Il y a 20 ans, des militants LGBT se sont mobilisés pour la création du Pacs. Ce contrat d’union entre deux personnes pour organiser une vie commune, a 20 ans ce vendredi 15 novembre. Pour l’occasion, des militants LGBT racontent aux Inrocks comment ils se sont battus pour que cette loi existe.
Le 15 novembre 1999, la loi pour le Pacte Civil de Solidarité (PACS) était promulguée. Trois jours plus tard, un couple d’hommes est officiellement uni devant la loi française pour la première fois. Aujourd’hui, le Pacs convainc davantage de couples hétérosexuels qu’homosexuels (3,8 % des Pacs en 2017 d’après l’Ined) pourtant, c’est bien la communauté LGBT qu’il faut remercier pour la création de ce contrat de vie commune. Le Pacs est le fruit de huit ans de mobilisation de militant.e.s gays et lesbiennes. Aux Inrocks, nous avons recueilli les témoignages de certains de ces activistes qui ont permis que le couple homosexuel soit reconnu par la loi en France.
Jan-Paul Pouliquen, militant dans différentes associations LGBT et au Parti Socialiste depuis les années 1970
“J’étais militant dans des associations LGBT depuis 1979 à peu près. Assez vite, est arrivée la pandémie du Sida. Un jour, j’ai lu dans un magazine l’histoire d’un couple d’hommes dont l’un était décédé du Sida. Les parents de celui qui était mort ont fermé l’appartement et le survivant n’a même pas pu récupérer sa brosse à dents, ni aller à l’enterrement de son ami. J’étais tellement estomaqué que j’ai téléphoné au rédacteur de l’article que je connaissais en lui disant : ‘Tu en as rajouté, ce n’est pas possible !’ ‘Si malheureusement, c’est possible’, m’a-t-il répondu.
J’étais atterré. Je suis alors allé voir un député qui était aussi un ami, Jean-Yves Autexier, et je lui ai demandé s’il pouvait déposer une loi pour empêcher ce genre de situation. Je pensais qu’il allait me dire : ‘Oui, c’est intéressant ton truc’ et puis que ça s’arrêterait là. Finalement, il me répond : ‘Qu’est-ce que tu fais maintenant ? Viens, on va manger et tu vas m’expliquer ton projet.’ Je suis tombé de l’armoire parce que je n’avais pas de projet ! Il me charge alors de constituer une petite équipe de ‘sachants’ et de lui présenter 15 jours plus tard une sorte de projet. J’ai rassemblé quelques militants que j’avais connus dans les années 1970 et 1980. Deux semaines plus tard, on lui a présenté un plan d’action et il a dit : ‘Ok, on va déposer cette loi’.”
Denis Quinqueton, co-auteur de L’incroyable histoire du Pacs (Ed. Kero)
“J’avais 26 ans quand tout a commencé. J’étais encarté au PS mais je m’ennuyais ferme en tant que militant politique. Je ne voyais pas comment on pouvait changer la vie avec ce parti. Dans une réunion avec Jan-Paul Pouliquen on m’a présenté ce projet et je me suis dit : ‘C’est lumineux’. Je pense que si j’avais vu la Vierge je n’aurais pas fait une autre tête. J’ai été convaincu tout de suite.
On a alors créé le ‘Collectif pour le CUC (Contrat d’union civile, ndlr)’, devenu par la suite le Collectif pour le Pacs. Au début, on n’était pas très nombreux, pour être honnête. Il fallait trouver des adhérents, des sympathisants etc. On a cherché à s’implanter dans toute la France. C’était une époque où Internet n’existait pas, ce qui change tout en matière d’activisme. Dans les années 95 et 96, on avait entre 1000 et 2000 sympathisants puis, c’est monté jusqu’à 4000. Et à ces 4000 adhérents, on leur écrivait. Donc, on passait nos soirées à coller des étiquettes sur des enveloppes.
On s’est mis très vite en rapport avec la Lesbian and Gay Pride de Paris, devenu l’Inter-LGBT depuis. Ce n’était pas forcément très simple de les convaincre au début. À cette époque-là, il y avait des vieux militants qui pensaient : ‘On n’est pas là pour imiter les bourgeois et encore moins les hétéros’. Et des plus jeunes qui disaient : ‘Vous êtes bien gentils avec votre projet mais nous, on veut le mariage’.
Finalement, la Lesbian and Gay Pride a soutenu le projet et en a fait son mot d’ordre trois années de suite (en 1996,1997 et 1998) pour la manifestation annuelle. Cela a vraiment pesé dans la balance auprès des politiques. En 1997, c’était l’Europride à Paris. Une Gay Pride XXL avec plein de gens venus partout d’Europe, du coup on s’est retrouvé avec une énorme manif. Je pense que l’Europride a joué son rôle dans le fait que le PACS soit vu comme un projet sérieux.”
