Contre les stigmatisations, des enfants d’immigrés vivant dans les cités oubliées de la République affirment leur volonté d’intégration.
« Je m’appelle Mohamed, la chose est entendue, pliée, adoptée ; on m’imagine en permanence le front collé au tapis de prière, tourné vers La Mecque…” A part un prénom et, à quelques années près, le même âge, Mohamed Bechrouri ne partage rien avec Mohamed Merah dont la trajectoire sociale offre un miroir inversé de la sienne. Fils d’une famille installée en France à la fin des années 70, Mohamed Bechrouri, 28 ans, souffre pourtant de la stigmatisation que son nom et ses origines convoquent auprès de tous ceux qui voient, dans les “banlieues de l’islam”, l’origine du mal de la société française.
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Dans un récit énervé contre les préjugés et les effets d’assignation identitaire dont il se dit l’objet, il s’élève contre ce mécanisme pervers qui le désigne “Arabe imaginaire”.
Or, rappelle-t-il, “je ne suis ni redevable à une communauté, ni coupable au nom du groupe puisque je n’ai rien fait de mal”.
Son expérience et son combat font écho au livre d’Abdel Belmokadem, Tendez-nous la main : un autre témoignage du parcours d’un fils d’immigrés tunisiens, ayant grandi à Vaulx-en-Velin dans la banlieue lyonnaise, devenu adjoint au maire et patron d’un cabinet de consultants spécialisé dans l’insertion des jeunes en difficulté dans les zones urbaines sensibles. A 43 ans, il livre une vision à la fois lucide et galvanisante des potentialités créatives dans ces territoires oubliés de la République, dont Mohamed Bechrouri souligne avec justesse qu’ils devraient plutôt être rebaptisés “territoires oubliés par la République”.
Pour Abdel Belmokadem, qui définit son livre comme un “message d’espoir”, mais aussi comme une “alerte”, l’urgence est de “faire mieux comprendre la banlieue à ceux qui la craignent” car “jamais dans la société française, la peur de l’autre et le rejet de l’étranger n’ont été aussi forts”. “J’aimerais qu’au travers de mon histoire, tous ceux de banlieue et d’ailleurs qui ont baissé les bras retrouvent foi en leurs rêves”, insiste-t-il.
Ces deux prises de parole, illustrant la capacité de la société française d’intégrer au mieux certains de ses jeunes au départ relégués dans des espaces périphériques, n’occultent en rien les tensions et les périls qui persistent dans ces territoires, comme l’analysait avec précision en début d’année Gilles Kepel dans deux livres importants, Banlieue de la République : société, politique et religion… et Quatre-vingt-treize (Gallimard).
Le sociologue rappelle que la banlieue populaire avait autrefois “un réseau d’accompagnement qui venait du mouvement ouvrier” ; “or aujourd’hui, ces réseaux se sont effondrés et ce qui s’y substitue sont des réseaux religieux”.
Cette compensation d’un déficit de participation politique par un référent religieux, comme l’illustre le destin de Mohamed Merah, confirme une réalité sociologique connue : plus un individu se sent inséré dans la vie sociale, plus la gestion qu’il fait de ses identités ethnique ou religieuse est apaisée. C’est aussi ce qu’avance le sociologue Marwan Mohammed dans un nouvel essai passionnant, analysant les mécanismes des “carrières délinquantes” et les manières d’y mettre fin ou pas : Les Sorties de délinquance.
“L’abandon de la délinquance sera d’autant plus effectif et durable que le récit du sujet s’ouvrira aux autres, manifestera la volonté d’évoluer dans un monde intersubjectif et intégrera une certaine dose d’empathie”, souligne-t-il, comme pour rappeler à ceux qui en doutent encore que, par-delà la furie d’un homme, les jeunes de banlieue n’aspirent qu’à cette reconnaissance, condition de leur véritable émancipation.
Jean-Marie Durand
L’Arabe imaginaire de Mohamed Bechrouri (Plon), 202 pages, 16 € Tendez-nous la main de Abdel Belmokadem (Anne Carrière), 248 pages, 19 €, Les Sorties de délinquance sous la direction de Marwan Mohammed (La Découverte), 240 pages, 34 €
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