La Cour suprême a commencé ses auditions pour décider du sort de ces 700 000 jeunes entrés sans papiers sur le sol américain. Pour eux, “c’est quitte ou double”.
De sa vie précédente, José Patiño n’a que des bribes de souvenirs. “Des champs de maïs, et ma mère au milieu, c’est à peu près tout”, se remémore ce trentenaire originaire d’un village du centre du Mexique, “mais ce sont surtout des images fantasmées. Les photos que me montrent mes parents ne calquent plus avec ma mémoire.” La vie de José Patiño n’a qu’une seule adresse, Phoenix, que n’indique pas son passeport. Ces parents lui ont fait traverser la frontière avec Etats-Unis en 1995. José avait 6 ans et n’a, depuis, jamais connu d’autres villes que l’agglomération de l’Arizona, témoigne-t-il aux Inrocks.
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Comme lui, ils seraient entre 600 000 et 800 000 à avoir bénéficié du programme DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals), créé par l’administration Obama en 2012. Ce statut accordait aux migrants entrés illégalement sur le territoire américain de moins de 16 ans un permis de séjour et de travail de deux ans renouvelables. Le programme était soutenu par une majorité de congressmen au Capitole. Même l’actuel président américain, derrière son discours incisif sur l’immigration, chantait les louages des « Dreamers » pas plus tard qu’il y a deux ans. Dans son obsession de détricoter l’ouvrage de son prédécesseur, Donald Trump avait fini par mettre un terme au programme, jugé illégal, en 2017.
Suspendue à de nombreuses reprises par les tribunaux locaux, la décision d’annuler ou non le DACA revient depuis ce mardi 12 novembre à la Cour suprême. Les juges devront se pencher, d’ici au printemps selon la presse américaine, sur la légalité du programme mis en place par Barack Obama. Les premières auditions ont mis au jour l’ampleur des divisions entre les neuf juges constitutionnels sur ce dossier, notait le New York Times ce mardi. Cinq d’entre eux sont conservateurs – c’est-à-dire enclins à suivre l’opposition de la Maison blanche – depuis la nomination de Brett Kavanaugh par Donald Trump l’année dernière.
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“J’ai recommencé à faire des cauchemars”
Mardi, ils étaient plusieurs milliers de Dreamers à protester au cri de “Home is here” [« Notre maison est ici », ndlr] devant la Cour suprême. Rayna Montoya a fait des milliers de kilomètres pour rallier Union Square, la célèbre place qui jouxte le Capitole à Washington D.C. Toute la nuit, cette Mexicaine de 28 ans est restée patiente “avec juste un parapluie pour me protéger du froid”. Jointe par Les Inrocks, Rayna fait partie des soixante manifestants qui ont pu assister aux premières auditions, dès 9h30 du matin.
Hundreds of #Dreamers and supporters are still rallying outside the US #SupremeCourt this afternoon. Oral arguments began today on the Trump administration’s decision to rescind #DACA #SCOTUS pic.twitter.com/YTcQJvIgiA
— Joe Khalil (@JoeKhalilTV) November 12, 2019
“Ça me brise le cœur qu’on soit obligé de se battre pour rester chez nous. Tous mes amis sont ici, toute ma vie…”, souffle-t-elle, la voix enrouée. Rayna travaille aujourd’hui pour une association d’aide aux enfants de migrants. Depuis quelque temps, elle dit se sentir nerveuse et constamment fatiguée. “J’ai recommencé à faire des cauchemars. je n’en faisais plus depuis mes treize ans”, soit depuis ce jour de décembre 2003 où Rayna a tourné le dos aux contreforts de la Sierra Madre.
Ses souvenirs du Mexique, comme ceux de José, s’effacent avec le temps. Elle se souvient d’abord des interdictions de sortie, “pour ma sécurité me disaient mes parents”. Le père de Rayna, policier basé près de Tijuana, craignait pour sa vie et celle de sa famille. Une fois de l’autre côté de la frontière, il restera 9 mois derrière les barreaux. “Il n’était pas familier avec les lois américaines en matière d’immigration, il avait décidé de nous faire passer la ligne de démarcation à pieds”. Rayna et sa famille n’ont, depuis, rien connu d’autre que les plaines du Sud-Ouest américain.
Rescapés du « rêve américain »
Le pensionnaire du Bureau ovale les considère comme des illégaux, « undocumented » d’après la formule consacrée aux Etats-Unis. Le jour des premières auditions, Donald Trump est revenu à la charge, considérant que les Dreamers sont “loin d’être des anges”. “Il y a beaucoup d’idées reçues sur nous”, répond calmement Rayna, “apprenez à nous connaître au lieu d’avoir peur : c’est nous qui vivons avec la boule au ventre tous les jours.”
José doit renouveler son permis de séjour d’ici septembre 2020. Il ne se fait “aucune illusion”, la décision de la Cour suprême revient à “jouer à quitte ou double” : “Je suis propriétaire de ma maison, j’ai un emploi stable depuis plusieurs années, mais pourtant je me sens comme un enfant, je ne peux rien décider. Je n’ai pas d’autre choix que d’attendre en croisant les doigts. Il m’arrive encore de rêver que Trump ne réussisse pas à nous virer« .
Comme lui, les Dreamers continuent de croire en leur rêve de vivre sous la bannière étoilée “au moins quelques années de plus”. “Aujourd’hui je suis obligée de préparer mes valises en attendant d’être fixée sur mon sort, lâche Rayna, dégoûtée, nous avions tant à offrir à cette terre.”
Many of the people in DACA, no longer very young, are far from “angels.” Some are very tough, hardened criminals. President Obama said he had no legal right to sign order, but would anyway. If Supreme Court remedies with overturn, a deal will be made with Dems for them to stay!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) November 12, 2019
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