En pleine promotion de Mank, son dernier film, David Fincher multiplie les interviews évoquant aussi bien le Joker que la « Cancel Culture » ou Orson Welles. De The Telegraph à Première, c’est une vision du cinéma surprenante que l’on découvre.
Dans une interview du samedi 14 novembre pour The Telegraph, David Fincher a évoqué les difficultés qu’il a rencontrées pour produire son dernier film, Mank, centré sur la figure d’Herman J. Mankiewicz et l’écriture compliquée de Citizen Kane. Car, selon lui, les studios prennent de moins en moins de risques financiers. Ils « ne veulent pas faire ce qui ne leur rapportera pas un milliard de dollars ». Même le Joker de Todd Phillips représentait une prise de risque modérée après l’immense succès en 2008 de The Dark Knight : Le Chevalier noir de Christopher Nolan. Il y avait un précédent qui, aux yeux la Warner, rendait le film potentiellement très rentable.
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Sans quoi, explique le cinéaste, « personne n’aurait regardé ce projet et se serait dit ‘Allez, prenons Travis Bickle [le personnage principal de Taxi Driver] et Rupert Pupkin [personnage principal de La Valse des pantins] et mélangeons-les pour en faire un portrait trompeur des maladies mentales que l’on vendra des milliards de dollars !' ». Ainsi Fincher ne cache-t-il pas son mépris pour le film de Todd Phillips. Joker ne serait que le mash-up de deux films de Martin Scorsese mettant en scène Robert De Niro dans des rôles d’individus dérangés. Deux représentations de troubles psychiatriques que Phillips aurait réduits en un amalgame de stéréotypes sur les troubles psychiatriques.
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Fincher, une théorie à l’opposé du cinéma d’auteur
Dans une interview datant du 16 novembre pour Première, David Fincher ne cache pas non plus son opinion sur Orson Welles : « Bien sûr, il y a du génie dans Citizen Kane, qui pourrait contester ça ? Mais quand Welles affirme : ‘Il suffit d’un après-midi pour apprendre tout ce qu’il faut savoir sur la direction de la photo’, pfff… On dira que c’est bien la remarque de quelqu’un qui a la chance d’avoir Gregg Toland à un mètre de lui en train de préparer le prochain plan… Gregg Toland, bon sang, un génie insensé ! »
En mettant ainsi en valeur le travail du chef opérateur de Citizen Kane, David Fincher semble confirmer son désaccord par rapport à la conception du « film d’auteur ». Selon la pensée française du cinéma d’auteur, théorisée à la veille de l’avènement de La Nouvelle Vague, un seul homme serait derrière chaque décision artistique d’un film : le tout-puissant réalisateur. Comme l’a déjà affirmé le cinéaste américain par le passé, cela revient à surestimer le rôle du réalisateur (et c’est un cinéaste à la réputation de perfectionniste qui le dit) et à dénigrer l’implication artistique de tous les autres membres de l’équipe, celle du chef opérateur en premier lieu.
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Ne pas non plus fermer les yeux sur le comportement du réalisateur
Il ne faut donc pas hésiter à relativiser le soi-disant génie absolu d’un maître du 7ème art tel que Welles : « Je pense que la tragédie d’Orson Welles réside dans le mélange entre un talent monumental et une immaturité crasse. » Tout réalisateur, loin d’être le démiurge que l’on fantasme, est avant tout un être humain avec ses défauts et ses faiblesses et il ne faut jamais fermer les yeux sur la personnalité d’un cinéaste. Ainsi « prétendre qu’Orson Welles est sorti tel quel de la cuisse de Jupiter pour faire Citizen Kane et que le reste de sa filmo a été gâché par les interventions de gens mal intentionnés, ce n’est pas sérieux, et c’est sous-estimer l’impact désastreux de ses propres accès d’hubris délirant ».
S’il ne faut pas sous-estimer la nature collective et en partie hasardeuse de la création d’un film, il ne faut pas non plus sous-estimer l’impact d’un ego mal placé ou les conséquences d’une conduite irrespectueuse sur le plateau… La question de la place du réalisateur travaille David Fincher et c’est peut-être cela qui l’a mené à s’intéresser à la « Cancel Culture ». Le sujet l’intéresse au point d’avoir imaginé une série : « Au fond, il s’agit de la façon dont nous définissons une excuse dans notre société contemporaine. […] Si l’on s’excuse de la façon la plus sincère qui soit et que personne ne nous croit, est-ce qu’il y a réellement eu des excuses ? C’est une idée troublante. Mais nous vivons une époque des plus troublantes. » Après un film sur un scénariste oublié, Fincher planche sur une série sur la Cancel Culture. Bientôt sur Netflix ?
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