ce fut l’explosion des plateformes de livraison, la mise à mal du droit du travail et le fantasme d’un libéralisme fou. S’attendait-on à ce que cet énième avatar du capitalisme donne son nom à une nouvelle forme d’organisation du travail devenue la morne norme ? F. Mo.
Après les attentats de janvier 2015 contre Charlie et l’Hyper-Casher, et ceux du 13 novembre 2015, la France a connu l’état d’urgence, ses lois d’exception, ses assignations à résidence. En arrière-plan, l’urgence écologique, climatique, était omniprésente, des incendies en Amazonie à la sixième extinction de masse. Un 17 novembre 2018, des Gilets jaunes ont fleuri sur les ronds-points, symboles d’urgence sociale et démocratique. L’urgence était dans tous ses états. M. D.
Woke (adj.)
Apparu avec le mouvement Black Lives Matter, qui dénonce les violences policières à l’encontre des Afro-Américains, l’esprit woke désigne le fait d’être conscient des injustices qui pèsent sur les minorités politiques, au sens large. Désormais, être hip, être cool, c’est être woke, au fait des combats menés, comme de ses propres privilèges dans un système patriarcal et oppressif. Mais voilà que Barack Obama surprend son monde en reprochant aux wokes de « constamment juger et critiquer les autres » à coups de tweets et de hashtags. Alors, véritable progressisme, ou posture politiquement correcte ? Réponse dans dix ans. C. B.
ZAD
La lutte victorieuse contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (janvier 2018) a donné naissance à une nouvelle forme de contestation : la Zone à défendre (ZAD). A Sivens (où Rémi Fraisse a été tué en 2014), Bure, Gonesse ou Brétignolles-sur-Mer, ces foyers de résistance hérissés de cabanes incarnent des utopies concrètes où les zadistes se mobilisent contre de “grands projets inutiles”. Ils ont ainsi inauguré l’ère d’une politique autonome et d’échelle communale. M. D.