Flora Bolter, co-directrice de l’Observatoire LGBTQ + de la Fondation Jean Jaurès
“En 1998, il y a eu une pétition des maires anti-pacs. Avec l’association Prochoix on a décidé d’identifier tous les maires pour voir combien cela représentait d’habitants. C’était effectivement majoritairement des maires de toutes petites communes. On a repris un par un les codes postaux de toutes les communes pour rechercher leur population sur l’INSEE. À l’époque, on ne pouvait pas faire ça par internet.
Le but, c’était de montrer qu’ils représentaient finalement peu d’électeurs et de les mettre devant leurs responsabilités vis-à-vis de leur parti et de leur électorat. Pour dire grosso modo : ‘Si vous comptiez prendre des vacances par là-bas ou si vous avez des parents qui habitent par là, vous pouvez écrire au maire en disant que vous n’êtes pas d’accord avec ses positions’. L’idée était de leur faire ressentir qu’on était vraiment là et qu’on était là partout. Comme on était à Paris, il y avait la possibilité d’inonder les parlementaires avec plein de courriers, on ne s’en privait pas.
En janvier 1999, il y a aussi eu la mobilisation de Christine Boutin (une manifestation anti-pacs a été organisée par la femme politique de droite le 31 janvier 1999, ndlr). On s’est rendu compte qu’il y avait une opposition très violente à notre existence même. Je m’attendais à ce qu’il y ait un peu de monde, je savais bien sûr qu’il y avait des gens contre l’idée du Pacs. Mais je ne pensais pas que cela prendrait une telle proportion.
Je suis allée voir cette manif parce que j’étais curieuse et j’ai entendu des cris très violents. Quelque part pour moi, c’était illogique qu’ils prétendent ne pas être homophobes, autant qu’ils aillent jusqu’au bout de leur truc. Dans la manifestation, il y avait énormément de propos injurieux ou à caractère sexuel. Et quand la banderole d’Act-up a été déployée (une banderole qui affichait ‘Homophobes’ sur le Palais de Chaillot où se trouvait la manifestation menée par Christine Boutin, ndlr) et que les gens ont crié ‘les pédés au bûcher’, c’est vrai que là ça a été dur.”
Cecil Lhuillier, ancienne co-présidente d’Act-Up Paris
“La grosse action d’Act-Up qui a marqué les débats sur le Pacs est celle du 31 janvier 1999, sur la place du Trocadéro avec cette banderole. Le matin, on était allé réveiller Christine Boutin aux aurores chez elle. On était une petite quinzaine à s’être pointé devant chez elle avec les cornes de brume, le faux sang, les pancartes à 6 heures du matin.
Ensuite, à la manif, on s’était déguisés en homophobes, en se recouvrant d’autocollants homophobes, pro-Boutin et contre le Pacs. La banderole avait été fixée à une barre en fer avant la manifestation avec la complicité des techniciens du Palais de Chaillot. On n’avait plus qu’à se poster à l’heure dite devant le Palais de Chaillot, tirer sur les deux cordes et la banderole se déployait. Ça a très bien fonctionné.
C’était une des actions les plus violentes auxquelles j’ai participé. On a vu des centaines de gens se tourner vers nous, on a vu leur regard se remplir de haine et ils nous ont foncé dessus. C’était hardcore.”
Gwen Fauchois, activiste lesbienne et blogueuse
“Des militants, il n’y en avait pas tant que ça. On a un peu tendance à oublier que les militants actifs étaient relativement peu nombreux. En réalité, très peu de gens ont fait le travail qui a abouti à ce Pacs : Jan-Paul Pouliquen, Gérard Bach-Ignasse, Denis Quinqueton, Patrick Bloche et Jean-Pierre Michel. On le doit vraiment à l’obstination et au travail acharné d’une toute petite poignée de personnes.
Avec le recul, on a l’impression qu’il y avait des énormes mobilisations et énormément de gens qui travaillaient, qui s’investissaient. Finalement, c’est un peu disproportionné comme vision. C’est le travail d’un tout petit noyau. Leur force, c’était de réussir à articuler ce petit groupe de personnes qui font le travail et d’en faire des mobilisations publiques beaucoup plus vastes. De réussir à faire que la Gay Pride en fasse un mot d’ordre, un mot de rassemblement de personnes qui ne militent pas au quotidien mais sont néanmoins concernées, impliquées.”