Révolution de velours, le mélange des disciplines s’est imposé en une décennie pour s’accorder à nos sociétés multimédia et devenir le langage partagé sur les plateaux par une nouvelle génération de créateurs.
Après avoir été longtemps la marque de fabrique d’une poignée d’artistes-pionniers figurant l’avant-garde des recherches sur de nouvelles formes du spectaculaire, l’hybridation entre les disciplines est devenue durant les dix dernières années la nouvelle norme en vigueur. Difficile aujourd’hui de ne pas être confronté à des spectacles où la vidéo prend le relais du jeu, où danse, théâtre et cirque se marient à l’art et à la musique.
L’hybridation au pouvoir
Témoignant du grand pas en avant franchi par une majorité de jeunes créateurs, cette fusion des arts entraîne de fait un décloisonnement des publics et participe à sa réunion autour d’un métissage généralisé du spectacle vivant.
Cette fusion des arts entraîne de fait un décloisonnement des publics
Du côté hexagonal, on se contentera de citer les danseurs et chorégraphes François Chaignaud et Cecilia Bengolea, les metteurs en scène Julien Gosselin et Jonathan Capdevielle ou les actrices et performeuses Laetitia Dosch et Vimala Pons. A l’international, le travail sur l’image opère comme la clé de voûte du théâtre d’Ivo Van Hove, de Milo Rau, de Falk Richter, de Katie Mitchell et de Christiane Jatahy.
Autre ligne de force, cette génération s’est souvent drapée dans l’étendard du collectif pour cristalliser une identité commune tout en embrassant divers types de fonctionnements aussi singuliers que ceux de Cyril Teste (collectif MxM), Jean-Christophe Meurisse (Les Chiens de Navarre), Julie Deliquet (Collectif In vitro), Simon Bakhouche, Mélanie Bestel et Judith Davis (L’Avantage du doute). Leurs esthétiques n’ont rien en commun, ni sans doute leurs conceptions du collectif. Mais c’est pour eux une manière de reconsidérer l’œuvre comme un artisanat commun, tant dans la conception que dans la réalisation des spectacles.
De la politique migratoire à la question du genre…
La scène s’est emparée des débats sociétaux pour les inscrire sur le plateau. Le scandale de la politique migratoire de l’Europe a été longuement interrogé, tout comme la question du genre qui a été cette dernière décennie au cœur des esthétiques du spectacle vivant toutes disciplines confondues. Il n’est pas rare, dans l’histoire du théâtre, de la danse et de la performance, de voir apparaître les mêmes préoccupations au même moment chez des artistes très différents et de toutes nationalités, comme si, extrêmement poreux au monde, ils sentaient le vent venir pour témoigner d’une révolution en marche.
De la même manière, il est acquis aujourd’hui, et certainement grâce aussi à toutes les échappées artistiques auxquelles elle a donné lieu, que la question du genre traverse au final tous les combats en prenant acte la défense de toutes les minorités. Ainsi le démontrait la programmation du Festival d’Avignon 2018. De la mise à mort du patriarcat chez Phia Ménard à la dénonciation de sa transmission par les femmes dans les familles égyptiennes chez Ahmed El Attar.
On peut sans aucun doute affirmer que le spectacle vivant a embrassé le genre sous toutes ses facettes
En forme de convergence, le sujet du genre, les errances migratoires et leurs conséquences sur les corps étaient au cœur du spectacle sensible proposé par Gurshad Shaheman. Toutes cultures confondues, on peut sans aucun doute affirmer qu’en avance sur la littérature ou le cinéma, le spectacle vivant a embrassé le genre sous toutes ses facettes.
… en passant par MeToo et l’urgence climatique
Côté danse, une nouvelle génération de chorégraphes fait se télescoper une gestuelle puisant au contemporain comme au traditionnel, à l’image de Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel du collectif (LA)HORDE, quand il ne s’agit pas de mettre la danse en sons pour Marlene Monteiro Freitas. Alice Ripoll comme Jann Gallois ont trouvé dans les danses urbaines matière à explorer le monde tandis que Jan Martens interroge la pop culture et la culture de la virtuosité dans un même élan.
Dorothée Munyaneza, Oona Doherty ou Bouchra Ouizguen convoquent sur le plateau des laissés-pour-compte du rêve libéral pour dire autant les corps usés que révoltés. De MeToo à l’urgence climatique, la danse se fait chambre d’écho avec ses modestes moyens. Mais ne lâche rien pour autant. Et c’est encore dans l’indiscipline que s’exprime le mieux ce besoin de consolation. Grande, sans doute LE spectacle de nos années 2010, porté par Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel, ne se revendique d’aucune discipline en particulier, mixant cirque, musique, théâtre et performance avec la même ferveur. Nos artistes se positionnent à la croisée des chemins. L’avenir leur appartient.