Autour d’un ballet funèbre, et du destin funeste de l’illustre danseuse Isadora Duncan, une émouvante histoire de danse visant l’épure.
Les Enfants d’Isadora nous arrive comme le beau prolongement d’une filmographie encore jeune et déjà riche (quatre longs métrages et quelques très beaux courts) dont le projet pourrait se résumer ainsi : étreindre les mouvements du quotidien pour en révéler, par petites touches, les sensations enfouies. En accueillant sur ses terres Isadora Duncan, illustre danseuse du début du XXe siècle et mère qui vit périr accidentellement ses deux garçons, Damien Manivel ne pouvait trouver ressource plus heureuse pour faire miroiter dans un périmètre, comme toujours, restreint (un format carré et une durée resserrée) tout le spectre d’un cinéma, le sien, profondément mélancolique et “immensément ordinaire”.
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Une sécheresse émouvante, une radicalité un brin fragile
Car depuis le début, l’œuvre de cet ancien danseur est tout en son cœur animée par une chorégraphie des corps qui les pousse, comme des automates, à marcher de longues minutes ou au contraire qui les frappe d’immobilité. Dans Les Enfants d’Isadora, chaque geste est observé comme le nouvel échantillon d’une constellation de solitudes. Composer une danse dans le chagrin pour survivre à l’insurmontable, c’est tout ce que sous-tend La Mère, source d’inspiration première du film et pièce pour laquelle Duncan inventa un ballet funèbre convoquant les corps invisibles de ses enfants morts.
C’est dans cette entreprise chamanique que les héritières d’Isadora (ces enfants-actrices, parfois véritables danseuses, du titre) sont investies. Seule ou en duo, devant la glace d’un studio vide, sur une imposante scène ou au milieu de son salon, chaque femme tente d’attraper du bout des doigts la puissance d’un lien, d’accueillir dans le creux de ses bras les corps blottis des disparus.
Au commencement, on avait cru voir dans la rudesse de la mise en scène déployée, dans la sécheresse émouvante de ses traits, une radicalité un brin fragile, prête à s’effondrer comme un château de cartes remué par le vent – une image qui contient, dans le fond, tout le programme envoûtant du cinéaste. Mais les fondations sont solides et c’est là tout l’art du cinéma de Damien Manivel que d’accomplir un tour de force qui n’en a jamais l’air, de déborder du cadre appliqué et chapitré de ses assemblages, de court-circuiter l’épure pour y dissoudre un doux venin qui se répand bien après la projection.
De cette infusion lente, ritualisée de film en film, finit par éclore une réalité perforée, un espace-temps lourd et cotonneux où il faut apprendre à regarder différemment. Les Enfants d’Isadora, dans une dernière et bouleversante partie, finit par dévoiler l’un de ses secrets. Il invente un autre film qui n’a rien à voir avec l’accomplissement d’une technique de danse, mais qui pourrait bien être le nôtre, peuplé de nos propres ombres et de nos propres lumières.
Les Enfants d’Isadora de Damien Manivel avec Agathe Bonitzer, Manon Carpentier, Marika Rizzi et Elsa Wolliaston (Fr., 2019, 1 h 24)
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